28 janvier 2014

[Le Seignadou] L’heure est plus que jamais à la prière et à l’union des cœurs

Le Seignadou - février 2014

L’Association du R.P. de Chivré vient de publier son 39e carnet sur le thème de « L’Église ». Ces prédications du P. de Chivré datent d’avant, pendant et après le dernier Concile. Il me semble que leur méditation peut nous aider à « raison garder ». Depuis quelques mois, en effet, un vent de folie semble souffler dans nos milieux, et ce vent est si violent, si irrationnel qu’il a fait tomber plusieurs prêtres ou fidèles, trop nombreux mais heureusement moins nombreux qu’ils veulent en donner l’impression. Les uns tombent à gauche, trouvant Mgr Fellay trop dur, les autres tombent à droite, le trouvant trop mou, voire libéral. Grâce à Dieu, la grande majorité continue à marcher droit, dans la fidélité à l’esprit de Mgr Lefebvre. Mais il faut avouer que l’air devient souvent irrespirable : si vous affirmez publiquement votre fidélité et votre confiance envers le Supérieur Général, on dira que vous semez le désordre et le trouble. Mais si vous parlez publiquement contre Mgr Fellay, l’accusant de libéralisme et de manœuvrer en secret pour opérer un ralliement, vous aurez la réputation d’être un vaillant défenseur de la Foi et de l’esprit de Mgr Lefebvre. Sic !
Cela a déjà été dit et écrit tant de fois qu’on hésite à le redire encore, mais Mgr Lefebvre n’a jamais eu la prétention de « convertir » Rome ou le Pape. Tout au plus, disait-il à ceux qui lui reprochaient d’aller à Rome : « Sait-on jamais ? Si je peux leur faire un peu de bien ! » Il n’a jamais refusé les contacts ou démarches avec Rome, dans l’espoir d’obtenir la liberté pour son œuvre et pour la Tradition. Il a combattu et condamné les erreurs modernes, celles d’avant le Concile, celles du Concile et celles d’après le Concile, mais il n’a jamais combattu ou condamné Rome ou le Pape. Et l’histoire, dans sa vérité objective, loin de toutes les interprétations que nous pouvons donner aux faits, nous dit que son œuvre a été approuvée et reconnue par Mgr Charrière, évêque parfaitement conciliaire, ce qui n’a jamais troublé Monseigneur ; et l’histoire nous dit aussi que le protocole d’accord qu’il avait signé le 5 mai 1988 allait beaucoup plus loin que les propositions de Mgr Fellay de l’an dernier. Et ce n’est pas Mgr Lefebvre qui a mis un terme aux démarches mais bel et bien le Cardinal Ratzinger, en refusant ce que Monseigneur demandait dans sa lettre du 6 mai 1988 (la consécration d’un évêque, prévue dans le protocole d’accord). Ce sont là des choses qu’il ne faut pas oublier. On peut n’être pas d’accord avec l’attitude de Mgr Lefebvre (mais alors il fallait le dire de son vivant !), ou celle de Mgr Fellay (mais alors, il fallait le dire dès les premiers contacts en 2000 !), mais il est étrange que ce réveil des consciences n’intervienne qu’aujourd’hui alors que rien ne s’est fait et rien n’est prévu ; et il est contraire à la vérité d’accuser Mgr Fellay d’être infidèle à Mgr Lefebvre. Au-delà des différences de tempérament ou d’expérience personnelle, la ligne est demeurée la même, et rien ne laisse prévoir qu’elle soit sur le point de changer, bien au contraire.

