6 juin 2016

[Paix Liturgique] En Corée, la forme extraordinaire source d'élan spirituel

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°545 - 6 juin 2016

Dans un pays – la Corée du Sud – où modernité et tradition vont de pair, où la nouveauté du christianisme a pris le pas sur l'héritage bouddhiste (1 Coréen sur trois est chrétien, 1 sur 4 est bouddhiste) mais où pratiquement la majorité des Coréens se déclare sans religion, le catholicisme occupe une place particulière. Plus de 5 millions de Coréens, soit 1 Coréen sur 10, sont désormais baptisés et une enquête réalisée lors de la visite du pape François en 2014 a révélé que le catholicisme était considérée comme la religion la plus « digne de confiance » par l'ensemble des Coréens. Toutefois, sur le plan liturgique, la modernité avait jusqu'à peu totalement éclipsé la tradition, l'agenouillement durant la consécration ayant quasiment disparu et la communion dans la main ayant supplanté la communion sur les lèvres.

C'est donc avec grand intérêt que nous avons découvert le témoignage d'un missionnaire, français de surcroît, célébrant la forme extraordinaire pour la section locale d'Una Voce, le Père Philippe Blot. Prêtre des Missions étrangères de Paris, le P. Blot est en mission en Corée depuis 1990. Il est responsable d’un foyer d'accueil pour adolescents à Kunpo, dans le diocèse de Suwon, dans la banlieue sud de Séoul. Voici son témoignage, suivi de nos commentaires.
I – Le témoignage d’un missionnaire du diocèse de Suwon
Formes ordinaire et extraordinaire du Rite romain : un enrichissement mutuel
Par le Père Philippe Blot, MEP (27 septembre 2014)

L’aggiornamento liturgique – c’est-à-dire la mise à jour comportant un renouveau –, dont nous avons célébré le cinquantième anniversaire à la fin de l’année dernière (promulgation de la constitution sur la Liturgie Sacrosanctum Concilium, du 4 décembre 1963), a été en quelque sorte complété par le Motu proprio du Pape Benoît XVI Summorum Pontificum, du 7 juillet 2007, établissant la distinction de deux formes dans le même Rite romain : une forme dite « ordinaire », qui concerne les textes liturgiques révisés suivant les indications du concile Vatican II, et une forme dénommée « extraordinaire », qui correspond à la liturgie qui avait cours avant l’aggiornamento liturgique. Dans le rite romain ou latin, deux Missels sont donc actuellement en vigueur : celui de Paul VI, dont la troisième édition date de l’an 2002, et celui de Saint Pie V, dont la dernière édition, promulguée par saint Jean XXIII, remonte à 1962.

Dans la lettre aux évêques accompagnant le Motu proprio, le Pape Benoît XVI précisait bien que sa décision de faire coexister les deux Missels n’avait pas seulement pour but de satisfaire le désir de certains groupes de fidèles attachés aux formes liturgiques antérieures au concile Vatican II, mais aussi de permettre l’enrichissement mutuel des deux formes du même rite romain, c’est-à-dire non seulement leur coexistence pacifique, mais encore la possibilité de les perfectionner en mettant en évidence les meilleurs éléments qui les caractérisent. Il écrivait notamment que « les deux Formes d’usage du Rite Romain peuvent s’enrichir réciproquement: dans l’ancien Missel pourront être et devront être insérés les nouveaux saints, et quelques-unes des nouvelles préfaces… Dans la célébration de la Messe selon le Missel de Paul VI, pourra être manifestée de façon plus forte que cela ne l’a été souvent fait jusqu’à présent, cette sacralité qui attire de nombreuses personnes vers le rite ancien. »

