6 octobre 2015

[Paix Liturgique] Au Chili, le dévouement exemplaire des artisans du Motu Proprio

SOURCE - Paix Liturgique - Lettre n°512 - 6 octobre 2015

Une fois n’est pas coutume, nous vous proposons cette semaine un témoignage rédigé à la première personne par celui de nos rédacteurs qui a suivi cet été le premier congrès Summorum Pontificum au Chili. Plus de deux mois après ce voyage, son enthousiasme pour ce qu’il a vécu au pied des Andes ne s’est en effet pas éteint et cela justifie amplement que nous vous le fassions partager tel quel.


SEULS, MAIS JOYEUX SOLIDAIRES ET DÉTERMINÉS



Épisode 1

«Alors que la canicule sévit en Europe, Paix liturgique m’offre le privilège de passer 3 jours au frais.»

Tout au long du vol qui me porte vers Santiago du Chili, je ne trouve guère que la météo pour me réjouir de ce périple imposé alors que toute la famille est en vacances. Même si l’objet du voyage est la tenue dans la capitale chilienne du premier congrès Summorum Pontificum jamais organisé en Amérique du Sud hispanophone (il y en a déjà eu plusieurs au Brésil), je me dis que toutes les conférences de liturgie finissent par se ressembler.

Quand, en posant le pied à l’aéroport, je découvre que l’air local n’est pas simplement « frais » mais carrément gelé, puisqu’il fait exactement 0°C ce matin-là, le peu de motivation que j’étais parvenu à rassembler dans l’avion ne résiste pas à mes premiers frissons. Et si un brin d’enthousiasme me revient en découvrant le lieu du congrès (un centre d’exercices spirituels à la lisière de Santiago) tant le panorama offert sur la cordillère des Andes enneigée est splendide, il s’effiloche vite dès que je comprends que ce lieu est non seulement isolé mais aussi dépourvu d’isolation et qu’il fait à peu près aussi froid dans ma chambre qu’à l’extérieur !

Du coup, étant arrivé le premier, j’en profite pour m’enfouir sous les couvertures, histoire de me réchauffer et de récupérer de la fatigue du trajet.

À mon réveil, un petit miracle m’attend : avant d’aller me reposer j’étais passé prier dans la chapelle du lieu, pièce d’une tristesse infinie, aux murs blancs lambrissés de pitchpin, en forme de L, authentique vestige d’un « printemps liturgique » jamais arrivé... sauf qu’après ma sieste cette chapelle est devenue méconnaissable ! Quatre autels y sont apparus, surmontés de leur tabernacle, parés de linges, de cierges et d’objets liturgiques simples mais traditionnels. Émerveillé par cette transformation, j’en rends immédiatement grâces au Seigneur et pars à la recherche de celui ou de ceux qui en sont les auteurs.


Épisode 2

« Tu t’attendais à un congrès académique dans un hôtel ou une université ? Eh bien non, la Providence veut que tu participes à trois journées d’exercices spirituels ! »

Une quinzaine de prêtres, moins d’une dizaine de laïcs : dès le premier soir, il est clair que ces trois journées chiliennes, rythmées par la messe et les conférences matinales, le chant de none, de vêpres et complies, les ateliers pratiques et les repas, vont ressembler davantage à une retraite qu’à un congrès. Tant mieux ! Pour moi en tout cas car j’avais bien du mal, ces derniers temps, à me couper du monde et de ses obligations et cette pause spirituelle ne peut finalement qu’être la bienvenue. Toutefois, quelles informations vais-je bien pouvoir rapporter à Paix liturgique ?

Bien que l’allocution inaugurale doive être prononcée le lendemain par le cardinal Jorge Medina Estévez, préfet émérite de la congrégation pour le Culte divin et la discipline des sacrements, les organisateurs m’informent qu’en fait ils ne disposent que de peu de soutien de la part de leur hiérarchie ecclésiastique. Ils ont d’ailleurs décidé de n’accepter aucun séminariste à leur congrès alors que plusieurs demandes d’inscription leur étaient parvenues, afin de ne pas les exposer à de très probables brimades à leur retour au séminaire.

En substance, l’essentiel des conférences reposera sur les responsables de Magnificat, une association de fidèles – membre de la Fédération internationale Una Voce – qui fêtera en 2016 ses 50 ans d’existence. Histoire de la réforme liturgique et du rite romain, situation juridique de la forme extraordinaire, initiation au chant grégorien et vocation de la musique sacrée : le programme est dense mais classique et, sans présumer de la qualité des intervenants, il est sans doute vain d’en attendre quelque retentissante nouveauté en matière d’interprétation ou d’application du motu proprio de Benoît XVI. Une conférence toutefois, suscite ma curiosité, celle de l’un des quatre prêtres en charge de ce congrès qui témoignera de son expérience en matière d’introduction de la forme extraordinaire dans la vie paroissiale (*).


Épisode 3

« Que de sacrifices consentis ! »

En fait, dès les complies du premier soir m’apparaît la première évidence : ici, tous les participants, organisateurs ou non, sont rassemblés pour une seule et unique raison, à savoir le désir de prier d’une seule voix, en latin, et de se tourner ensemble vers l’autel de Dieu, la joie de notre jeunesse. Ce désir est d’autant plus fort que, hormis un jeune diacre de l’Institut du Bon Pasteur et un fidèle de la Fraternité Saint-Pie-X, aucun des présents ne bénéficie au quotidien de la forme extraordinaire du rite romain.

