10 mars 2015

[Paix Liturgique] Le pragmatisme de François: justice pour les fidèles de Lecce en italie

SOURCE - Paix Liturgique - lettre 480 - 10 mars 2015

Depuis 2009, l’archevêque de Lecce maintenait le groupe Summorum Pontificum local dans l’instabilité. En 2013, il faisait partie des évêques des Pouilles qui ont demandé, sans succès, au Pape François de revenir sur le texte de Benoît XVI. Pourtant, il y a quelques semaines, Mgr D'Ambrosio a enfin régularisé la situation des fidèles. Voici le récit de cette longue bataille, suivi de nos reflexions.
I – CINQ ANS DE PERSÉVÉRANCE ENFIN RÉCOMPENSÉS
C’est en avril 2009, alors que s’installe un nouvel archevêque dans la ville que la première messe Summorum Pontificum est célébrée à Lecce.

Organisée avec la complicité d’un curé bienveillant et célébrée par un prêtre de l’ICRSP venu de Rome, elle est l’aboutissement de longues semaines de préparatifs. Bénéficiant d’un créneau libéré par le curé entre deux messes dominicales ordinaires, les fidèles vont toutefois vite déchanter car, dès la seconde messe, les paroissiens habituels protestent si vertement auprès du curé que celui-ci décide de déplacer la célébration dans une église annexe. La nouvelle église est belle et bien située mais coupe immédiatement les fidèles de la vie de la paroisse.

Grâce à l’appui du curé et aux efforts des fidèles qui, chaque semaine, multiplient les coups de fil et les kilomètres pour obtenir un célébrant, la célébration parvient tant bien que mal à se dérouler tous les dimanches. Les fidèles organisent en outre plusieurs conférences et rencontres sur le thème de la liturgie traditionnelle et du motu proprio. Chacune de ces conférences est non seulement une occasion de publiciser leur existence et leur attachement à la messe traditionnelle mais aussi l’occasion d’inviter un prêtre qui restera pour célébrer le dimanche. Toutefois, tous ces efforts coûtent cher, en temps comme en argent mais manifestement les fidéles sont disposés à faire de très gros efforts pour pouvoir vivre leur vie chrétienne au rytme de la forme extraordinaire.

En fin d’année 2009, ils demandent toutefois à leur nouvel archevêque de leur désigner un célébrant régulier. Sa réponse ne tarde pas : il n’a pas l’intention de désigner qui que ce soit. Les fidèles ne se laissent pas abattre et poursuivent leur tour de force hebdomadaire dimanche après dimanche. Imaginant que la présence de prélats pourrait aider à débloquer la situation, les fidèles invitent à tour de rôle le cardinal Brandmüller, le cardinal Burke, Mgr Schneider, etc. Hélas, rien n’y fait, « au contraire, nous confie l’un des responsables du groupe, peu à peu, l’indifférence à notre égard se transforma en une franche hostilité tant et si bien que même les quelques prêtres diocésains qui assistaient à nos conférences finirent par ne plus y participer ».

Au bout du compte, en 2014, le groupe finit même par être jugé indésirable dans l’église mise à sa disposition. « La Providence voulut alors qu’un autre prêtre, aumônier d’une confrérie, non seulement nous offrit son hospitalité mais se déclara aussi prêt à célébrer pour nous. Malheureusement, c’était sans compter sans les membres de la confrérie qui protestèrent auprès de l’archevêque. Celui-ci manifesta immédiatement à notre prêtre une interdiction explicite de biner [célébrer deux fois la messe le même jour, triner étant célébrer trois fois, ndlr]. Le bon prêtre ne s’en laissa pas compter et décida alors de se trouver un remplaçant pour la messe de la confrérie, célébrée en forme ordinaire, pour pouvoir être disponible pour nous. Arriva alors une obligation toute nouvelle pour les aumôniers de confrérie du diocèse de célébrer en personne les messes dominicales de leur confrérie... »

Face à une telle adversité, bon nombre de demandeurs auraient baissé les bras. Pas ceux de Lecce, qui décidèrent de faire appel à Rome. Il faut dire que l’un des membres de la Commission Ecclesia Dei, le père Nuara, était venu plusieurs fois célébrer à Lecce et connaissait bien la situation. Surtout, les demandeurs de Lecce avaient l’avantage de pouvoir proposer une solution toute simple puisque le bon aumônier de la confrérie, malgré les interventions épiscopales, était toujours prêt à célébrer pour eux. Il suffisait en effet de lui accorder la possibilité de biner et, donc, de célébrer aussi bien pour la confrérie (dans la forme ordinaire) que pour le groupe Summorum Pontificum (dans la forme extraordinaire).

