7 juillet 2007





Quelques réflexions sur la Lettre apostolique "Summorum pontificum"
7 juillet 2007 - hermas.info
Cet article a été revu pour tenir compte des indications très importantes contenues dans la lettre d'accompagnement du motu proprio adressé aux évêques le 7 juillet 2007. Ce document sera cité, ci-après, sous le nom de “Lettre aux Evêques”.

La Lettre apostolique Summorum pontificum, qui remplace toutes dispositions antérieures (1), n’entrera en application, selon la volonté du pape, que le 14 septembre prochain. D’ici là, il suscitera de très nombreux commentaires, plus ou moins polémiques. Il en suscite déjà. Plusieurs observations s’imposent à l’esprit.
1.- On ne peut que se réjouir, tout d’abord, de ce qu’une solution détaillée soit enfin apportée à une situation qui pèse anormalement sur la vie de l’Eglise depuis près de 40 ans. En fait, il est objectivement scandaleux que la communion des fidèles soit contrariée, profondément, par un débat théologique et liturgique qui porte sur le sacrement… de l’unité. En droit, la Lettre apostolique vient mettre un terme légal à des situations, soit d’intolérance, soit d’incertitude juridique que le motu proprio Ecclesia Dei de 1988 n’avait pas réussi à surmonter. La Lettre aux évêques souligne explicitement ces deux aspects. Elle indique que le motif de cette actualisation du motu proprio Ecclesia Dei est « de parvenir à une réconciliation interne au sein de l'Eglise ». Le pape fait ici courageusement  un acte de discernement en  notant  « qu'aux moments critiques où la division commençait à naître, les responsables de l'Eglise n'ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l'unité; on a l'impression que les omissions dans l'Eglise ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions aient réussi à se consolider ». Il observe également - en leur rendant cette justice - que l'attachement des traditionalistes aux formes liturgiques antérieures à la réforme a tenu, en grande part, à « des déformations de la liturgie à la limite du supportable » qui ont « profondément blessé des personnes qui étaient totalement enracinées dans la foi de l'Eglise ». Et de conclure : « Ce regard vers le passé nous impose aujourd'hui une obligation : faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent réellement l'unité aient la possibilité de rester dans cette unité ou de la retrouver ».
2.- Personne, parmi les catholiques de bonne volonté, ne peut raisonnablement s’affliger de la survenance de ce document de pacification et d’unité. A cet égard, force est de constater qu’il fera figure de test. Il serait tout de même assez paradoxal que des catholiques, laïques ou non, se déclarent favorablement engagés dans l’oecuménisme, en particulier, et restent sourds à l’appel à l’unité lancé ici, ad intra, par le pasteur suprême. Il serait choquant que l’on puisse désormais continuer de vivre dans l’Eglise comme si les fidèles pour lesquels ce document a été pensé et voulu n’existaient pas. A cet égard, la Lettre apostolique ne fait pas simplement appel à une réception obéissante ; elle invite à une inclination du cœur. C’est la charité qui doit ici ouvrir la voie au droit, comme elle l’a ouvert dans l’intention du pape.
3.- Cette remarque vaut pour ceux qui, de prime abord, sont réservés ou hostiles à ce texte. Mais elle vaut aussi pour ses bénéficiaires. La vérité oblige à dire que la situation présente n’est pas due qu’à leurs seuls adversaires. Bien sûr, parmi ces derniers, il y les inconditionnels de la “table rase”, devenus aujourd’hui des sortes d’intégristes des réformes. Mais il y a aussi ceux qui ont été agacés, blessés ou rendus méfiants par le comportement, l’agressivité ou l’ambiguïté d’assez nombreux traditionalistes, prompts à toujours exiger, en s’identifiant à l’Eglise, et à discréditer la hiérarchie et le magistère dès que ces derniers n’entrent pas dans leurs vues. Le pape, dans la Lettre aux évêques, évoque pudiquement leurs nombreuses « exagérations ». Il serait catastrophique que les traditionalistes brandissent ce texte avec arrogance en se comportant désormais partout en terrain conquis, tendance que nombre de clercs ont cultivé déjà de fort longue date. Ce serait catastrophique pour eux-mêmes. La situation présente ne pourra être dénouée que dans le respect mutuel, respect qui passe, dans l’Eglise,  par celui des autres fidèles et des hiérarchies locales.
4.- La Lettre apostolique s’ouvre sur un préambule dont on aurait tort de négliger la lecture. Son intérêt, nous semble-t-il est double.

