15 juillet 2016

[Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX France] Une répétition d'amour

SOURCE - Lettre à Nos Frères Prêtres - FSSPX France - n°70 - juillet 2016

Un des points qui peut surprendre, au premier abord, dans la liturgie « grégorienne », est son caractère à certains égards répétitif. Même si la liturgie latine est plutôt marquée par « l’imperatoria brevitas » romaine, à la différence des liturgies orientales dont le caractère emphatique et litanique est nettement marqué, elle n’hésite cependant pas à revenir à plusieurs reprises sur le même sujet.
Un élan spontané de l’âme 
Cette notion de répétition est, en réalité, un aspect essentiel de la liturgie qui ne pourrait être effacé qu’au détriment de sa qualité. Il apparaît naturel en effet que, dans sa liturgie, la sainte Église, épouse de Jésus-Christ, répète, supplie, se fasse insistante, adore en répétant encore, sans craindre de fatiguer le Père de ses supplications. 
     
En cela, elle ne fait qu’obéir à l’exemple de tous les saints, à l’enseignement des prophètes et à l’Évangile : « Il leur disait une parabole, pour leur montrer qu’il faut toujours prier et ne jamais cesser. Il y avait, dit-il, dans une ville, un juge qui ne craignait pas Dieu et ne se souciait pas des hommes. Il y avait aussi dans cette ville une veuve qui venait auprès de lui, disant : Fais-moi justice de mon adversaire. Il refusa pendant longtemps, mais ensuite se dit en lui-même : Quoique je ne craigne pas Dieu et que je ne me soucie pas des hommes, néanmoins, parce que cette veuve m’importune, je lui ferai justice, de peur qu’à la fin elle n’en vienne à me frapper. Le Seigneur ajouta : Entendez ce que dit ce juge d’iniquité. Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus, qui crient à lui jour et nuit, et il tarderait à les secourir ? » (Lc, 18, 1-7). 
Savourer la douceur de l’amour de Dieu
Traiter certains rites de doublets inutiles, n’est-ce pas raisonner en épicier ? Que répondra l’amoureux à l’épicier qui lui démontrera l’inutilité « objective », « rationnelle », de répéter « Je t’aime » à celle qu’il aime ? L’amoureux considère qu’ayant dit dix mille fois « Je t’aime », il ne fait que commencer à balbutier ce qu’il veut qu’elle sache. L’amoureux comprend ce que ne conçoit pas l’épicier, que « la mesure d’aimer, c’est d’aimer sans mesure » : « Causa diligendi Deum, Deus est ; modus, sine modo diligere » (saint Bernard, De diligendo Deo, chap. I). 
    
Comme le dit saint Augustin, « da amantem, et sentit quid dico », « donnez-moi quelqu’un qui aime et il comprendra ce que je dis. Donnez-moi quelqu’un qui désire, quelqu’un qui a faim, quelqu’un qui chemine en ce désert où nous sommes, qui a soif et soupire après la source de l’éternelle patrie, donnez-moi un tel homme et il verra ce que je veux dire. Mais si je m’adresse à un cœur froid, il ne comprendra rien à mes paroles » (saint Augustin, In Joannis Evangelium tractatus, XXVI, 4). 
    
La sainte Église s’attarde sur le mystère éternel de la charité divine. Elle en savoure la douceur et l’immense amour : qui pourrait le lui reprocher, sinon celui qui est pressé que la liturgie finisse pour aller faire ses courses ? Dire que des rites sont des « doublets », c’est une vue, non de liturgiste, mais de sacristain. C’est comme si on disait que la main gauche est un doublet de la main droite, parce qu’on peut tenir un chandelier avec une seule main ou qu’on peut s’éclairer avec un seul cierge. 
    
Le père Gélineau note qu’ainsi s’explique et se comprend « l’usage de la répétition des mêmes mots dans la prière, la litanie, le refrain du psaume de méditation. Pas plus que les amoureux ne se lassent de répéter “Je t’aime”, car ils intensifient ainsi leur relation amoureuse, l’orant ne se lasse de redire “Père, s’il est possible, écoute-moi” ou de nommer Dieu de tous les noms qui signifient comment il existe pour lui : Bon, Fort, Très-Haut, Tout-Proche, Tout-Autre, Lumière, Ténèbre » (Joseph Gélineau, Demain la liturgie, Cerf, 1976, p. 96).