30 novembre 2010

[La Nef - Christophe Geffroy] Le carmel d'Alençon : honorer la Mère de Dieu

SOURCE - La Nef - Christophe Geffroy - novembre 2010

Comme la plupart des ordres religieux, le Carmel n’a pas échappé à la crise. Certains monastères, cependant, restés fidèles aux constitutions de sainte Thérèse d’Avila, se portent mieux que d’autres. C’est le cas du Carmel d’Alençon, ville natale de sainte Thérèse de Lisieux. Entretien avec la Mère supérieure.
La Nef – Pourriez-vous d’abord nous dire quelques mots sur l’origine et l’histoire du Carmel d’Alençon et où il en est aujourd’hui ?
Mère Marie-Catherine de la Trinité – Il y a eu deux carmels à Alençon. Le premier exista de 1780 à 1792 grâce à Madame Louise de France, Prieure du Carmel de Saint-Denis. Les carmélites furent dispersées pendant la tourmente révolutionnaire.

En 1888, le Carmel du Mans envoya six sœurs pour réaliser une deuxième fondation à l’instigation du Chanoine Lebouc et de ses deux sœurs.
Nous sommes actuellement treize. Outre le temps passé au chœur (6 à 7 heures) et les tâches domestiques ordinaires, notre artisanat principal est la confection de santons et d’Enfants-Jésus en cire : artisanat typiquement carmélitain. Sainte Thérèse d’Avila emportait toujours une statue de l’Enfant-Jésus dans ses fondations : Il est Roi au Carmel. Il montre le visage du Père venant à nous comme un enfant et nous apprend à retourner au Père en enfant.
Quel est l’apport spécifique du Carmel parmi les ordres contemplatifs féminins ?
L’Ordre de la Bienheureuse Vierge Marie du Mont-Carmel a été institué pour honorer la Mère de Dieu. Un adage ancien le définit : « le Carmel est tout entier de Marie ». Sans l’amour de Marie, le Carmel cesserait d’être le Carmel, à cet amour Marie a répondu en remettant le Scapulaire à saint Simon Stock (Général de l’Ordre) en 1251.

C’est l’âme pleine d’amour pour Marie, que notre Mère sainte Thérèse entreprit sa réforme au XVIe siècle dont elle a clairement expliqué le but et les moyens, le principal étant l’oraison. Elle nous dit : « Je vous demande de vous efforcer d’être telles que nous méritions d’obtenir de Dieu deux choses. La première est que, parmi les innombrables théologiens qui nous entourent, beaucoup aient les qualités nécessaires à leur état et, s’ils ne les ont pas toutes, que le Seigneur les leur donne. La seconde, qu’une fois engagés dans cette mêlée qui n’est pas petite, le Seigneur les soutienne de sa main afin qu’ils sachent se libérer des périls du monde et se bouchent les oreilles au chant des sirènes sur cette mer périlleuse. Si, sur ce point, nous pouvons obtenir quelque chose de Dieu, dans notre clôture nous combattons pour Lui. Si vous n’offrez pas vos oraisons, vos vœux, vos disciplines et vos jeûnes pour ce but que je vous ai dit (la Sainte Église et sa hiérarchie), soyez sûres et pensez bien que vous ne faites pas ce que vous devez, que vous n’accomplissez pas les fins pour lesquelles le Seigneur vous a réunies en ce lieu ».

L’apport spécifique est tout simple : les âmes se perdent, soutenons les théologiens et les prêtres pour qu’ils soient de bons pêcheurs d’hommes. C’est exactement ce que disait sainte Thérèse d’Alençon : « Je suis venue au Carmel pour sauver les âmes et surtout afin de prier pour les prêtres ».
Bien des communautés ont fait naufrage après le Concile, comment avez-vous surmonté ces temps troublés ?
Dans la tempête, il reste toujours la boussole infaillible : le pape ! Dans les années après le Concile, tout le monde était désorienté ; beaucoup se croyaient « inspirés d’En-Haut ». Nous nous accrochions au pape strictement.

Pour la liturgie, nous n’avons pas suivi nos préférences. Nous avons écouté le successeur de saint Pierre, quoi qu’il en coûte et il en a coûté justement en raison de ceux qui se croyaient « inspirés ».

Nous avons eu cette grâce de n’avoir eu comme prédicateurs de retraite que des théologiens très sûrs, mais c’est vrai que le tri n’était pas facile.

Le Carmel n’est pas à « inventer » sans cesse. Nous avons des parents qui nous ont montré la voie, à nous de la suivre. Si on lit honnêtement notre Mère sainte Thérèse, les « problèmes » sont vite résolus.
Vous faites partie des 92 carmels à avoir opté pour les Constitutions promulguées le 8 décembre 1990 par le pape Jean-Paul II. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
Après le Concile, une nouvelle législation « ad expérimentum » (les Déclarations) a régi les Carmélites Déchaussées en remplacement des Constitutions en vigueur.

