11 juillet 2007





Vers la guerre des évêques ?
11 juillet 2007 - Minute
LITURGIE LATINE
Vers la guerre des évêques ?
Depuis le 7 juillet, la « messe en latin » est réhabilitée officiellement par le pape Benoît XVI dans un document extrêmement précis, titré en latin Summorum Pontificum, où le pape se réclame de tous ses prédécesseurs pour apaiser un conflit entre deux messes qui n’a plus aucun sens aujourd’hui.
La nouvelle ne concerne pas seulement les catholiques, elle a d’ailleurs été largement médiatisée, comme si elle revêtait je ne sais quelle signification plus large. N’est-ce pas un peu la culture soixante-huitarde qui disparaît officiellement de l’Eglise catholique, où il n’est plus question de prétendre qu’il faut « faire table rase du passé » ? Si on cherche à expliquer les passions que déchaîne encore un tel document, il me semble que c’est de ce côté-là qu’il faut chercher. Benoît XVI, en signant ce décret, aurait fait dans l’Eglise ce que Nicolas Sarkozy s’est contenté de dire : il faut en finir avec Mai 68.
Si l’on veut pénétrer un peu dans les secrets (toujours bien cachés) de l’Eglise romaine, Internet est un instrument remarquablement efficace. Je recommande aux lecteurs de « Minute » un site qui se contente de publier tout ce qui concerne de près ou de loin le problème. Son titre ? Qien (1). Comprenez d’après les initiales : Quelques Informations Entre Nous. Je voudrais vous faire profiter de cette manne.

Le pape contre l’esprit soixante-huitard

Pour quelqu’un qui reste extérieur à l’Eglise, c’est Coluche qui a raison : « Ils sont fous ces catholiques. Maintenant, ils se battent dans les églises pour savoir s’il faut célébrer la messe en latin ou en français : ils n’ont qu’à faire deux services. » On peut dire que 15 ans après, Benoît XVI a repris la suggestion à son compte. Mais cela continue à faire des vagues.
Témoin un peu plus courageux que d’autres parce qu’il parle, cet évêque italien qui a participé à la conception de la réforme liturgique à la fin des années 1960. Il n’hésite pas à dire que le 7 juillet restera pour lui « un jour de deuil ». Au lieu de comprendre cette mesure comme une mesure de libéralisation, il la perçoit comme le signal d’une véritable mise à mort. « Cette réforme à laquelle beaucoup de gens ont travaillé, en faisant de grands sacrifices, inspirés seulement par le désir de renouveler l’Eglise, est maintenant enterrée », n’hésite pas à écrire Mgr Luca Brandolini dans le grand quotidien de gauche « La Repubblica » dès le lendemain de la publication du décret.
Enterrée, la messe qui se célèbre et qui se célèbrera partout ? Non. Ce n’est pas ce que veut dire le prélat. Ce qui est enterré, c’est « le désir de renouveler l’Eglise », cette idée, typiquement soixante-huitarde, que demain ne sera pas comme aujourd’hui et que les chrétiens, en s’y mettant tous ensemble, vont inventer une nouvelle façon de « faire Eglise » comme ils disent.
Le cardinal Castrillon Hoyos, président de la Commission Ecclesia Dei, sorte de pistollero latinoaméricain qui ne parle que quand il y a un pavé à jeter dans la mare, a bien perçu ce caractère conservateur du document. Dans « Il Giornale », le quotidien de la droite italienne, il déclare, lui : « Le pape est convaincu de la nécessité de souligner qu’il y a continuité dans la Tradition et que dans l’Eglise on ne procède pas par des fractures » avec le passé.

Des divergences dans l’Eglise de France

Au-delà de ce que dit et de ce que ne dit pas le pape, c’est cette fidélité viscérale d’hommes d’Eglise romains à leur Tradition qui est perçue comme problématique par bien des évêques français. Doit-on dire qu’une guerre des évêques risque de s’engager ? Le moins que l’on puisse dire est qu’il y a deux manières de recevoir ce document chez les dignitaires ecclésiastiques dans notre Hexagone.
D’un côté, il y a ceux qui disent avec le cardinal Ricard, archevêque de Bordeaux et président de la Conférence des évêques de France, dans une surprenante conférence de presse : « Puisse ce texte porter les uns et les autres à travailler comme les membres d’une même famille. » Et de souligner que les catholiques concernés par le Motu proprio « ont souvent été chassés de leurs paroisses par les désordres et les fractures introduites » dans les longues années de l’après-concile. « Comment peut-on mettre un terme à ce gâchis ? », demande loyalement l’actuel président de la Conférence épiscopale.
Angoulême est toute proche de Bordeaux. Cela n’empêche pas l’évêque du lieu, Mgr Claude Dagens, qui porte la réputation d’être l’intellectuel du corps épiscopal, de faire entendre un son de cloche tout différent de celui qu’a fait résonner l’archevêque de Bordeaux. Monsieur d’Angoulême s’appuie sur une préface savante qu’il a donnée à un livre écrit en 250 (ça ne nous rajeunit pas) pour souligner que l’évêque de Carthage, à l’époque, était très exigeant avec les schismatiques, pour les réintroduire dans l’Eglise. Il faut l’être tout autant avec les traditionalistes (pour Claude Dagens, les traditionalistes ne sont donc plus dans l’Eglise) à cause des ambiguïtés de leurs positions. « Je n’hésite pas à poser une question à Benoît XVI : je me demande si, au-delà d’une tentative de réconciliation, d’autres stratégies ne sont pas à l’œuvre, qui, elles, feraient valoir d’abord des rapports de force, conscients ou inconscients, qui peuvent être d’ordre politique ou culturel. »

Mgr Dagens a certainement le premier prix de « langue de buis ». Ce qu’il veut dire, dans un galimatias qu’il faut bien sûr décrypter, c’est qu’il n’est pas question en France de recevoir le document de Benoît XVI comme le signal clairement donné d’un retour à la tradition catholique : voilà les « stratégies culturelles » qu’il récuse ! Au fond la guerre des évêques, si elle éclate vraiment, aura cet enjeu : faut-il, oui ou non renoncer à Mai 68 et à la révolution, à la rénovation permanente dans l’Eglise ? Claude Dagens veut bien accueillir les tradi- schismatiques, mais à condition qu’ils n’agissent pas pour la Tradition. Jean-Pierre Ricard considère lui qu’il faut au moins réparer les pots cassés, en y mettant non pas l’exigence de Dagens mais l’indulgence de l’Evangile.
Quant à Castrillon Hoyos, depuis Rome, il nous donne la clef que l’on s’obstine à ne pas voir : c’est la tradition catholique elle-même que défend le pape contre l’esprit soixante-huitard. « Le document pontifical n’a pas été fait pour les lefebvristes », confie le cardinal-pistollero. Ni pour les lefebvristes ni pour les traditionalistes, mais, horresco referens, pour la Tradition dans l’Eglise.

Lionel Humbert