15 mai 2015

[Abbaye de Bellaigue - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs] Julien de Vézelay: Protégez l’ouvrage de votre miséricorde

SOURCE - Abbaye de Bellaigue - Lettre aux Amis & Bienfaiteurs n° 24 - Mai 2015

Né vers 1080, mort vers 1160, moine bénédictin et prêtre à Vézelay après avoir été probablement bibliothécaire à Fleury-sur-Loire, Julien ne nous est connu que par les sermons qu’il adressa en chapitre à ses frères, sur ordre de Pons de Montboissier, abbé de 1138 à 1161.

Lorsqu’il les prononça, il comptait cinquante ans de profession, ce qui l’autorisait à inviter ses frères à la «sagesse, cette très douce lumière d’un cœur purifié».
Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite (Psaume CIX, 1). L’homme, créature noble, créature à comparer aux anges et à placer au rang des esprits célestes, l’homme était déchu. Mais le créateur, dans sa miséricordieuse bonté, eut à cœur de redonner son rang à celui auquel il avait conféré la dignité d’être sa propre image. Lors donc que fut venu le temps d’avoir pitié, lorsqu’arriva la plénitude des temps prévue aux décrets de sa prédestination, il envoya à son peuple sa rédemption. Au Christ fut attribuée cette mission douloureuse, épuisante, pleine de sueur, de peine et d’angoisse ; et le Christ, malgré tout, se montra obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix (Philippiens II, 8). Il me semble entendre le Seigneur dire à mon Seigneur en lui imposant le poids de cette mission : «Mon Fils, l’homme a péri, et il se repent d’avoir péché. Il a maintenant suffisamment expié sa faute : pour tous ses péchés il a subi double peine (Isaïe XL, 2). J’ai pitié de lui : il regrette, il pleure, et chaque jour il crie du fond de sa vallée de larmes : Malheureux que je suis, car mon exil se prolonge ! Je regarde et je vois l’affliction de mon peuple qui habite l’Égypte. Mais descends les délivrer ; descends, assume tout de l’homme et, Verbe fait chair, porte secours à ces malheureux par la parole et par l’exemple ; descends du cœur du Père dans le sein d’une mère ; que se réalise, au plus secret du ventre d’une vierge, l’union de la nature du Rédempteur avec la nature rachetée. Que l’homme sache quelle valeur il possède à mes yeux, puisque je vais jusqu’à l’unité de personne en m’approErmitage Notre-Dame des anges priant sa nature. Mais, pour mettre le comble à cette mission, rachète ces prisonniers au prix du sang , rachète-les par la mort, et la mort de la croix.» – Ah ! Père, répond-il, si cela est possible, éloignez de moi ce calice ! Cependant, que votre volonté soit faite, et non la mienne (Luc XXII, 42) !

Le Christ se fait obéissant jusqu’à la mort de la croix ; mais, comme pour ajouter de lui-même quelque chose à sa mission, après la mort de la croix sa sainte âme descend aux enfers : il force les portes de l’homme fort et armé, il dévaste le tartare, délivre ses prisonniers et, triomphant de la mort, il remonte des enfers en glorieux vainqueur et surgit du tombeau. Ceux qui l’avaient vu mort le revoient vivant et sont émerveillés. Ils pensent que c’est un esprit et n’en croient pas leurs yeux ; il ne leur suffit même pas de comtempler dans les mains les marques des clous : Thomas le douteur est invité à toucher la blessure du côté que Jésus lui découvre. Pour leur fournir toutes ces preuves non par des paroles mais par des réalités, il leur apparaît pendant quarante jours, leur inculquant ainsi la foi en la résurrection et la certitude du fait, il converse avec eux, mange avec eux, marche avec eux. Enfin, le quarantième jour après sa résurrection, sa mission accomplie, fatigué de tant de travail et de tant de peine, il remonte vers son Père. Et c’est alors que le Seigneur dit à mon Seigneur : «Siège à ma droite ; tu as accompli courageusement la mission que je t’avais imposée : maintenant, mon Fils très aimé, siège à ma droite. Assieds-toi, repose-toi, je ferai de tes ennemis l’escabeau de tes pieds. Je te soumettrai les nations, je te soumettrai les royaumes, et devant toi tout genou fléchira, au ciel, sur terre et aux enfers (Philippiens II, 10).»

En ce jour prend donc place à la droite du Père le Fils toujours vivant afin d’intercéder pour nous ; il y prend place et nous confère ainsi l’espoir d’y siéger avec lui. C’est pourquoi S. Paul écrit : Celui qui nous a ressuscités avec le Christ nous fait siéger dans le ciel avec lui (Éphésiens II, 6). Vois quel homme admirable : il pérégrine encore sur terre, et pourtant il se glorifie de siéger déjà au ciel avec le Christ ! Ce que S. Paul espère, que le moine l’espère aussi, et qu’il souffre avec le Christ afin de régner avec lui. Que la nature humaine aujourd’hui se laisse donc aller à la joie, et qu’elle se souvienne que, dans son Chef, elle a été élevée au-dessus des anges. Qu’elle se réjouisse d’avoir obtenu aujourd’hui dans le ciel, royaume du Christ – que les saints anges ne m’en veuillent pas ! – une dignité qui surpasse celle de tous les anges. Il s’est fait homme, en effet, ce Dieu qui nulle part ni jamais n’a assumé la nature angélique jusqu’à ne plus faire qu’une seule personne avec elle, mais qui a choisi pour cela la descendance d’Abraham. La nature humaine qui, dans le Christ, est adorée par les anges, est plus sublime que tous ceux qui l’adorent ; mais les anges purs et saints ne ressentent pour autant nulle jalousie de voir l’homme devenir leur égal en nombre et en dignité.

