15 août 2007





Où en sommes-nous après le motu proprio ?
15 août 2007 - Éditorial du n° 75 de “Miles” (Bulletin des Chevaliers de Notre-Dame) - Jean Pierre le Roy - mise en ligne par amissfs.com
Où en sommes-nous après le motu proprio ? Le motu proprio Summorum Pontificum est certainement un événement.

Précisons tout de même qu’il n’aurait probablement jamais vu le jour si Mgr Lefebvre était resté dans sa paisible retraite au fond d’une chambrette romaine, au lieu de fonder Écône et d’aller à la rescousse du Sacerdoce catholique, et d’une grande par- tie de la doctrine de l’Église transmise depuis les Apôtres, et qui faisaient naufrage.

Il est également intéressant de remarquer que le Souverain Pontife ne “libéralise” pas seulement la Messe tridentine, mais aussi les sacrements selon leur forme traditionnelle, et le bréviaire lui-même.

Certains se demandent peut-être : Alors où en sommes-nous ? Que devons-nous faire ? Mgr Fellay a d’avance répondu tout dernièrement à ces questions. C’était à l’occasion de son Jubilé sacerdotal le 27 juin dernier. Il nous a dit : Même si nous avons le motu proprio, «la guerre n’est pas terminée» !

D’une part, il est vrai que l’application du motu proprio ne sera pas facile, car beaucoup de membres du clergé y sont encore fermement opposés, et ils pourront, à juste raison, indiquer que ceux qui s’appuient sur Summorum Pontificum pour célébrer la Messe de toujours, doivent, comme son auteur, aussi reconnaître le N.O.M. et Vatican II.

D’autre part, ceux des fidèles qui ne voient pas plus loin que la Messe du dimanche, penseront peutêtre qu’ils n’ont désormais plus de raison d’aller dans les centres de Messe de la Fraternité. En cela ils trahiraient – probablement sans s’en rendre compte : l’ignorance peut être mortelle ! – la pensée de Mgr Lefebvre, qui a expliqué à maintes reprises :

«Voilà ce qui fait notre opposition, et c’est pourquoi l’on ne peut pas s’entendre. Ce n’est pas d’abord la question de la messe, car la messe est justement une des conséquences du fait que l’on a voulu se rapprocher du protestantisme, et donc transformer le culte, les sacrements, le catéchisme, etc. »

«La vraie opposition fondamentale est le Règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Opportet Illum regnare, nous dit saint Paul. Notre Seigneur est venu pour régner. Eux disent non, nous disons oui, avec tous les papes.» (1)

En effet, ces prêtres, qui diront la Messe tridentine en dehors des centres de Messe de la Tradition ne pourront en aucun cas prêcher contre la Liberté religieuse, la Laïcité de l’État, l’OEcuménisme, la Collégialité et autres notions perverses répandues à la suite de Vatican II.

Enfin, il faut bien reconnaître que le Motu Proprio lui-même contient un certain nombre d’ambiguïtés qui peuvent devenir de véritables embûches. Il s’agit – c’est incontestable – d’un effort pour sortir de l’impasse. Le tout est de savoir : «Sortir dans quel sens ?». L’avenir nous dira s’il s’agit d’un sincère retour aux critères traditionnels de la liturgie ou au contraire d’un miroir aux alouettes pour mieux attirer les «tradis» et les faire entrer dans le giron de «l’Église conciliaire». La grande bonne volonté du Pape ou son habileté machiavélique, diront certains, l’ont obligé à naviguer entre Charybde et Scylla. Quelle est la part de la diplomatie ? Parmi ces contradictions, il faut sans doute relever les suivantes :

Droits restaurés en partie seulement : ce rétablissement de facto de la Messe est partiel seulement, puisque la Messe traditionnelle doit co-exister avec la Messe de Paul VI. Qui plus est, la Messe de Paul VI est présentée dans le Motu Proprio comme «l’expression ordinaire de la lex orandi de l’Église catholique de rite latin», tandis que «le Missel romain promulgué par S. Pie V et réédité par le B. Jean XXIII doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la même lex orandi de l’Église et être honoré en raison de son usage vénérable et antique» (2). Le rite ancien est honoré, mais il n’a le droit qu’à un strapontin.

