13 février 2013

[Luc Perrin - le Forum Catholique] "...impact négatif majeur..."

SOURCE - Luc Perrin - Le Forum Catholique - 12 février 2013

[...] ce que vous dîtes est correct mais ne retire rigoureusement rien à l'impact négatif majeur de cette démission sur la papauté.
 
Un pape qui, apparemment valide et ayant tous ses moyens - même diminués par l'âge et peut-être la maladie (mais dès lors pourquoi faire du Pompidou ? quand tant d'hommes et femmes politiques ont annoncé un cancer ou autre maladie potentiellement invalidante) - se retire ainsi, c'est son droit et nul ne le conteste, porte un coup au moins temporaire au ministère pétrinien.
 
Tous les observateurs de l'Église le disent et ils ne sont pas tous frappés d'une soudaine hallucination collective. Le geste de Benoît XVI est bien révolutionnaire car il accrédite - involontairement j'en suis bien conscient et même contre son intention affichée - l'idée que le pape est doté d'un mandat limité et qu'à terme, il faudra prévoir une maison de retraite des papes émérites ...
 
Beaucoup ici ignorent que depuis des années et des années, des folliculaires théologiens ne cessent de promouvoir cette idée radicalement hérétique (protestante) et dramatiquement fausse que l'Église est une société humaine comme les autres, qu'elle devrait calquer son fonctionnement sur celui des démocraties occidentales et par conséquent substituer à la Révélation et au Credo, la souveraineté populaire et le mandat déterminé et le vote pour définir des "dogmes" variables dans le temps, au gré des majorités : c'était la grande idée d'Alfred Loisy.
 
Il va de soi, c'est aveuglant, que la décision de Benoît XVI donne un formidable encouragement à tous ces gens : il suffit d'écouter les radios et lire les media français, tous les intervenants vont dans ce sens.
 
Au fond, que les motivations du pape soient très nobles, très spirituelles, qu'elles soient justifiées par son état de santé réel peut-être très grave, tout cela ne change rien à l'objectivité des conséquences sur la papauté. Le nouveau pape élu aura fort à faire pour remonter la pente même si c'est un athlète et un grand spirituel. A supposer qu'il en ait la volonté.

La pression morale ad intra et ad extra pour institutionaliser un papauté faible sera énorme à partir de mars 2013. Un peu comme au temps de Martin V à l'issue du Grand Schisme d'Occident et d'Eugène IV. Les partisans du conciliarisme et les tenants de la primauté des Églises locales sur le centre romain sont à tous les micros et devant toutes les caméras ... ce n'est qu'un début. Ces pressions s'exerceront au sein du conclave.
 
D'autant plus que l'image - fausse là encore, hélas - d'un Benoît XVI continuateur du cardinal Raztinger sur le trône de Saint Pierre et ayant échoué en tout, le dernier grand échec nous le connaissons, jette le discrédit sur la voie "ratzinguérienne" alors que Benoît XVI n'a pas osé emprunter cette voie en tant que pape. Hélas de mon point de vue. Renouveau resourcé de la liturgie (le NOM), redynamisation du sacerdoce par une refonte du corps épiscopal, réenracinement de l'enseignement théologique dans l'orthodoxie doctrinale, clarification sérieuse de l'interreligieux, TOUS les chantiers ouverts par le cardinal Ratzinger avant 2005, tous ont été laissés à l'abandon, pas même ouverts par le pape démissionnaire.
  • Le départ de Mgr Ranjith en 2009 marquait, je l'avais dit, le grand renoncement au chantier liturgique : cela s'est confirmé. S.P. est non une poire mais une myrtille pour la soif ... on ne traverse pas le Sahara avec une myrtille en poche. Ou, si l'on préfère, on ne nettoie pas les écuries néo-liturgiques d'Augias avec un demi kleenex.
  • Le maintien d'Assise sans une catéchèse préalable, avec quelques menues retouches certes utiles, a confirmé le brouillard de l'interreligieux actuel qui ne sait pas trop où il va ni comment il est articulable avec l'essence missionnaire de l'Église.
  • L'activité de la CDF pour protéger les fidèles contre des penseurs déviants a été extrêmement faible en comparaison des règnes de Paul VI et Jean-Paul II : Benoît XVI a été sûrement le pape le plus timide dans ce domaine depuis Vatican II.
  • Aucune politique claire de nomination n'est apparue : ni parmi les cardinaux ni dans la Curie aussi disparate et tirant à hue et à dia qu'elle l'était sous Jean-Paul II ni dans l'épiscopat mondial (les choix heureux étant contrebalancés par la reconduction des candidats au profil 1960-1970).
  • Là encore, Benoît XVI est en retrait par rapport à la fin du règne de Paul VI et aux gros efforts de Jean-Paul II. Or le cardinal Ratzinger, bien inspiré, avait souligné que ce renouvellement était une clef majeure pour un renouveau ecclésial en zone déchristianisée.
  • les rares dossiers où une impulsion papale nette a été donnée sont aussi des échecs surtout par pusillanimité finale :
a) la promotion de l'herméneutique de réforme dans la continuité s'est peu traduite dans les faits ni dans les institutions d'enseignement et de formation des clercs (cf. les raisons ci-dessus)