Cette période « d’expérience » engendra tensions, controverses et, malheureusement, abandon d’éléments essentiels à notre vie. Un grand nombre de Carmélites supplia le Saint-Siège d’avoir une législation fidèle au charisme thérésien et aux documents du Concile Vatican II.

En 1984, Sa Sainteté Jean-Paul II trancha la question par une lettre du cardinal Casaroli disant : « Il est hors de doute que le charisme de la réforme thérésienne trouve son expression véritable dans les Constitutions de 1581, ultime texte ardemment désiré et approuvé par la Sainte fondatrice. »

À partir de cette lettre, nous avons attendu nos nouvelles Constitutions révisées, mais les projets de l’Ordre n’aboutissaient pas. Aussi les Prieures du monastère de San José à Avila (noyau de la réforme) et du monastère de la Colline des Anges de Getafe-Madrid de sainte Maravillas de Jésus ont soumis directement à Sa Sainteté Jean-Paul II le texte des Constitutions de 1581, révisées selon les documents du Concile et du nouveau code de droit canonique. Jean-Paul II, qui connaissait bien le Carmel, les a tout de suite approuvées.

Les Constitutions de 1990 ont gardé le texte original de 1581 en son entier. Ainsi nous ne pouvons pas « interpréter ». La Madre nous parle directement avec sa chaleur, sa simplicité et son sens pratique.
Où en sont les vocations chez les Carmélites ? En quoi est-ce une vocation « d’actualité » ?
Le Seigneur appelle toujours. Nous ne traversons pas une crise des vocations mais des réponses à la vocation.
Il y a des jeunes qui viennent, attirées par la simplicité et l’absolu du Carmel, quelques-unes persévèrent. Les autres (plus nombreuses) retournent dans le monde, certaines, parce que le Carmel n’était pas leur vocation mais c’est rare, les autres... il y a beaucoup d’infidélité.

« L’actualité » de notre vocation s’est révélée de façon encore plus évidente lors de l’année sacerdotale. Pour nous, ipso facto, elle était « l’année de la Carmélite ». La triste campagne médiatique orchestrée contre le Saint-Père et les prêtres met en valeur la nécessité de les défendre avec nos seules armes : la prière et le sacrifice.

Le modèle, la Mère, la Maîtresse de vie d’une carmélite, c’est la Vierge Marie. Près d’Elle nous sommes au pied de la Croix comme Marie-Madeleine avec saint Jean qui représente tous les prêtres. Nous offrons au sang rédempteur ceux que le Christ a choisis pour être ses amis. C’est là le Cœur de l’Église.
La petite Thérèse de Lisieux est née à Alençon. Que cela signifie-t-il pour vous ? Demeure-t-elle un exemple pour une carmélite du XXIe siècle ?
Là où l’on naît, là est le cœur. Thérèse est toujours ici.

Alençon, c’est la ville où elle a fait ses premiers pas dans la vie, où elle est devenue enfant de Dieu et de l’Église, où elle a pu contempler l’amour de ses parents, Louis et Zélie Martin, modèles de couple chrétien à notre époque où le mariage et la famille sont tellement attaqués. Alençon, ce sont les « années ensoleillées » de la petite enfance jusqu’à la douloureuse épreuve de la mort de sa mère. Sainte Thérèse demeure un exemple pour une Carmélite du XXIe siècle, car elle a compris en profondeur l’Évangile. Elle est la voix de Marie prenant la parole pour dire que sa vocation fut de se plonger dans l’humilité de l’Amour.
Quels sont vos choix liturgiques et pourquoi ? Comment voyez-vous l’avenir de cette question dans l’Église ?
Depuis la promulgation du Motu proprio Summorum Pontificum, les messes du dimanche et des fêtes de précepte sont célébrées dans notre chapelle selon la forme extraordinaire et, en semaine, selon la forme ordinaire. Notre préférence va à la forme extraordinaire, faisant nôtre ce que disait André Frossard : « Je trouve que la nouvelle messe n’est pas assez contemplative, que l’on y parle trop et que la part du mystère y est bien réduite ». La forme extraordinaire exprime mieux le sacré, l’amour et le respect. C’est une liturgie « amoureuse ». Comparez par exemple les traductions du missel Dom Lefebvre avec celles d’un missel moderne. Le ton n’est pas du tout le même. Aujourd’hui on parle à Dieu d’égal à égal, ou peu s’en faut. Pour nous, ce n’est pas du tout une question d’être attachées au temps jadis. Nous ne sommes pas des passéistes.

Quant à l’avenir de cette question, en filles de l’Église, nous nous appuyons sur Sa Sainteté Benoît XVI.
----------
Propos recueillis par Christophe Geffroy

Monastère du Carmel, 2 place Marguerite de Lorraine, 61000 Alençon. Tél : 02 33 26 15 66.

Messe le dimanche et les fêtes d’obligation, selon la forme extraordinaire, à 9h.