Or, c’est l’inverse qui est exact. En effet, si, comme le confirme Benoît XVI, la Messe traditionnelle n’a jamais été abrogée, elle a la même force juridique qu’en 1969, c’est dire qu’elle reste selon Quo Primum :

la Loi générale et universelle de l’Église, une Coutume immémoriale, un Privilège inaliénable, et la Messe de Paul VI, elle, est en fait un rite introduit, si on peut dire, comme une dérogation à la loi universelle, c’est-à-dire, dans le langage moderne, comme un rite justement... «extraordinaire».

A moins que décidément l’on ne parle argot à Rome et que cela signifie que le rite de Paul VI est vachement «ordinaire», c’est à dire terre-à-terre, naturel, tandis que le rite traditionnel est vraiment «extraordinaire», surnaturel, source ineffable de vie divine !

L’effet zoo : Cette «expression extraordinaire» de la liturgie semble être une concession faite à des fidèles un peu particuliers (c’est ce que Mgr Fellay appelait le danger d’être rangé dans le «zoo» des animaux «extraordinaires» justement : «Le curé peut aussi autoriser aux fidèles ou au prêtre qui le demandent, la célébration sous cette forme extraordinaire dans des cas particuliers comme des mariages, des obsèques ou des célébrations occasionnelles, par exemple des pèlerinages.» (3)

Piège liturgique : «Ces deux expressions de la lex orandi de l’Église n’induisent aucune division de la lex credendi de l’Église; ce sont en effet deux mises en oeuvre de l’unique rite romain», dit Summorum Pontificum. On peut d’abord mettre en doute qu’il s’agisse d’une seul et même rite :

«Cette idée de sacrifice expiatoire s’estompe et disparaît dans ce nouveau rite, qui a été voulu nouveau par Paul VI. Il l’a dit lui-même : ‘Nous abandon- nons l’ancien rite pour faire un nouveau rite.’» (4).

Mais en outre cela oblige celui qui s’appuiera sur ce Motu Proprio pour célébrer la Messe traditionnelle, à reconnaître par le fait même le N.O.M. que Benoît XVI y présente de manière parallèle comme d’au moins aussi bon aloi.

Un carcan : Et par conséquent, il ne pourra, comme nous l’avons dit plus haut, ni prêcher contre les erreurs de Vatican II, ni contre les graves déficiences du N.O.M., le Pape se refusant à reconnaître la rupture liturgique et doctrinale accomplie à l’occasion de Vatican II. Mgr Fellay précise à juste titre :

«Cette négation d’une rupture causée par le dernier concile – déjà manifestée dans le discours à la curie du 22 décembre 2005 – montre combien l’enjeu du débat entre Rome et la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X est essentiellement doctrinal. C’est pourquoi il faut que l’indéniable avancée liturgique opérée par le Motu Proprio soit prolongée – après le retrait du décret d’excommunication – par des discussions théologiques.»

Dans la mesure où les supérieurs de la Fraternité en resteront aux étapes prévues, comme Mgr Fellay l’a encore rappelé récemment, nous pouvons être à peu près assurés que le déraillement annoncé par certains n’aura pas lieu :

1.- D’abord, la libéralisation totale de la Messe de St Pie V et la levée des sanctions canoniques visant nos Évêques, tout au moins aux yeux du public, car ces sanctions n’ont aucune valeur juridique, tout comme on ne peut rétablir dans ses droits une Messe qui n’a jamais été abrogée.

2.- Ensuite, discussion théologique sur les points fondamentaux de divergence entre Vatican II et le Magistère traditionnel de l’Église.

3.- Et enfin, mais enfin seulement, négociation canonique à propos du statut de la FSSPX et des congrégations religieuses qui ont suivi Mgr Lefebvre.

Vouloir négocier sans avoir d’abord réglé les problèmes doctrinaux serait suicidaire. Mgr Fellay l’a lui-même répété bien des fois.