- Le premier est de rappeler cet adage catholique essentiel que la loi de la prière est la loi de la foi, ce qui place d’emblée l’initiative du pape, sur la question liturgique, au cœur même de la vie de l’Eglise. C’est une indication pédagogique majeure, qui conduit chacun à mesurer l’enjeu du document et à ne pas le prendre pour une simple mesure d’arbitrage d’un conflit.

- Le second est de montrer que le souci de cette lex orandi est une constante historique du magistère, des « temps immémoriaux » jusqu’au concile Vatican II inclusivement, dans laquelle le pape saint Pie V s’est distingué, « avec un grand zèle pastoral ». De la sorte, le pape Benoît XVI reconnaît à ce dernier sa place et son apport irremplaçables, mais pour les intégrer dans le temps théologique de l’Eglise. La Lettre aux Evêques insiste sur cette unité de « l'histoire de la liturgie (...) faite de croissance et de progrès, jamais de rupture », où « ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l'improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste ». Cette approche, aussi, est capitale. Elle rend inopérante et irrecevable la dialectique nourrie depuis près de 40 ans, au prix parfois de tant de haines, entre la “messe de saint Pie V” et la “messe de Paul VI”. Le document n’utilise d’ailleurs jamais l’une ou l’autre de ces expressions. Il ne parle pas davantage d’ancien et de nouveau rite, comme de deux rites distincts. Le pape souligne, au contraire, dans la Lettre aux Evêques, qu'il « n'est pas convenable de parler de ces deux versions du Missel Romain comme s'il s'agissait de "deux Rites"».
5.- Les dispositions pratiques de la Lettre apostolique traduisent immédiatement cette approche dès l’article 1er  : il n’existe qu’un seul et unique rite romain, sans division de la loi de la foi. Cette indication est de grande portée théologique et gagnera à être méditée, en particulier, par les traditionalistes heureux de recevoir ce document. Elle signifie que le missel de 1970 exprime pleinement la loi de la foi. Il serait désastreux et déloyal que ces derniers se croient en droit d’user de ce document en conservant une croyance contraire. Les clercs auront donc une grande responsabilité dans la façon dont ils en parleront désormais auprès de leurs fidèles, pour éviter toute duplicité.
6.- Le pape distingue dès lors non pas deux rites mais deux expressions de la loi de la prière, toutes deux légitimes : celle du “Missel romain promulgué en 1970 par le Souverain Pontife Paul VI”, qui est l’expression ordinaire ; celle du “Missel romain publié en 1962 par le bienheureux Pape Jean XXIII”, qui est l’expression extraordinaire, et dont les modalités d’accès sont réglées, autant qu’il est possible, par les dispositions pratiques des articles 2 à 12 du document.

Trois précisions méritent ici d’être logiquement apportées :

- La première est que le document vient mettre fin à une controverse très chère aux milieux traditionalistes : « Le Missel romain promulgué par le B. Jean XXIII en 1962 [n’a] jamais [été] abrogé, en tant que forme extraordinaire de la Liturgie de l’Église ». Notons cependant que le pape ne parle pas d’abrogation ou de non abrogation du rite « de saint Pie V », mais de celui de Jean XXIII. Il ne parle pas davantage de la fameuse bulle Quo primum, sur laquelle les traditionalistes ont généralement assis leurs argumentations. Il se trouve ainsi implicitement confirmé, a contrario, que la discipline établie par Jean XXIII s’est substituée à la précédente. D'autre part, c'est en tant que forme extraordinaire que la discipline de 1962 subsiste. Cette affirmation ruine évidemment les thèses soutenues par certains selon lesquelles la “messe de saint Pie V” serait la norme ordinaire dans l'Eglise, et conforte l'idée selon laquelle il y a bien eu, en 1970, substitution d'une discipline liturgique générale à une autre.

- La deuxième est le corollaire de la première : il n’existe pas d’expression légitime, dans l’Eglise, de la forme extraordinaire du rite romain hors de ce texte promulgué par le B. Jean XXIII. Il n’est donc pas possible de se prévaloir de ce texte et de s’attacher à des formes antérieures, tirées de la discipline de Pie XII ou de saint Pie X, comme la fantaisie ou l’anarchie inventive de certains clercs le leur fait croire.