Les fidèles avaient aussi un autre atout dans leur manche : leurs bonnes relations avec la presse, forgées au fil de leurs nombreuses initiatives de promotion de la liturgie traditionnelle. Et, de fait, dès que la rumeur d’un recours à Rome commença à se répandre dans la ville, l’archevêque prit contact avec les fidèles et publia enfin, en novembre 2014, un décret autorisant l’aumônier à biner. Depuis, les fidèles du groupe se retrouvent chaque dimanche à 11 heures en l’église San Francesco da Paola (ou Santa Maria degli Angeli), place des Peruzzi.
II – LES COMMENTAIRES DE PAIX LITURGIQUE
1) Pays du catholicisme conservateur par excellence, où les abus liturgiques ne se sont véritablement diffusés que sous Jean-Paul II et non dès les années 70 comme cela s’est passé chez nous, l’Italie avait toutefois accueilli le motu proprio Summorum Pontificum avec une vraie curiosité. Les médias l’avaient largement commenté, des groupes de fidèles avaient vu le jour ainsi que de nombreux sites internet et, surtout, de nombreux prêtres avaient manifesté leur désir de se familiariser avec le missel de 1962.

Il faut dire que le précédent document pontifical relatif à la liturgie traditionnelle – le motu proprio Ecclesia Dei de Jean-Paul II, 1988 – n’avait pas eu un grand succès dans le pays. Les instituts Ecclesia Dei eux-mêmes n’y étaient, en 2007, que peu présents, en dépit de l’implantation du séminaire de l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre (ICRSP) dans la campagne toscane. De sorte que c’est la Fraternité saint Pie X qui portait quasiment à elle seule l’apostolat de la « messe en latin », comme l’appellent les Italiens, dans la péninsule avec ses trois prieurés d’Albano (Rome), Rimini et Montalenghe (Piémont).

2) Huit ans plus tard, il est difficile d’établir un bilan précis du motu proprio dans le pays. Surtout si l’on considère les messes dominicales hebdomadaires. Autour d’une centaine en 2012, elles ne sont plus que 50 aujourd’hui même si de nombreuses messes de semaine fédèrent de nombreux groupes de demandeurs. Il faut dire que la mise sous tutelle abrupte des Franciscains de l’Immaculée en juillet 2013 a privé du jour au lendemain les fidèles d’une trentaine de messes dominicales sans que les évêques ne pourvoient au maintien de ces célébrations.

Si de très nombreux prêtres transalpins ont embrassé la liturgie traditionnelle depuis 2007, beaucoup ne la célèbrent en fait qu’en privé car - comme l'indique le cas de Lecce - ils craignent l’hostilité de leurs confrères ou de leur évêque. Du coup, et c’est criant à Rome, de très nombreux prêtres italiens célèbrent leur messe quotidienne avec le missel de saint Jean XXIII, mais bien peu la célèbrent publiquement le dimanche.

3) De quoi sera fait l’avenir de l’Église ? En Italie comme ailleurs, les prêtres des nouvelles générations sont généralement très classiques. Comme le prouvait le sondage que nous avons fait réaliser en Italie en 2009 (notre lettre 200), l'attente des fidèles pour la messe traditionnelle y surpasse la demande française : 63% des fidèles pratiquants assisteraient régulièrement à la messe en forme extraordinaire s’ils en avaient la possibilité matérielle. Ces données expliquent sans doute pour une part le pragmatisme de l'archevêque de Lecce. Mais pas seulement.

4) Dès 2010, le journaliste Alberto Carosa avait publié un petit ouvrage sur les oppositions épiscopales rencontrées par le motu proprio en Italie. En 2013, à peine le pape François élu, ce sont les évêques des Pouilles qui lui ont réclamé de revenir sur le texte pacificateur de Benoît XVI. Hélas pour eux, le Saint-Père les avait immédiatement refroidis comme nous l’avons relaté dans notre lettre 389 (28 mai 2013). Certes, à propos de la réforme liturgique, le Pape a dit il y a quelques jours, le 7 mars 2015, lors d’une célébration dans l’église romaine de Tous les Saints : « On ne peut revenir en arrière, nous devons toujours aller de l’avant, toujours en avant, et celui qui revient en arrière se trompe ». Mais ces propos très pragmatiques peuvent aussi s'appliquer au motu proprio : puisque Summorum Pontificum existe et rappelle que la liturgie traditionnelle n'a jamais été interdite, l'on doit tenir compte de cette évidence donc ne pas revenir en arrière.

Du coup, la décision de l’archevêque de Lecce, Mgr D’Ambrosio, de régulariser la situation du groupe Summorum Pontificum local prend tout son sens. Il ne s’agit pas seulement d’une reddition face à la persévérance des demandeurs mais bien d’une adaptation pragmatique à la réalité : comme le pape François l'a dit, le motu proprio n’est pas une parenthèse éphémère mais un acte durable du magistère pétrinien que les évêques se doivent accompagner.