15 mars 2016

[Lettre aux Amis & Bienfaiteurs de Bellaigue] La divine prière des psaumes

SOURCE - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs n° 26 - mars 2016

Ils me feront un Tabernacle et je demeurerai au milieu d’eux. Vous vous conformerez à tout ce que je vais vous montrer, au modèle du Tabernacle, et au modèle de tous ses ustensiles (Exode XXV).
   
Ces paroles du Seigneur à Moïse dans les profondeurs de la nuée, sur les hauteurs du Sinaï, introduisent les longs chapitres où Dieu lui-même prescrit comment doit être préparée sa demeure. Comme les Israélites vivaient à l’époque de l’Exode dans des tentes, c’est par le Tabernacle, qui était une tente, que Dieu voulait symboliser sa présence au milieu de son peuple ; aussi, non content de décrire en détail chacun des éléments de cette demeure : Regarde, tu feras tout selon le modèle qui t’a été montré sur la montagne (Hébreux VIII, 5), le Seigneur désigna-t-il lui-même celui qui devait présider à sa réalisation, et le remplit-il de sagesse, d’intelligence et de savoir pour toutes sortes d’ouvrages (Exode XXXI, 3) afin de le rendre habile à ce travail.
   
Lorsque le Seigneur inspirait les psaumes au saint roi David : L’Esprit du Seigneur a parlé par moi et sa parole est sur ma langue (2 Samuel XXIII, 2), ou aux autres psalmistes: Les fils d’Asaph, d’Hémane et de Yédoutoun prophé- tisaient au son des lyres, des harpes et des cymbales (1 Chroniques XXV, 1), il se passait quelque chose d’analogue : c’est sous l’inspiration de Dieu lui-même que chantaient les poètes inspirés. C’est pourquoi, pendant la psalmodie, lorsque nous tenons en main nos antiphonaires, nos bréviaires ou nos missels, nous devons porter le regard de notre foi vers l’éternelle Sagesse du Père : La Sagesse est splendide, elle se laisse facilement contempler par ceux qui l’aiment (Sagesse VI, 12). Ainsi voyons-nous comment, dès leur origine, les poèmes du Psautier sont en relation indissoluble avec le Christ. C’est lui, en effet, qui est la Sagesse de Dieu (1 Corinthiens I, 24). Comme le dit saint Ambroise, « nous lisons que le Père a tout fait par le Fils, comme il est écrit : Vous avez tout fait dans la Sagesse ! (Psaume 103) » : c’est pourquoi l’Écriture la nomme l’Artisan des êtres (Sagesse VIII, 6). « Cette Sagesse, écrit saint Athanase, est le Verbe de Dieu par qui tout a été fait et sans qui rien n’a été fait (Jean I, 3). » Saint Cyrille d’Alexandrie : « Tout a été fait par lui comme par la Sagesse de Dieu le Père. »
   
Or le Tabernacle, au dire de saint Grégoire de Nysse, était une figure esquissée d’avance par l’Artisan des êtres, comme le symbole du mystère de l’Incarnation : « Le Tabernacle, c’est le Christ Sagesse de Dieu qui, selon sa propre nature, n’est pas fait de main d’homme (Hébreux IX, 11), mais qui a reçu une existence créée lorsqu’il fallut que ce Tabernacle soit dressé parmi nous, de telle sorte que cette Tente soit, d’une certaine manière, tout à la fois incréée et créée : incréée dans sa pré- existence, créée en tant qu’elle a reçu une existence matérielle. » Saint Jean l’Évangéliste, comme on peut le lire dans l’original grec, nous manifeste cette vérité lorsqu’il écrit : Le Verbe s’est fait chair, et il a dressé sa tente parmi nous (Jean I, 14). Saint Cyrille d’Alexandrie dit de même que « le Tabernacle signifie le corps du Christ ». C’est ainsi que, par son Incarnation, la Sagesse a bâti sa maison (Proverbes IX, 1).
   