- La troisième est que ce document met également fin, si nécessaire, à une autre controverse : le missel romain de 1970 constitue bien le droit commun dans l’Eglise. S’il est désormais clairement et juridiquement acquis que tout prêtre catholique latin peut librement célébrer les saints mystères selon l’une ou l’autre expression du rite romain, il va de soi que nul ne peut s’autoriser, dans les milieux traditionalistes, à interdire à un prêtre d’opter pour le Missel romain promulgué en 1970. Le pape, dans la Lettre aux Evêques, considère ce point comme une évidence : « Evidemment, pour vivre la pleine communion », à laquelle tend le nouveau motu proprio, « les prêtres des communautés qui adhèrent à l'usage ancien ne peuvent pas (...), par principe, exclure la célébration selon les nouveaux livres. L'exclusion totale du nouveau rite ne serait pas cohérente avec la reconnaissance de sa valeur et de sa sainteté ». La question avait d’ailleurs été déjà tranchée par la Congrégation pour le Culte divin et de la Discipline des Sacrements, le 18 octobre 1999, qui avait indiqué qu’un prêtre d’un Institut bénéficiant de l’usage du missel de 1962 pouvait célébrer ou concélébrer selon celui de 1970 pour le bien d’une communauté où ce dernier est habituellement utilisé. Elle avait ajouté qu’aucun supérieur n’avait le droit de le lui interdire (1).
7.- On ne peut cependant se garder d’exprimer quelques réserves.

- La première porte sur le réalisme des dispositions de la Lettre apostolique. Certes, celle-ci organise les modalités pratiques de l’accès à l’expression de la liturgie selon le Missel romain promulgué en 1962, selon la prudence du curé de paroisse, et avec des voies de recours s’exerçant, d’une part auprès de l’évêque local, d’autre part, si nécessaire, auprès de la commission Ecclesia Dei. Mais tout cela est théorique. En pratique, si des fidèles se présentent à lui à cette fin, que fera le curé, même bienveillant – selon l’intention pontificale – pour accéder à leur demande ? Apprendre à célébrer selon le missel de 1962 ? Est-ce bien réaliste ? En pratique, cette difficulté ne sera exclue que là où de jeunes prêtres sont eux-mêmes disposés à célébrer selon l'ancien usage. Eu égard à la situation du clergé diocésain, aux limites de sa disponibilité et à son nombre, l’application du texte est sous ce rapport assez problématique. A moins que les Instituts de liturgie 1962 ne soient disposés à jouer ici et là le jeu d’une collaboration avec les paroisses, ce qui suppose un “apprivoisement” réciproque qui est loin d’être acquis, ou que les évêques, pour éviter ces difficultés, ne se montrent généreux dans l’érection de paroisses personnelles, comme il est prévu à l’article 10 du motu proprio, ce qui n'est pas davantage acquis. Nul doute qu’en tout cela, la bienveillance, l’humilité et la charité de tous les acteurs seront indispensables.

- La deuxième réserve est relative aux limites objectives de la Lettre apostolique. En dépit de ses richesses théologiques et contemplatives évidentes, le missel du B. Jean XXIII est remarquablement pauvre dans son lectionnaire. La comparaison entre les deux expressions du rite latin est, de ce point de vue, à son écrasant désavantage. Il est regrettable que la Lettre apostolique ne laisse pas seulement entrevoir la possibilité, à terme, d’y remédier. Il est vrai que ce serait une œuvre de grande ampleur, peut-être liée à une relecture théologique du missel de 1970, qui souffre d’autres carences. Plus réaliste est dès lors cet autre regret : que le sanctoral de l’Eglise universelle, si riche, ne soit pas appliqué au missel de 1962, au risque d’introduire des confusions et des écarts regrettables dans les paroisses où ce dernier missel est appelé à être utilisé de conserve avec celui de 1970. Il faut cependant observer que, dans la Lettre aux Evêques, le pape a évoqué explicitement ces situations. Après avoir indiqué que les deux formes d'usage étaient appelées à s'enrichir réciproquement, il indique que « dans l'ancien Missel pourront être et devront être insérés les nouveaux saints, et quelques-unes des nouvelles préfaces », sous le contrôle de la commission Ecclesia Dei, tandis que les ministres de la nouvelle forme sont invités à cultiver davantage la sacralité du rite et le respect de ses rubriques.