Il siège. L’homme-Dieu siège maintenant à la droite du Père ; notre Moïse est sur la montagne avec le Seigneur et il prie sans discontinuer pour le peuple qu’il a racheté. Moïse, lui, a bien été exaucé lorsqu’il intercéda pour le peuple idolâtre qui, après tant de miracles du Seigneur en sa faveur, adora le veau d’or, et qui échangea sa gloire contre la représentation d’un veau mangeur de foin (Psaume CV, 20). D’où la colère du Seigneur qui dit à Moïse : Descends ! Ton peuple a péché. Et encore : Je vois que ce Lectionnaire de Cluny, vers 1100 : l’Ascension  Le mot du cellérier  Durant les mois d’hiver, de nombreux bras ont été occupés par le travail de bûcheronnage. Il a fallu plusieurs semaines à un bataillon de moines pour abbatre chênes majestueux et jeunes fayards à l’orée d’une futaie appartenant à un bienfaiteur voisin du monastère et les transporter jusqu’à Bellaigue. Les plus beaux fûts sont déjà transformés en planches ; le reste alimentera la chaudière. peuple a la nuque raide ; laisse ma fureur se déchaîner contre lui (Exode XXXII, 7-9). Or, que répond Moïse au Seigneur ? Ou bien pardonnez-leur cette faute, ou bien effacez mon nom du livre que vous avez écrit ! C’est comme s’il disait : « Je les aime tant que je ne veux pas être sauvé sans eux ; si leurs noms sont grattés et effacés du livre de vie, je refuse que le mien y soit inscrit.» Si donc Moïse, bien que pécheur lui-même, mais médiateur dévoué, apaise la colère du Seigneur et obtient le pardon d’une faute énorme, qu’obtiendra, crois-tu, le Fils unique siégeant à la droite de Dieu, le Bien-Aimé des complaisances du Père ? Crois-tu qu’on lui dira : « Descends, car ton peuple a péché, le peuple que tu as racheté de ton sang» ? On ne dira pas : « Descends !» à qui l’on a dit : « Assieds-toi !» Que prie donc pour nous, non pas Moïse le serviteur, mais le Christ Seigneur ; qu’il prie et dise : Père saint, conservez ceux que vous m’avez donnés (Jean XVII, 11) ! Qu’il demande, dans sa prière, que notre foi ne défaille point, que notre humilité ne devienne pas bouffissure de l’orgueil, que notre chasteté ne vacille pas. Supposons que l’un de nos frères soit saisi du désir de pécher ; sa résolution de sainteté cède aux innombrables suggestions d’une imagination vagabonde ; déjà il est à l’affût d’une occasion de péché, déjà il est proche du vertige de la chair… Priez, Seigneur ; priez, Jésus, et dites au Père : Père saint, conservez celui que vous m’avez donné ! Priez, Seigneur Jésus, pour que ne défaille point la chasteté de votre serviteur. Telle est la fonction dont vous êtes chargé, vous, notre saint avocat, en notre faveur auprès du Père ; et pour enlever le péché du monde, vous opposez, par votre présence, à la sévérité du Père votre sacrifice éternel.

Aujourd’hui donc le Seigneur est monté dans les hauteurs. Quel plaisir de le redire et de le répéter sans cesse ! Mais quelles sont ces hauteurs où le Seigneur est monté ? Plus haut que notre atmosphère ? Bien plus : au-delà du ciel ! Cela est presque impensable pour la nature humaine, mais sachez que Celui qui est descendu du ciel est aussi Celui qui est monté au-delà de tous les cieux. Au-delà de tous les cieux, dit le texte. Il est donc monté, il a traversé tous les cieux, sa puissance l’a emporté, dans son ascension, jusqu’aux cercles des anges ; mais elle n’a même pas daigné s’arrêter parmi eux, qui se levaient pour lui rendre hommage : emportée plus haut encore, elle est accueillie par le chœur des archanges, plus éminent encore ; montant toujours plus haut, notre nature dépasse les archanges, elle dépasse les trônes, elle dépasse dominations, principautés, puissances, vertus, chérubins, séraphins ; notre nature humaine monte au-delà de toutes les natures angéliques pour aller siéger à la droite du Père. Voilà jusqu’à quelles hauteurs est monté le Seigneur, pour que toute créature soit placée sous ses pieds et que devant lui tout genou fléchisse. Il est monté, mais au milieu de la joie et au son de la trompette. La joie de qui ? De tous les croyants, auxquels a été donnée l’espérance de siéger avec le Seigneur dans le ciel. Et de quelle trompette s’agit-il ? De celle qui, après l’ascension du Seigneur, se fit entendre par toute la terre, puisque ses échos ont résonné jusqu’aux frontières du monde. Au son de cette trompette ont été brisées les idoles, abandonnés les temples païens, planté l’étendard de la croix, accueillie et solidement ancrée de par tout l’univers en fête la foi au vrai Dieu. À lui la puissance et la gloire pour les siècles des siècles. Amen ! (Apocalypse I, 6)