Parmi les prêtres, diocésains comme religieux, c’est même la forme ordinaire qui prévaut, certains n’ayant en pratique aucune expérience personnelle de la célébration de la liturgie traditionnelle. Parmi les laïcs, le cas le plus emblématique est celui d’une jeune bolivienne consacrée qui a engagé toutes ses économies dans ce voyage à Santiago. Touchée par le sens de la liturgie démontrée par Benoît XVI, elle a découvert l’existence de la liturgie traditionnelle sur Internet et se tenait à l’affût depuis des mois de la première occasion pas trop éloignée de chez elle de la découvrir (façon de parler car il y a 2500 km et aucun vol direct entre La Paz, capitale de la Bolivie, et Santiago), quitte à casser sa tirelire... La Bolivie est en effet aujourd’hui une terre quasi inconnue pour la tradition catholique romaine, mais sans doute pas pour longtemps. Actuellement seul un prêtre de la Fraternité Saint-Pie-X y vient régulièrement en mission, mais dans sa ville natale de Sucre, soit à 10 heures de route de La Paz.

En parlant avec le plus jeune des participants, un lycéen auquel je demande s’il ne regrette pas de consacrer ses vacances à perfectionner son ars ministrandi plutôt qu’à skier comme le font certains de ses camarades – ce sont les vacances d’hiver dans l’hémisphère austral –, je comprends que pour lui aussi rien n’est de trop pour la louange de Dieu. Un religieux en clergyman venu du Pérou ne dit rien d’autre quand il explique sa présence par son désir de mieux enraciner en lui le sens du sacré, espérant enrichir son ars celebrandi par la découverte de la forme extraordinaire...


Épisode 4

Dilexísti justítiam, et odísti iniquitátem. Proptérea unxit te Deus, Deus tuus, óleo lætítiæ. (Psaume 44)

Ces versets du psalmiste correspondent au graduel de la messe de sainte Praxède dont la fête est célébrée le 21 juillet, soit au premier jour du congrès chilien. À l’époque je ne pouvais pas le deviner mais deux mois plus tard, ils me semblent résumer à merveille l’état d’esprit des participants : « Vous avez aimé la justice et haï l’iniquité. C’est pourquoi Dieu, votre Dieu, vous a oint d’une huile d’allégresse. »

En repensant aux visages connus durant ces journées de prière et d’étude, cette joie franche et communicative, mais paisible, m’apparaît comme un signe distinctif de ces humbles ouvriers dans la vigne du Seigneur. Sans doute parce que tous, qu’ils aient ou non accès à la forme extraordinaire du rite romain et aux bienfaits du motu proprio Summorum Pontificum, vivent libérés du « plus monstrueux des démons », à savoir celui qui, selon les paroles du cardinal Medina dans sa conférence inaugurale, « nie que Dieu mérite nos louanges et notre action de grâces ».

L’atelier liturgique organisé pour les laïcs, qui portait autant sur le travail du sacristain et celui des servants que sur l’attitude des fidèles durant la Sainte Messe, demeure d’ailleurs pour moi l’un des moments marquants de ces journées, précisément pour l’extraordinaire bonne humeur complice qui y présidait et qui ne nuisait en rien à la plus grande attention et révérence de chacun pour les questions soulevées, les objets manipulés et les gestes répétés. Tous étaient parfaitement conscients de ce que la liturgie n’est pas une production humaine mais bel et bien une action divine, comme l’a si souvent répété le cardinal Ratzinger avant de l’enseigner en tant que pape Benoît XVI.

De cette ferme certitude découle l’allégresse tranquille qui caractérise en définitive tous ceux qui s’épanouissent dans leur « petite patrie ». Car, comme allait nous l’apprendre le surlendemain l’un des conférenciers, la liturgie n’est rien d’autre que la petite patrie des catholiques, leur heimat selon le mot de Klaus Gamber, le liturgiste allemand qui a tant marqué la pensée de Benoît XVI sur les questions liturgiques. Et à quoi d’autre peut-on aspirer dans sa petite patrie, si ce n’est à la paix ? La paix liturgique, bien sûr, fondée sur un amour partagé du culte divin.


Épisode 5

« Je peux y retourner ? »

L’an prochain, l’association Magnificat fêtera ses 50 ans et entend les célébrer dignement. Tout d’abord en publiant les actes de ce premier congrès et ensuite en en organisant un second qui pourrait donner lieu à la célébration d’une messe pontificale, événement rare dans le pays.

Rien qu’en pensant à la noble figure de don Julio Retamal Favereau, le président de l’association depuis ses origines et aux yeux rieurs de Lucho, l’expérimenté organiste de l’équipe, je n’ai cette fois-ci pas d’hésitation et me porte immédiatement volontaire pour y représenter de nouveau Paix liturgique. En fait, je crois bien que je suis désormais volontaire pour toutes les réunions de liturgie pour peu qu’y souffle cet authentique esprit de la liturgie, entièrement tourné vers la louange divine et désireux de nous maintenir en présence du Christ par la contemplation de ses saints mystères.

(*) Cette conférence, prononcée par don Milan Tisma, curé de la paroisse San Juan de Dios à Santiago, fera l’objet d’une prochaine lettre de Paix liturgique.