2 décembre 2014

[Abbé Simoulin, fsspx - Le Seignadou] L’an 2014 s’achève... (éditorial)

Abbé Simoulin, fsspx - Le Seignadou - décembre 2014

L’an 2014 s’achève. Il fut ce qu’il fut, avec son cortège d’épreuves, de grâces et de bénédictions… La grâce a prévalu, selon l’éternelle loi de l’amour divin.

Nous avons saintement célébré, à Lourdes et ailleurs, le centenaire de la mort de St Pie X, décédé le 20 août 1914. D’autres ont célébré le centenaire de la mort au combat de Charles Péguy, le 5 septembre 1914. 

Mais il est un auteur chrétien de sa génération, qui fut un peu son disciple mais surtout l’ami de Jacques Maritain, dont quasi personne n’a célébré la mort au champ d’honneur dès les premiers combats le 22 août 1914, en la fête du Cœur Immaculé de Marie: Ernest Psichari. 

Le Père de Chivré conservait précieusement une photo de sa tombe prise en 1938. Je ne sais si cette tombe est demeurée ainsi mais la photo permet de lire l’inscription :« Ernest Psichari, lieutenant d’artillerie, né le 27 septembre 1883, mort le 22 août 1914 à Rossignol, pour sa patrie et pour son Dieu." Le sang des martyrs vaut mieux que l’encre des savants." » 

Au verso, écrit de la main du Père: « Dieu aime les immolés d’une irrésistible prédilection ».

Petit-fils d'Ernest Renan, né le 27 septembre 1883, il reçoit le baptême dans le rite orthodoxe le 25 novembre, à la demande de son arrière-grand-mère maternelle. Toute son enfance et sa jeunesse se dérouleront cependant dans une atmosphère familiale totalement agnostique et socialiste. Après une jeunesse tourmentée, il décide de s'engager dans l'armée où il trouve l'idéal d'ordre et d'autorité qu'il recherchait. Durant un séjour au désert, il approfondit ses réflexions morales puis religieuses sur le Christianisme face à l'Islam. C’est là qu’il acquiert peu à peu la foi catholique et qu’il prépare sa conversion. Il reçoit un jour une carte postale de la Vierge de La Salette, en pleurs, envoyée par son “ frère converti,” Jacques Maritain, petit-fils de Jules Favre, élevé lui aussi dans l’irréligion la plus intransigeante, mais converti depuis 1906. Les mots de son ami l’ont étonné : « Il me semble qu’elle pleure sur toi cette Vierge si belle, et qu’elle te veut. Ne l’écouteras-tu point ? » 

Le 31 janvier 1913, il rencontre pour la première fois le Père Clérissac. Après deux heures de discussion, tout est décidé: confession, puis confirmation, le plus tôt possible, et dimanche première communion; puis pèlerinage d'action de grâces à Chartres. Ernest a absolument conquis le Père qui n'a trouvé en lui aucune résistance, « une âme sans un pli, toute pleine de foi. » Le 4 février, agenouillé devant la statue de Notre-Dame de la Salette, d'une voix forte – quoique très ému – Ernest Psichari lit la profession de foi de Pie IV et celle de St Pie X. C’est ensuite la longue confession. 

Le samedi 8 février, il est confirmé par Mgr Gibier. Ernest a choisi de prendre le nom de Paul à la confirmation, en réparation des outrages de Renan, son grand-père, à saint Paul.

D'une voix tremblante d'ardeur contenue, il récite le Credo, dont il scande une a une les syllabes latines. Après la confirmation, l'évêque de Versailles lui demande son âge. « Vingt-neuf ans! Beaucoup de temps perdu », répond le nouveau confirmé. Et s'inclinant filialement sous la bénédiction du prélat, il lui dit pour exprimer le drame qui venait de se jouer entre Dieu et lui: « Monseigneur, il me semble que j'ai une autre âme ». Le lendemain, Ernest Psichari fait sa première communion, puis il part pour Chartres en pèlerinage. A son retour, il confie au P. Clérissac: « Je sens que je donnerai a Dieu tout ce qu'il me demandera. » 

Il lui en coûta d’annoncer la nouvelle à sa mère, la fille d’Ernest Renan : « Maman, il faut que je te dise ; je suis devenu catholique, et j’ai fait ma première communion. Peut-être que cela va te contrarier. – Au contraire. Tu as eu raison, puisque tu croyais devoir le faire. » Et elle s’en fut chercher, dans sa boîte à bijoux, la petite croix d’or du baptême de son premier-né. Ernest la reçut à genoux en baisant les mains de sa mère. Admis le 19 octobre dans le tiers-ordre dominicain, celui qui est maintenant "frère Paul" récitera le bréviaire chaque jour, dans la grande espérance de pouvoir se consacrer à Dieu dans le grand ordre de St Dominique. 