En tout cela, ce qui fait défaut à beaucoup, c’est tout simplement le sens de l’Église. Je ne prétends pas être meilleur que ceux qui nous abandonnent, mais je me demande vers quelle Église ils s’aventurent ? Celle de Pie XII ? Celle de saint Pie X ? Celle de saint Pie V ? Mais ces « Églises » n’existent pas, pas plus que l’ « Église conciliaire », ou la « Rome moderniste », qui ne sont que des formules pour désigner l’état de l’Église ou de Rome depuis le dernier concile, depuis qu’elles sont infestées de ce « courant de pensée de type non catholique » qui veut leur donner un visage plus « mondain » ! Il n’y a que la sainte Église catholique et la Rome éternelle, à laquelle Mgr Lefebvre a lancé un vibrant hommage en conclusion de son Itinéraire spirituel, et que nous voulons servir selon toute la grâce reçue de l’Église en la fête de la Toussaint 1970. Ils oublient simplement que l’Église n’est pas un « être de raison », comme disent les philosophes. Parler du Corps « Mystique » ne revient pas à parler d’une réalité seulement spirituelle, mais d’une société qui cache en elle un mystère, qui est la présence de son fondateur, toujours vivant et agissant en elle. Le Corps Mystique de Jésus-Christ qui est l’Église est un être réel, incarné, qui vit dans le temps et avec laquelle on ne peut entrer en communion de grâce, de vérité et de vie, que dans sa réalité actuelle, telle qu’elle vit sous le pontificat du Pape François. Que ce Pape soit pécheur comme chacun de nous, qu’il adhère aux mêmes erreurs que ses prédécesseurs immédiats, et même à d’autres erreurs… qu’il soit infidèle même aux devoirs de sa charge, il est et demeure le vicaire du Christ, et, comme le disait si bellement le P. Calmel : « L’Église n’est pas le Corps Mystique du Pape ; l’Église avec le Pape est le Corps Mystique du Christ. » A moins d’être « sédévacantiste », nul ne peut refuser ou nier que le Pape François soit le Vicaire du Christ.

Un excellent théologien attirait naguère notre attention sur ce point : « Simon, fils de Jean, dit le Seigneur, sois le pasteur de Mes brebis. Il ne dit pas : de tes brebis. Elles seront toujours à Lui. Elles ne changeront pas de Maître. Je suis, dit-il encore, le Bon Pasteur ; je connais Mes brebis et Mes brebis Me connaissent. Il les appelle par leur nom, elles écoutent Sa voix, et Il les emmène (Jean, X). Ce sont donc les brebis du Christ, ce ne sont pas ses brebis à lui que paîtra Simon Pierre. C'est au nom du Christ, ce n'est pas en son nom à lui qu'il les emmènera. Voilà tout ce qu'on veut rappeler quand on dit que Pierre est le Vicaire de Jésus-Christ, puisqu'il est convenu que le pouvoir exercé au nom d'un autre se nomme un pouvoir vicaire. Pierre est le Vicaire du Christ ; il n'est pas le vicaire de l'Église et de la multitude chrétienne. La juridiction ne remonte pas de l'Église jusqu'à lui, elle descend de lui jusqu'à l'Église. Le Christ la lui donne directement et immédiatement, il ne la donne pas d'abord à l'Église avec charge de la lui transmettre. Plus encore, il la lui donne antérieurement au choix par l'Église d'une constitution. » Le concile du Vatican (Vatican I) dénonce comme contraire à l'Écriture et à la Tradition, l'erreur de ceux qui prétendent « que le primat de juridiction a été donné immédiatement et directement non pas à Pierre, mais à l'Église, et par elle à Pierre son ministre ».

