6 juin 2001

[Abbé Christian Laffargue - christicity.com] "Schisme: Quelles voies de réconciliation entre Rome et la Fraternité St-Pie X?"

SOURCE - Abbé Christian Laffargue - christicity.com - 6 juin 2001

LYON, 6 juin 2001, abbé Christian Laffargue [DECRYPTAGE/analyse] - Comme chaque week-end de la Pentecôte, les catholiques attachés à la messe tridentine et au plus long pèlerinage national français se sont retrouvés sur les routes de Chartres. Le cardinal Dario Castrillon Hoyos, préfet de la congrégation pour le Clergé, a célébré la messe dans la cathédrale. Mais dans le même temps, tout aussi rituellement, les catholiques lefebvristes de la Fraternité Saint-Pie X faisaient la route dans le sens Chartres-Paris, manifestant toujours leur opposition à un " ralliement " au Saint-Siège. On parle cependant de perspectives de réconciliation. L'avis de l'abbé Christian Laffargue, auteur de "Pour l'amour de l'Église" (Fayard, 1999).
" On sait qu'à la demande expresse du pape Jean Paul II, des contacts ont été rétablis au Vatican avec les responsables de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondée par Mgr Marcel Lefebvre en 1970. Le fondateur du séminaire d'Écône (dans le Valais suisse) et les quatre prêtres qu'il a consacrés évêques sans mandat pontifical et contre la volonté expresse du Saint-Père sont tombés sous le coup de l'excommunication prévue par le droit (1). Cette situation est-elle amenée à durer ?

C'est le cardinal Dario Castrillon Hoyos qui a été chargé de ces contacts. Il a rencontré plusieurs fois les évêques lefebvristes dont Mgr Bernard Fellay, supérieur général depuis 1994. Celui-ci échangera même quelques mots avec le Saint-Père, le 30 décembre 2000, au Palais apostolique.

Le 2 février 2001 il signe une " adresse au Saint-Père " tout entière centrée sur la " question liturgique ". On se souvient que c'est sur la question " de la messe " et de la " nouvelle messe " (promulguée par Paul VI en 1969 suite au concile Vatican II) que la dissidence de Mgr Lefebvre s'est cristallisée. Mgr Fellay cite d'ailleurs le sermon émouvant de Mgr Lefebvre lors des ordinations sacerdotales du 29 juin 1976 à Ecône : " C'est sur le problème de la messe que se joue tout le drame entre Ecône et Rome. Nous avons la conviction que le rite nouveau de la messe exprime une nouvelle foi, une foi qui n'est pas la nôtre, une foi qui n'est pas la foi catholique… "

Mgr Fellay a fait part au pape de l'étude réalisée par la fraternité St-Pie X sous le titre : " Le problème de la réforme liturgique. La messe de Vatican II et de Paul VI. Etude théologique et liturgique " (Ed. Clovis). Il pense que la réforme liturgique a développé une " théologie du mystère pascal " qui " altère la dimension sacrificielle de la messe " et que " les déficiences de cette théologie et de la liturgie qui en est issue est l'une des causes principales de la crise qui affecte l'Eglise depuis trente ans et plus ". Et il demande " parmi les mesures les plus urgentes de faire connaître publiquement la faculté que possède - selon lui - tout prêtre de célébrer selon l'intègre et fécond missel romain révisé par saint Pie V " (2).

Lors de sa rencontre du 16 janvier 2001 avec le cardinal Hoyos, Mgr Fellay faisait de cette demande au Pape un préalable à toute négociation (" Le Figaro " 24 mars 2001).

Si la " question de la messe " ou de la réforme liturgique semblent avoir été le point de départ de la " résistance " de Mgr Lefebvre et être le point essentiel mis en avant par ses successeurs, il ne faut pas perdre de vue que c'est pour des divergences graves avec le magistère universel de l'Eglise que Mgr Lefebvre et la fraternité St-Pie X se sont séparés de l'Eglise et continuent de s'en trouver séparés.
La Fraternité Saint Pie X reconnaît les Papes " régnants " comme légitimes, mais depuis la mort du pape Pie XII, elle ne suit plus le magistère romain. Elle ne reconnaît pas le magistère ordinaire du concile Vatican II qu'elle juge entaché d'erreurs, " en rupture avec la Tradition de l'Église " (Mgr Lefebvre, " Ils l'ont découronné ", 1987) et elle considère que tous les textes de tous les Papes qui ont suivi, y compris le pape Jean-Paul II, sont à rejeter et à fuir absolument.

