26 février 2013

[Abbé de Tanoüarn - Monde et Vie] Benoît XVI et les traditionalistes

SOURCE - Abbé de Tanoüarn - Monde et Vie - 26 février 2013

«Nous avons un pape traditionaliste », s’était écrié M. l’abbé La - guérie en septembre 2006 à son retour de Rome, après avoir obtenu le feu vert pour fonder l’Institut du Bon Pasteur. Le tollé médiatique fut à la hauteur de la réputation de l’abbé… Chacun y alla de ricanement: un pape traditionaliste ? Impossible.

Pourtant, un an plus tard, Benoît XVI publia – souvenez-vous – le Motu proprio Summorum pontificum, libéralisant la forme traditionnelle du rite romain. Ce document était particulièrement imaginatif. Il s’agissait de contourner, ici ou là, la grosse machine cléricale, dans ce que le pape appela plus tard « des oasis, des arches de Noé »: « Nous avons besoin d’îles où la foi en Dieu et la simplicité interne du christianisme vivent et rayonnent. Les espaces de protection sont des espaces de liturgie ». La messe traditionnelle avait, grâce au Motu proprio Summorum pontificum, une place de choix dans l’écosystème de la catholicité. Un peu partout, des groupes stables devaient se constituer, sous la protection, et même l’arbitrage de la Commission Ecclesia Dei. Des laïcs demanderaient à leur curé la permission de célébrer le rite de la sainte messe dans sa forme traditionnelle. L’autorisation de l’évêque n’était pas nécessaire. Bref, à travers une visée apparemment « restaurationiste », c’était une nouvelle manière de faire Eglise, respectueuse des diversités de culture, de sensibilité et de théologie, qui devait peu à peu s’imposer. Par ailleurs, la longue préface de ce document indiquait l’importance de la continuité dans l’histoire des rites.

Ce document d’un nouveau genre était le plus libre et le plus romain qui soit. Libre et romain? Ces deux mots, on avait perdu l’habitude de les accoler. Benoît XVI s’y est essayé, dans une con naissance intime de la nature monarchique et arbitrale du Pouvoir pontifical.

Las… très vite, il apparut que les fonctionnaires vaticans ne prendraient jamais le risque d’appuyer la demande d’un groupe stable. Pour ce qui est des curés, qui avaient la charge d’appliquer le Motu proprio, ils étaient d’avance d’accord avec leurs évêques, quoi que disent ces derniers. Quant à faire face à la mauvaise volonté des évêques? Impossible ! Ce montage merveilleux et monarchique, qui prévoyait l’autorité en haut pour appuyer, cautionner, protéger, et les libertés en bas pour créer des oasis, fut ainsi grippé avant d’avoir servi.
Des oasis chrétiennes pour relancer l’évangélisation
Aujourd’hui, la messe traditionnelle bénéficie d’un cadre juridique dans l’Eglise. Mais l’autorité a manqué pour faire appliquer la loi. Et, par dessus tout, la culture a manqué aux prêtres et aux évêques, qui se sont souvent opposés à l’Ancien rite sans même le connaître et d’ailleurs, justement, parce qu’ils ne le connaissaient pas. Bref, tout reste à faire.

Ce qui manque avant tout, c’est un état d’esprit. Mgr Lefebvre, prêtre en Mission, avait très bien vu que la mission, en Afrique, c’est un cadre de vie, une structure de relations et de prières commune. C’est ce modèle des « missions » qu’il a tenté de reproduire en créant la Fraternité Saint Pie-X. C’est ce modèle qui manque tragiquement dans les paroisses – des oasis, des îles, des arches de Noé, qui pourraient seules relancer la machine de l’évangélisation.

Je crois que le pape qui parle d’îles et d’oasis a été intéressé par le projet lefebvrien. Il a compris (comme d’autres, le cardinal Hoyos par exemple) l’importance de vraies communautés.

Plus que des paroisses anonymes: des viviers de reculturation chrétienne.

C’est dans cette perspective que l’on peut comprendre la levée des excommunications en 2009 et les efforts désespérés du pape Benoît XVI, trahi in fine par son administration. Il s’agissait, non pas seulement de récupérer les prêtres de la Fraternité Saint-Pie X, comme on l’a entendu ces derniers temps dans les couloirs du Vatican, mais de jeter dans la bataille des communautés vivantes, qui avaient conservé et transmis une vraie culture chrétienne. Avant tout: une liturgie. S’il est vrai que, comme dit Dom Guéranger, la liturgie est le langage que parle l’Epouse à son Epoux divin, on ne saurait majorer l’importance de ces formes cultuelles, qui nous re lient à Dieu en nous empêchant de dire n’importe quoi. Le dossier reste ouvert !

Abbé G. de Tanoüarn