C’est dans cet esprit que, répondant la demande d’un groupe de fidèles laïcs coréens du groupe Una Voce, j’ai accepté, depuis déjà quelques années, de célébrer la Messe selon la forme extraordinaire dans la chapelle de notre Foyer Saint Jean et Saint-Jacques, à Kunpo (diocèse de Suwon, dans la périphérie de Séoul), une ou deux fois par mois. L’élan spirituel impulsé par le Motu proprio du Pape Benoît XVI, à partir de la liturgie, est bien visible : les fidèles viennent nombreux, car ceux qui étaient encore habitués à participer à la Messe tridentine – relativement peu nombreux en Corée – ont été rejoints par des personnes, en particulier des jeunes, désireuses de découvrir l’autre forme du Rite romain. Nous faisons donc la belle expérience souhaitée par le Pape : une plus grande ferveur, qui rejaillit même sur les célébrations eucharistiques selon la forme ordinaire en langue coréenne, en particulier la redécouverte des attitudes d’adoration envers le Saint-Sacrement (agenouillement, génuflexion…), un plus grand recueillement, caractérisé notamment par ce silence sacré qui doit marquer les moments importants du Saint-Sacrifice pour permettre aux fidèles d’intérioriser le mystère de la foi qui est célébré… Il est vrai qu’il faut faire œuvre de pédagogie : expliquer les rites du Missel tridentin à ceux qui ne les connaissent pas encore, remettre un livret bilingue latin-coréen pour permettre aux fidèles de bien suivre la Messe… C’est une tâche très stimulante pour un prêtre, car il est conscient qu’il travaille au renouveau liturgique, et donc spirituel, voulu par le concile Vatican II, et auquel nous appelle avec vigueur le Pape François. [...]
II – Les réflexions de Paix liturgique
1) En 2009, l'écrivain allemand Martin Mosebach était invité à Séoul par un institut culturel germanique pour donner une conférence sur son livre La liturgie et son ennemie. L'hérésie de l'informe (Hora Decima, 2005). Pour illustrer cette conférence, une messe traditionnelle avait été organisée que l'écrivain lui-même avait servie. Près de 200 personnes y avaient participé, témoignant ainsi de leur intérêt pour cette liturgie inconnue de la plupart des Coréens. En effet, il faut tenir à l'esprit que plus de la moitié des 5 millions de catholiques coréens se sont convertis depuis les années 1990 et n'ont donc jamais eu connaissance que de la liturgie réformée.

2) Nous avons souvent souligné la puissance missionnaire de la forme extraordinaire du rite romain, Il est évidemment hautement intéressant de la voir confirmée par un missionnaire, chevronné en l'occurrence puisque le père Blot est en Corée depuis plus de 25 ans et connaît donc bien les spécificités du catholicisme local.

3) La rencontre des pays de jeune catholicité et du rite romain en sa forme antique, éternellement jeune, est toujours émouvante. On peut faire un rapprochement entre l’expérience de ce missionnaire en Corée et celle du responsable romain de la liturgie, le cardinal guinéen Robert Sarah qui, dans son livre d’entretien avec Nicolas Diat, Dieu ou rien. Entretien sur la foi (Fayard 2015), témoignait sans complexe avoir « personnellement accueilli Summorum Pontificum avec confiance, joie et action de grâce. Il est comme le signe et la preuve que l’Église, Mater et Magister, reste attentive à tous ses enfants, en tenant compte de leurs sensibilités. Benoît XVI voulait promouvoir la richesse des diverses expressions spirituelles, pourvu qu’elles conduisent vers une réelle et véritable communion ecclésiale et un rayonnement plus lumineux de la sainteté de l’Église ».

4) Une plus grande ferveur, la redécouverte des attitudes d’adoration envers le Saint-Sacrement, un plus grand recueillement : l'expérience coréenne confirme ce que l'on observe à travers le monde et qui a grandement motivé le geste de Benoît XVI, à savoir que la liturgie traditionnelle permet aux fidèles de retrouver le sens du sacré. Seulement, comme le souligne notre missionnaire, la diffusion de Summorum Pontificum requiert de « faire œuvre de pédagogie », ce que nous nous efforçons de faire semaine après semaine au travers de cette lettre.