Mgr Lefebvre nous donne un avant-goût de ce que pourraient être ces discussions doctrinales, après les deux préalables et avant toute négociation canonique sur le statut de la Fraternité (in Fideliter n° 66, septembre – octobre 1988) :

«Nous n’avons pas la même façon de concevoir la réconciliation. Le cardinal Ratzinger la voit dans le sens de nous réduire, de nous ramener à Vatican II. Nous, nous la voyons comme un retour de Rome à la Tradition. On ne s’entend pas. C’est un dialogue de sourds. Je ne peux pas beaucoup parler d’avenir, car le mien est derrière moi. Mais si je vis encore un peu, et en supposant que d’ici à un certain temps Rome fasse un appel, qu’on veuille nous revoir, reprendre langue, à ce moment-là, c’est moi qui poserai les conditions.

«Je n’accepterai plus d’être dans la situation où nous nous sommes trouvés lors des colloques. C’est fini. Je poserai la question au plan doctrinal : “Est-ce que vous êtes d’accord avec les grandes encycliques de tous les papes qui vous ont précédés ? Est-ce que vous êtes d’accord avec Quanta Cura de Pie IX, Immortale Dei, Libertas de Leon XIII, Pascendi de Pie X, Quas Primas de Pie XI, Humani generis de Pie XII ? Est-ce que vous êtes en pleine communion avec ces papes et avec leurs affirmations ? Est-ce que vous acceptez encore le serment anti-moderniste ? Est-ce que vous êtes pour le règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ ?

«Si vous n’acceptez pas la doctrine de vos prédécesseurs, il est inutile de parler. Tant que vous n’aurez pas accepté de réformer le Concile, en considérant la doctrine de ces papes qui vous ont précé dés, il n’y a pas de dialogue possible. C’est inutile. Les positions seraient ainsi plus claires. Ce n’est pas une petite chose qui nous oppose. Il ne suffit pas qu’on nous dise : ‘Vous pouvez dire la messe ancien- ne, mais il faut accepter cela [le Concile]’. Non, ce n’est pas que cela [la messe] qui nous oppose, c’est la doctrine. C’est clair.» Et Monseigneur de donner un exemple alors tout brûlant :

«C’est ce qui est grave chez dom Gérard et c’est ce qui l’a perdu. Dom Gérard n’a toujours vu que la liturgie et la vie monastique. Il ne voit pas clairement les problèmes théologiques du Concile, de la liberté religieuse. Il ne voit pas la malice de ces erreurs. Il n’a jamais été très soucieux de cela. Ce qui le touchait, c’était la réforme liturgique, la réforme des monastères bénédictins. Il est parti de Tournay en disant : ‘je ne peux pas accepter cela’. Alors, il a reformé une communauté de moines avec la liturgie, dans la pensée bénédictine. Très bien, c’était magnifique.

«Mais je pense qu’il n’a pas suffisamment mesuré que ces reformes qui l’avaient amené à quitter son monastère étaient la conséquence des erreurs qui sont dans le Concile. Pourvu qu’on lui accorde ce qu’il cherchait, cet esprit monastique et la liturgie traditionnelle, il a ce qu’il veut et le reste lui est indifférent. Mais il tombe dans un piège, car les autres n’ont rien cédé sur ces faux principes. C’est dommage, car cela fait tout de même soixante moines, dont une vingtaine de prêtres, et trente moniales. Il y a presque une centaine de jeunes qui sont là, complètement désemparés et dont les familles sont inquiètes ou même divisées. C’est désastreux.»

Pour dîner avec les diplomates romains, il faut une longue cuiller... Prions donc pour le Clergé et les responsables de la Tradition.

Jean Pierre le Roy

1) L’Église infiltrée par le Modernisme, le ver est dans le fruit, Le fondement de notre position, p. 70 (c’est nous qui soulignons).
2) Art. 1.
3) Art. 5. § 3.
4) Mgr Lefebvre, conférence spirituelle, Écône, 27 septembre 1986, citée par M. l’abbé Troadec in La Messe de toujours, Clovis, 2005, p. 328. En effet, par exemple dans l’audience générale du 26 novembre 1969, Paul VI emploie lui-même 6 fois l’expression de « nouveau rite ». Texte italien dans l’Osservatore Romano du 27 novembre 1969. Traduction, titre et sous-titres de la DC.