b) Anglicanorum coetibus (2009) est un texte potentiellement majeur - avec quelques risques d'ailleurs - mais Rome a abandonné ensuite les candidats à l'unité aux lobbies oecuménistes et aux petitesses internes et à celles des épiscopats locaux : le résultat est maigrichon avec 3 minuscules Ordinariats et une grande occasion qui paraît manquée. Le retrait de la T.A.C. qui avait été en pointe dans le processus est un camouflet cinglant.

c) enfin le recul final de mai-juin 2012 et l'abandon du dossier de la réconciliation avec la F.S.S.P.X et les traditionalistes séparés sont difficiles à comprendre : pourquoi tant d'efforts (2005, 2007 avec Summorum Pontificum, la tempête de 2009, les discussions de 2009-2011) pour aboutir à ce revirement de dernière minute sans plan B ?
Là où, semble-t-il vu de l'extérieur, Benoît XVI s'est impliqué personnellement et a mis de la constance dans sa politique, ultimement c'est l'abandon en rase campagne. On peut se demander si, avec le Vatileaks et la zizanie curiale grandissante (conséquence indirecte des choix erratiques faits par le pape) , cet échec retentissant sur le dossier qu'il avait le plus porté n'a pas pesé dans la démission annoncée hier. Moralement au moins.
 
En dressant ce bilan,"sans concession" au sugar-coating clérical usuel, je mesure bien qu'il fera hurler les papolâtres inconditionnels en dépit de son caractère purement factuel et, à mon sens, parfaitement objectif.

Je mesure aussi bien que le pape n'est pas un surhomme et c'est la noblesse de la décision de Benoît XVI d'en prendre acte pour lui-même. J'ai souligné à l'envie que l'Église ne se réduit pas au pape et que les fidèles ont une lourde responsabilité devant Dieu : peuple de Dieu, qu'as-tu fait de ton baptême ? pour paraphraser Jean-Paul II.
 
Il n'empêche, pour des raisons qui restent obscures aujourd'hui, Benoît XVI s'est de plus en plus éloigné des analyses et des remèdes mûrement énoncés par Joseph Ratzinger. Il a renoncé progressivement à donner les impulsions fortes requises par l'état de l'Église. Dans le grand débat qui va surgir dans l'Église, on ne saurait de ce fait écarter cette "voie ratzinguérienne" comme ayant échoué puisque, au final, le pontificat qui s'achève à la fin du mois ne l'a pas véritablement empruntée.

Le conclave aura-t-il le courage de relever le défi ou bien s'abandonnera-t-il aux "délices" illusoires des compromis tous azimuts avec la modernité libérale, telle une pastorale de fin de vie, les soins palliatifs d'un christianisme occidental qui s'épuise ?
 
La surreprésentation cardinalice du catholicisme européen anémié et aveuglé, "fort" de ses ratages et de son insignifiance sociale grandissante, peut nourrir le pessimisme. Mais l'Esprit déjoue parfois les pesanteurs de la sociologie ecclésiale : prions pour cela en pensant que le frère Benoît, dans sa retraite prochaine, priera aussi pour cette intention.