- Troisième réserve : que la Lettre apostolique s’étende non seulement au rite de la messe mais aussi à l’usage du rituel des autres sacrements, très particulièrement à celui du baptême et du mariage. En quoi était-ce nécessaire ? Compte tenu déjà des difficultés que posera, nécessairement, l’intégration du missel de 1962 dans les paroisses, le cumul de ces singularités n’est-il pas de nature à rendre l’intégration plus délicate encore, alors que ces rituels ne donnaient pas lieu à des objections comparables à celles de la messe ? Fallait-il encore encourager les traditionalistes à y rester liés, au risque de les voir s'en tenir sociologiquement et théologiquement à un statu quo ? D'autant qu'il est permis de considérer que le nouveau rituel du baptême, plus axé sur le rôle des parents, est plus adapté à la situation présente des foyers chrétiens et que le nouveau rituel du mariage est lui-même plus riche que l’ancien, lequel est enfermé dans les mêmes lectures qui prêtent immanquablement à sourire. Il est vrai que le curé aura ici son mot à dire, en considération du bien des âmes, et que ne sont pas prévues sur ce point les facultés de recours organisées explicitement pour la messe.

- Quatrième réserve enfin, qui est celle de l'épiscopat : ce document, par son ampleur, ne conduira-t-il pas à conforter les traditionalistes les plus endurcis dans leurs positions, en leur donnant toute satisfaction liturgique sans qu'eux-mêmes consentent le moindre effort à entrer dans une intelligence plus loyale et plus bienveillante des enseignements du magistère, tels qu'ils ont notamment été exprimés par le deuxième Concile du Vatican ? Cette objection n'est pas illusoire, car l'expérience montre que bien des clercs traditionalistes, pour ne citer qu'eux, même bénéficiaires du motu proprio Ecclesia Dei, n'ont pas fait le moindre pas, depuis 1988, dans le sens de cette compréhension. Le pape évoque cette objection dans la Lettre aux Evêques, et la déclare infondée, mais force est de constater qu'il n'y répond que partiellement, sur le seul volet liturgique du concile. Reste qu'un document doit intervenir vers le 10 juillet sur cette question. A cette réserve exprimée par les évêques s'ajoute une crainte : celle de voir des « désordres » et des « fractures » dans les paroisses. Il pourrait y être aisément répondu, respectueusement, que si les catholiques concernés n'avaient pas été chassés de leurs paroisses par les désordres et les fractures introduites au long de ces longues années, ce souci n'existerait pas. La question du jour, la seule question, est de savoir comment remédier à ce gâchis pour que chacun retrouve sa place, la place qui lui est due dans la maison du Père.
En conclusion, il nous semble que le motu proprio, quelles que soient les objections qu’on puisse lui opposer, constitue sur le principe un progrès considérable et nécessaire. Il n’est pas admissible que l’Eglise se résigne aux divisions qui la minent. Il devra être reçu non pas comme un document de plus dans le dossier du lefebvrisme, par les uns, ou comme un outil pour se tailler triomphalement une place au soleil, par les autres, mais comme un pas fait loyalement dans la communion ecclésiale. Cette réception suppose de la part de tous une foi éveillée dans le mystère du Christ actuellement présent en cette communion, ce Christ de paix, qui se cherche des « amis de la paix » (Lc 10, 6) et nous a laissé cette injonction et cette voie à suivre : « Soyez un, comme le Père et moi nous sommes un » (Jn 1, 17, 21-23). Il ne s’agit pour personne de l’emporter sur son semblable, de prendre des revanches, mais de tendre à une communion voulue par le Christ, pour travailler ensemble, cor unum et anima una, à ce grand œuvre si urgent et si nécessaire : l’évangélisation d'un monde en détresse.
Puisse donc ce texte porter les uns et les autres à travailler à mettre un terme à leurs différends comme des membres d'une même famille et à se comporter mutuellement, selon la magnifique formule de Platon, comme des « moniteurs de sagesse », mettant de la douceur à rendre sages leurs adversaires (3).

(1) Sauf pour l’existence et la mission de la commission Ecclesia Dei, que le nouveau document complète.
(2) Cf. cet important document sur l’excellent site Sacrosanctum concilium [Ici].
(3) République, L. V, 470e-471a.