Pour la même raison, elle a refusé le Catéchisme de l'Eglise catholique (1992). Elle a publié en 1993 la brochure : " Un catéchisme à l'image du Concile : le nouveau catéchisme est-il catholique ? Examen critique. " Le supérieur général de l'époque, l'abbé Franz Schmidberger (1982-1994) écrivait dans la préface : " Nous n'avons pas en mains, avec ce catéchisme, le manuel de la doctrine catholique, mais bel et bien l'exposé de la Foi moderniste de l'Eglise conciliaire " (p. 8).

Cette position absolue va jusqu'aux personnes : les laïcs lefebvristes ne participent pas à des messes célébrées, même dans l'ancien rite, par des prêtres " ralliés " (qui acceptent le magistère conciliaire et les documents qui ont suivi). S' ils y assistent, ils ne communient pas. S'ils n'ont pas de messes célébrées par l'un des leurs, ils la lisent chez eux (ce fut toujours, sur ce point, la position de Mgr Lefebvre, au moins depuis 1972).

La position générale et constante de Mgr Lefebvre et de sa fraternité est de ne se sentir obligé d'obéir qu'au magistère extraordinaire de l'Eglise (proclamation de dogmes définis comme tels). C'est d'ailleurs la même position de l'autre côté des extrêmes : les progressistes ou modernistes rejoignent les intégristes en contestant, discutant et refusant les documents pontificaux (l'encyclique " Evangelium vitae " par exemple) ou ceux des congrégations romaines pourtant approuvés par le pape, comme " Dominus Jesus " (doctr. de la Foi, 6 août 2000). On pourrait ajouter, pour être juste, que s'il y a un vrai schisme d'un côté, il y a, en plus, de l'autre, de nombreuses hérésies. Et les lefebvristes font remarquer que ceux-là ne sont pas exclus et qu'ils tiennent même des postes d'autorité dans les diocèses, séminaires et universités catholiques.

Pour conclure, on pourrait observer que, même si les supérieurs de la fraternité St-Pie X évoluaient, ils ne pourraient le faire qu'en rupture avec l'enseignement constant de Mgr Lefebvre avant et après le schisme. Les quatre évêques, très unis dans une opposition dure et absolue, se diviseraient alors, et leurs fidèles, très motivés de par le monde rejetteraient " les traîtres et les renégats " en les privant de tout soutien, notamment financiers.

Il faudrait, de leur part, une conversion intellectuelle et mentale héroïque, dans l'ordre de la Croix. Or, mes confrères prêtres sont dans le monde du " combat ", de la " croisade contre l'erreur, contre l'ennemi " et tout affaiblissement est interprété comme une trahison.

Ils ne sont pas du tout dans l' esprit d'une " repentance " (terme qu'ils abhorrent) ou d'une simple remise en cause, mais d'une reconquête. Ils souffrent de l'éloignement d'avec l'Eglise mais veulent qu'elle reconnaisse ses torts, ses erreurs et revienne au " statut ante " de façon autoritaire s'il le fallait.

A vue humaine, il y a peu d'espoir de réconciliation. En raison de son importance pour les lefebvristes, la " question liturgique " demeure la seule voie par laquelle un accord pourra se faire. Le Saint-Siège en est conscient qui non seulement dénonce certains excès mais rappelle certains principes (voir la nouvelle " Présentation générale du Missel romain ", publiée le jeudi saint 2000). L'enjeu majeur est de réaliser la réforme voulue par Vatican II, dans le respect et la continuité des rites antérieurs, à la lumière du catéchisme. Un document faisant autorité comme l'encyclique " Mediator Dei " de Pie XII (1947) sur la liturgie pourrait y contribuer. Et provoquer un ébranlement salutaire chez les successeurs de Mgr Lefebvre.
Tout est parti de la messe, tout peut revenir par la messe, au-delà de tel rite."
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[decryptage] L'abbé Christian Laffargue est prêtre du diocèse de Belley-Ars.
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Notes

(1) Excommunication " latae sententiae ", C.I.C., canon 1634, 1 et 1382. Cf. aussi la réponse de la Congrégation romaine des évêques et le conseil pontifical pour l'Interprétation des textes législatifs à l'évêque de Sion (Valais/Suisse) du 16 mai 1997, in Doc. Cath. du 6-VII-97, p. 621-623. (2) : " Lettre à nos frères séparés ", mars 2001, n° 9 in " Fideliter ", mai-juin 2001, p. 14-16 sous le titre " Le préalable de la Messe ".