Notons encore cette lettre du P. Clérissac le 17 mars 1914 : « Je sors de l’audience du Saint-Père et en rapporte une bénédiction spéciale tout à fait explicite et donnée avec élan pour vous. Je vous remettrai, quand je vous verrai, un petit crucifix qu’il a béni à votre intention ». Il s’agit de St Pie X, qui mourra le 20 août, deux jours avant Psichari.

Ernest Psichari partit au combat le second jour de la guerre. Il ne se fait aucune illusion : « Nous ne sommes pas prêts ; mais j’ai confiance dans le Sacré-Cœur. » En quittant Cherbourg, il dit à l’abbé Bailleul: « Je vais à cette guerre comme à une croisade, parce que je sens qu'il s'agit de défendre les deux grandes causes à quoi j'ai voué ma vie », la France et Dieu. Le 20 août, il écrit a sa mère: « Nous allons certainement à de grandes victoires et je me repens moins que jamais d'avoir toujours désiré la guerre, qui était nécessaire à l'honneur et à la grandeur de la France. Elle est venue à l'heure et de la manière qu'il fallait. Puisse la Providence ne pas nous abandonner dans cette grande et magnifique aventure ! »

Le soir du 22 aout, à Saint-Vincent-Rossignol, après être resté douze heures sous un feu épouvantable, Ernest Psichari fut tué net d'une balle à la tempe. Un témoin de sa mort écrit: “Vers six heures, j'aperçus le lieutenant Psichari sous un arbre, près de ses pièces, soutenant le capitaine Cherrier, blessé. Il se dirigea avec lui vers l'ambulance et le laissa à la porte, pour retourner à sa pièce. A ce moment les Allemands arrivaient à 30 mètres. Le feu cessait et le lieutenant était assez isolé. Je le vis regarder le demi-cercle que les Allemands formaient autour de lui, se pencher soit sur son canon, soit sur un blessé et tomber mortellement frappé. Il tomba sur le canon et glissa à terre.” Les survivants furent faits prisonniers et employés à ensevelir les morts. Une religieuse les assistait. Elle découvrit, enroulé au bras d’Ernest, son chapelet à grains noirs. Le corps du héros saharien mort au champ d’honneur fut identifié, le 9 avril 1919, à son scapulaire de tertiaire de saint Dominique et à la petite croix en or de son baptême.

« A trente ans, ayant tout accompli, Dieu l'appelait a la vie et a la gloire. Ernest Psichari y est entré, suivi d'une héroïque milice de jeunes martyrs qui lui ont fait au Ciel la plus belle cohorte qu'il ait jamais conduite. » (Henri Massis) 

« Il avait voulu la vérité pour elle-même. Il a vécu d'elle, il est mort pour elle, car il ne séparait pas l'amour de la France de l'amour de l'Eglise, et sa mort admirable n'a pas seulement la valeur d'un don offert pour le service de la patrie, mais encore celle d'un témoignage rendu à DIEU, et d'un sacrifice véritable librement consenti et con­sommé en union avec le sacrifice de l'autel. » (Jacques Maritain). 

« Tout est prodigieux et providentiel dans cette vie, cette conversion et cette mort d'Ernest Psichari. Il symbolise l'œuvre que Dieu accomplit en ce moment. Comme lui et par lui, Dieu transforme la France renanienne en France de saint Louis ; c'est là le sens profond du drame qui se déroule. » (Lettre du R.P. Pègue à Jacques Maritain, 24 février 1916.)

Même s’il n’a pas laissé une œuvre littéraire très importante, et même si tout ne fut pas exemplaire dans sa courte existence, Ernest Psichari fait partie de cette jeunesse enflammée de foi chrétienne dont nous pourrions tenter de recueillir quelques flammes. 

Ce qu'il voulait de toute son énergie tendue, c'était, a-t-il été dit, prendre contre son père le parti de ses pères, formule saisissante où se résume l'accablante obligation de notre jeunesse. Et déjà il pensait: Une, deux générations peuvent oublier la Loi, se rendre coupables de tous les abandons, de toutes les ingratitudes. Mais il faut bien, à l'heure marquée, que la chaine soit reprise et que la petite lampe vacillante brille de nouveau dans la maison [lettre à M. Henry Bordeaux]. 

Depuis ce 22 août 1914, cent années se sont écoulées. Quatre, cinq générations se sont succédées… et ont encore oublié la Loi. La décadence s’accélère de jour en jour. Faudra-t-il attendre encore longtemps pour voir se lever une génération désireuse – et qui saura s’en rendre capable – de reprendre la chaîne et de faire briller dans la maison la petite lampe vacillante ?