15 septembre 2003

[Valérie Houtart - La Revue Item] Après l’ère de Vatican II…

SOURCE - Valérie Houtart - La Revue Item - septembre 2003

Le dernier numéro de La Nef (septembre 2003, 6 €) publie un débat théologique qui se voulait très « positif » sur l’Eglise, animé par Christophe Geffroy et Jean-Marie Paupert entre le P. Serge-ThomasBonino, op, directeur de la Revue thomiste, et l’abbé Claude Barthe, de la revue Catholica. Le débat montre que les positions des deux interlocuteurs sont loin d’être diamétralement divergentes : elles s’opposent dans le principe sur les questions doctrinales les plus brûlantes de Vatican II, mais elles convergent sur des options pratiques : 
Sur le magistère de Vatican II
Vatican II est défendu par le P. Bonino (c’est le contexte du Concile qui est défaillant), et attaqué par l’abbé Barthe sur les « points de rupture » comme le dialogue interreligieux et la liberté religieuse (Vatican II a opéré une « réforme démagogique »). La pointe de la discussion visait l’autorité du magistère de Vatican II :

« Père Bonino – Comme l’a recommandé naguère le cardinal Ratzinger, il faut donc lire Vatican II à la lumière de la Tradition. Les « nouveautés » (et les ruptures apparentes) doivent s’interpréter comme un développement homogène de la Tradition et doivent être mises en œuvre dans un sens traditionnel… »

« L’abbé Barthe – Vous évoquez, mon Père, cette nécessité de l’interprétation de Vatican II dans le sens de la tradition. Mais c’est là justement qu’est, à mon sens, la principale difficulté de ce concile. Le contenu de la tradition est donné de manière plus précise par le dernier état du magistère : c’est Trente qui interprète Florence et Vatican I qui interprète Trente dans le sens de la tradition. Ainsi Vatican II devrait représenter l’état le plus abouti de l’explicitation de cette tradition. Or, il n’en est rien et c’est au contraire dans l’enseignement précédent qu’il faudrait chercher une interprétation du dernier concile. A terme, on sortira de la crise lorsque sera donnée de Vatican II une interprétation au sens fort, magistérielle, et donc par définition dans le sens de la tradition. »
Sur la question liturgique
Il apparaît nettement que le P. Bonino représente les catholiques conciliaires qui sont loin d’être satisfaits par la réforme de Paul VI, l’abbé Barthe prônant des solutions de transition pour rectifier progressivement la liturgie des paroisses :

« Père Bonino – Certains aspects de la réforme ont manifestement enrichi la vie du peuple chrétien. Je pense par exemple à la place plus grande faite à l’écoute priante de la Parole de Dieu dans les célébrations. D’autres, avec le temps, ont révélé leurs limites. Comme le nouveau rite n’est pas intangible, ces aspects négatifs peuvent être corrigés par l’autorité compétente… »

« L’abbé Barthe – Cette idée de « réforme de la réforme » gagne du terrain à Rome. D’après ce que l’on peut savoir des intentions de ceux qui l’évoquent, elle concernerait, comme l’expression l’indique, le rite de Paul VI, sans toucher au rite de saint Pie V qui resterait une espèce de référence. Je suis bien d’accord avec vous : il faudra que cette réforme se fasse en douceur. Plutôt que vers un biritualisme, on pourrait aller – il serait bon qu’on aille – vers la coexistence entre un rite de référence et une « liturgie ordinaire » progressivement resacralisée en direction de cette référence. En tout cas, cette « réforme de la réforme » liturgique ne peut manquer de s’accompagner d’une « réforme de la réforme » doctrinale. La déficience de la réforme liturgique est le miroir des problèmes doctrinaux et le flou doctrinal s’exprime visiblement dans le flou liturgique. Si donc l’on en vient à corriger en liturgie, le manque de transcendance, le sens de l’autel ou les prières de l’offertoire, on sera amené en même à sortir de ce qui en est l’équivalent en doctrine… »
Sur l’avenir :
« L’abbé Barthe – Le nombre de vocations est à nouveau en baisse partout. Certes, cette baisse est encore plus angoissante dans les séminaires diocésains. Il reste vrai que les communautés nouvelles ou plus traditionnelles restent les plus riches en vocations, ce qui peut expliquer les bonnes intentions liturgiques d’un certain nombre de prélats. Quant à l’organisation pratique de la pastorale, il faudra sans doute imaginer des solutions diverses. De fait, on vit largement aujourd’hui selon un système de réseaux qui fait que chacun va vers la communauté, la sensibilité de son choix. Le système des paroisses devra être maintenu autant que possible. Mais on peut aussi penser à des lieux vers lesquels se regrouperaient les fidèles, et à partir desquels des prêtres rayonneraient. En tout cas, le nombre de prêtres ne permettra plus dans quelques années de maintenir le système en l’état. Il est clair que, de ce point de vue, la vraie crise est devant nous… »

« Père Bonino – Je constate avec joie, après des décennies où les sciences humaines régnaient en maître comme propédeutique à une théologie délibérément éclatée, que les nouvelles générations de clercs, certes trop réduites, sont généralement soucieuses d’une solide formation métaphysique et théologique à l’école de saint Thomas d’Aquin, pour mieux structurer leur identité chrétienne. »

Les deux interlocuteurs se sont accordés sinon sur les solutions ultimes (l’abbé Barthe propose de faire subir aux textes novateurs de Vatican II la « mise entre parenthèse » qu’a subie la doctrine du concile de Constance affirmant que le concile est supérieur au pape ; puis cette doctrine a été condamnée par Vatican I), du moins sur la nécessité d’opérer la « mise à plat » des problèmes doctrinaux : « Il ne faut pas des solutions de replâtrage à des déchirements de cet ordre. Il vaudrait mieux, pour ainsi dire, circonscrire d’abord la névrose, et bien s’entendre sur ces points qui font difficulté, qui sont à interpréter. Le "respect" des religions non chrétiennes pourrait en être un » (l’abbé Barthe). Ce thème de « la réforme de la réforme » liturgique et doctrinale devrait gagner de plus en plus de terrain.

Valérie Houtart