Considérons maintenant le Christ, Sagesse incarnée, vrai Dieu et vrai homme, lorsque le soir du Jeudi Saint il psalmodiait avec ses disciples : ce qui se produisit alors fut à l’image de cette gloire qui remplit le Tabernacle au jour de son érection : la gloire du Seigneur remplissait le Tabernacle (Exode XL, 35). Le Verbe s’est fait chair, et il a dressé sa tente parmi nous; et nous avons vu sa gloire, gloire comme celle que tient de son Père un Fils unique (Jean I, 14). La finalité des psaumes est la gloire de Dieu : Je vous rendrai grâce, Seigneur mon Dieu, de tout mon cœur, et je glorifierai votre Nom pour toujours! (Psaume 85). Le Christ, en les psalmodiant, leur fait atteindre cette fin de la façon la plus élevée qui puisse être. Qui est en effet la Personne qui énonce, ce soir-là, les psaumes inspirés ? C’est la Sagesse du Père elle-même, l’Artisan de toutes choses, l’Auteur principal des psaumes qui les chante par l’instrument de son humanité : la psalmodie du Christ est tout à la fois humaine et divine. La pénétration qu’en avait son intelligence, la ferveur de l’amour surnaturel dont brûlait son Cœur sacré, la profondeur de l’humilité dont il était rempli, tout cela uni à la Personne divine du Verbe donnait à son chant une perfection infinie, souverainement digne de Dieu.
      
Le Christ Jésus, dans son infinie bonté, n’a pas voulu que son retour au Père marque la fin de cette louange parfaite à la gloire de Dieu. Il a voulu la continuer sur terre par ses membres : La gloire que vous m’avez donnée, je la leur ai donnée (Jean XVII, 22). En effet, le Tabernacle est aussi, au dire de l’Apôtre, la figure de l’Église. Nous sommes, nous, le Sanctuaire du Dieu vivant, selon ce que Dieu a dit : « J’habiterai au milieu d’eux et j’y marcherai. » (2 Corinthiens VI, 16) La parole que cite ici S. Paul est tirée du Lévitique, et on y lit dans l’original : Je placerai ma Demeure au milieu de vous (Lévitique XXVI, 11). Le Tabernacle figure donc l’Église, Corps mystique du Christ, dans laquelle celui-ci demeure réellement et par laquelle il poursuit sur terre la louange parfaite qu’il a inaugurée aux jours de sa chair (Hébreux V, 7). C’est le mystère de l’office divin : « La sainte Liturgie, dit le pape Pie XII, est le culte intégral du Corps mystique de Jésus-Christ, c’est-à-dire de la Tête et de ses membres. » Ainsi, nous sommes devenus participants du Christ (Hébreux III, 14) : lorsque nous avons la grâce de participer à la psalmodie de l’Église, pour les Vêpres par exemple, notre psalmodie commune est à l’image du Tabernacle, et c’est le Christ lui-même, Gloire de Dieu, qui la remplit et qui psalmodie en nous.
   
Est-il suffisant, toutefois, que nous chantions ensemble pour que le Christ psalmodie en nous ? En vérité, il n’en est pas ainsi : Éloigne de moi, dit Dieu, le bruit de tes chants, le psaume de tes lyres, je ne l’écouterai pas ! (Amos V, 23) Il faut que nous soyons véritablement le Tabernacle du Christ pour qu’il puisse nous remplir de lui-même. Saint Bède le vénérable nous explique clairement ce qu’il nous faut faire en ce but : « Le Tabernacle qui fut montré à Moïse sur la montagne est la cité et la patrie céleste, qui en ce temps-là n’était composée que des saints anges. Notons avec diligence que les fils d’Israël doivent faire le Sanctuaire au Seigneur non pas d’une manière partiellement semblable, mais selon toute la ressemblance du Tabernacle montré à Moïse. Si donc nous tendons à partager le sort des anges dans les cieux (Luc XX, 36), il nous faut toujours imiter leur vie sur terre. Tu te demandes en quoi l’homme terrestre peut imiter le Tabernacle céleste ? Ils aiment Dieu et le prochain, imite-les en cela ! » Tout est là : si nous avons l’amour de charité pour Dieu et pour tous les hommes selon l’ordre qu’il requiert, comme dit l’épouse du Cantique : Il a ordonné en moi la charité (Cantique II, 4), alors nous sommes le Tabernacle de Dieu, et le Christ habite en nous : Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous (1 Jean IV, 12).
   