Il n’est donc pas possible de se croire en communion avec l’Église indépendamment du Pape, en faisant comme s’il n’existait pas, en refusant tout contact et tout rapport avec lui, en ne cherchant pas à établir avec lui des relations qui nous permettent d’accepter sa juridiction tout en refusant la compromission avec ses erreurs. Que cela soit difficile, délicat, périlleux, et tout ce qu’on voudra, soit. Mais ne pas le désirer, ou même le refuser à priori, c’est refuser la communion avec l’Église telle qu’elle a été constituée par Jésus-Christ, et telle qu’elle vit en 2014. Il n’y a pas d’Église de saint Pie V, de saint Pie X, de Pie XII ou de François, il y a l’Église de Jésus-Christ, qui n’a rien d’idyllique et qui est confiée aujourd’hui à son Vicaire, le pape François. Ne pas aimer cette Église, telle qu’elle vit aujourd’hui, c’est ne pas aimer l’Église. Refuser de chercher à rétablir le lien canonique avec l’Église, dans l’état où elle est aujourd’hui, telle qu’elle vit et souffre aujourd’hui, quel que soit le prétexte invoqué, c’est tout simplement refuser l’Église, ce qui n’est pas catholique.

Et puis, au fond de toutes ces querelles, ne convient-il pas de reconnaître la présence d’un mal spirituel très pernicieux : l’esprit de contradiction. Je pourrais parler de mauvais esprit, mais je préfère évoquer cette forme d’esprit qui aime la querelle, non par désir de parvenir à la vérité mais par simple désir d’avoir raison. Ernest Hello a écrit sur ce sujet tout un chapitre, trop long pour être cité. J’en extrais seulement ces réflexions: « Depuis que je suis au monde je vois les hommes se disputer, et vous aussi, sans doute. Le fait universel, c’est une universelle contradiction. J’ai vu la contradiction et l’injustice dans la cité, dit l’Écriture (Ps. LIV, 10). Le rapprochement de ces deux mots contient un enseignement profond. L’injustice est fille de la contradiction. La division couvre la terre. Ce ne sont pas les ennemis qui sont le plus profondément divisés, ce sont les amis. Là où l’union semble exister, la division existe, plus radicale et plus intime. […] Paul et Pierre, au lieu de s’entraider et de compléter le regard de l’un par le regard de l’autre, s’acharnent l’un et l’autre à nier ce qu’il ne voit pas lui-même. […] C’étaient deux hommes intelligents, faits pour s’entendre. Ce sont maintenant deux ennemis, stupidement entêtés, stupidement aveuglés, parce que le serpent de la contradiction a levé sa tête entre eux deux. C’est l’esprit de contradiction qui ferme les yeux et qui aigrit le cœur, qui aveugle et sépare les âmes. […] La bonté du cœur aurait un rôle immense dans la réconciliation des esprits. Si vous vous irritez contre votre ennemi, qui est peut-être votre ami, vous ne le convaincrez jamais ! N’oublions jamais les leçons profondes contenues dans la langue humaine, dans la science des mots : haïr, en latin, se dit invidere « in…videre » : ne pas voir. Il n’y a peut-être pas une seule vérité dont l’application soit plus universelle que cette vérité si simple : si vous voulez montrer à un homme ce qu’il ne voit pas, commencez par voir ce qu’il voit, et dites-le lui. Pourtant le contraire arrive : on commence par se dire non, les uns aux autres, et on arrive à cette confusion épouvantable des intelligences. Le mal que je constate est un mal effroyable et universel duquel souffre horriblement l’humanité tout entière. Pierre s’imagine que s’il accordait à Paul tout ce qu’il peut lui accorder sans mentir, Paul profiterait contre lui de cet aveu. C’est le contraire absolu de la vérité. Paul verra ce que voit Pierre, quand Pierre aura vu ce que voit Paul et l’aura proclamé. »

L’heure est plus que jamais à la prière et à l’union des cœurs. Nous allons vivre sans doute des mois difficiles et douloureux. La Fraternité en a connu d’autres, et elle en est toujours sortie plus forte et plus unie, pour continuer à servir la Tradition de l’Église et donc l’Église elle-même. Certes ce service requiert de notre part une extrême prudence à la fois humaine et surnaturelle, mais la prudence n’a jamais signifié le refus de l’autre, refus de l’entendre, de le comprendre pour mieux le convaincre, et finalement le refus de l’aimer.

Daigne Notre-Dame nous en préserver !