Si, en effet, « le but premier et direct de l’office divin est la gloire du Créateur, il est encore pour l’âme qui s’y livre une source abondante de grâces précieuses » (Dom Marmion). C’est pourquoi le pape saint Pie X enseignait que « la participation active des fidèles aux mystères sacro-saints et à la prière publique et solennelle de l’Église est la source première et indispensable où se puise le véritable esprit chrétien » (22 novembre 1903). Les psaumes sont donc aussi des armes dont le Bon Dieu a voulu nous équiper pour la lutte ; l’âme y trouvera, en particulier dans la lutte contre les suggestions diaboliques, un secours précieux. Saint Basile : « le psaume fait fuir les démons. » Saint Jean Chrysostome : « Les psaumes sont des lances extrêmement pointues lancées contre les démons. Les cerfs ne fuient pas les traits avec autant de rapidité que les démons ne fuient les psaumes de David. » De même, un ancien moine d’Égypte affirme que « Rien ne tourmente autant les démons que le Psautier. »
   
Les saints martyrs, qui ont combattu le beau combat de la Foi (1 Timothée VI, 12) au degré le plus éminent, savaient se servir de l’arsenal des poèmes inspirés. Saint Augustin dit bien que « les psaumes réconfortaient les martyrs, et leur inspiraient cette joie et cette intrépidité qui allait jusqu’à étonner les bourreaux eux-mêmes. » La martyre sainte Prisca (vers l’an 54) passa la veille de son départ pour le ciel à psalmodier dans la prison. Sainte Perpétue fut martyrisée en l’an 203 à l’âge de vingt-deux ans : le jour de son triomphe, « elle psalmodiait, foulant déjà aux pieds la tête du démon. » Que faisaient les militaires cappadociens exposés nus sur un étang glacé en plein hiver à Sébaste, condamnés à mourir de froid à cause de leur foi dans le Christ ? Ils psalmodiaient, et c’est en psalmodiant qu’ils rendirent leur belle âme à Dieu : Notre âme comme un passereau s’est échappée du filet des chasseurs, le filet s’est rompu et nous nous sommes échappés ! Notre secours est dans le Nom du Seigneur, qui a fait le ciel et la terre ! (Psaume 123). Souvenons-nous aussi du glorieux saint Théodore, dont saint Grégoire de Nysse nous affirme que la psalmodie ne quittait pas ses lèvres même au milieu de la plus atroce flagellation : Je bénirai le Seigneur en tout temps ! (Psaume 33). Saint Basiliscus ne cessait de psalmodier au milieu des tortures. Plus près de nous, nous pouvons admirer l’exemple de nos chers aînés qui ont rendu témoignage au Christ lors de la tyrannie révolutionnaire : les historiens savent que les prières les plus fréquemment chantées par les martyrs de cette époque étaient les psaumes inspirés. Les seize bienheureuses carmélites de Compiègne, en montant vers la guillotine, chantaient le psaume 116.
   
Ces quelques exemples nous montrent qu’il y a, dans ces poèmes sacrés, une puissance qui est peut- être trop oubliée ou négligée de nos jours. Si la vie selon la volonté du Christ est si souvent un martyre en cette époque d’apostasie et d’abominations, n’hésitons pas à prendre les armes qu’ont su employer nos glorieux prédécesseurs. Les psaumes de la pénitence notamment, que saint Augustin priait avec larmes sur son lit de mort, font tant de bien et sont si puissants contre l’Adversaire qu’ils peuvent nous aider à conserver le repentir intime de l’âme, la sainte componction, grâce à laquelle nous parviendrons à surmonter tous les obstacles qui empêchent en nous l’épanouissement de la divine charité.
   
Cependant, souvenons-nous bien que, tout comme les psaumes chantés en commun n’ont atteint leur apogée que dans le Christ, les psaumes chantés en privé dans nos cœurs n’auront d’efficacité que par lui et en lui, lui sans qui nous ne pouvons rien faire (Jean XV, 5), par qui nous offrons à Dieu en tout temps un sacrifice de louange (Hébreux XIII, 15), qui transfigurera notre corps de misère en le rendant semblable à son corps de gloire (Philippiens III, 21). En ce jour grandiose, tous ceux qui seront reçus dans la gloire, saints et irréprochables devant lui dans la charité, auront enfin atteint la perfection souveraine de leur conformité à la divine Sagesse. Voici le Tabernacle de Dieu avec les hommes: il habitera avec eux, et ils seront son peuple ; et Dieu même sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux, et la mort ne sera plus (Apocalypse XXI, 3-4). Là, nous pourrons chanter, en union avec le Verbe incarné et sa très sainte Mère : Je chanterai pour l’éternité les miséricordes du Seigneur ! (Psaume 88)