27 janvier 2009





Benoît XVI déclenche un vent de fronde chez les cathos français
27 janvier 2009 - Pascal Riché - rue89.com
L'hebdomadaire La Vie lance une pétition contre la réhabilitation de Mgr Williamson, qui nie l'existence des chambres à gaz. Il n'est pas fréquent de voir des catholiques contredire le pape -leur père-, encore moins de se révolter ouvertement contre l'une de ses décisions. C'est pourtant ce que viennent de faire une cinquantaine d'intellectuels français, en signant une pétition intitulée "Pas de négationnistes dans l’Eglise".
Elle a été diffusée hier soir, sur son site internet, par le généralement discret hebdomadaire La Vie. On trouve du beau monde sur la liste des signataires:
  • l'essayiste Jean-Claude Guillebaud
  • le philosophe René Girard
  • l'ancien président de la Commission européenne, Jacques Delors
  • l'écrivain Eric-Emmanuel Schmitt
  • le journaliste Jean Boissonnat
  • le directeur du théâtre de l'Odéon à Paris, Olivier Py
Ils sont en colère contre la décision prise par le Vatican de réhabiliter les évêques intégristes, une affaire dont notre blogueur "libéral de gauche" Hugues Serraf vous a déjà parlé mardi.
On les comprend, tant le télescopage des récents événements a été funeste pour l'image de l'Eglise.
  • Mgr Richard Williamson, l'un des quatre évêques intégristes ordonnés en 1988 par Mgr Lefebvre, déclare jeudi: "Je crois que les chambres à gaz n'ont pas existé."
  • Cela n'empêche pas Benoît XVI de lever samedi les excommunications frappant lesdits lefebvristes.
Pour un catholique humaniste, comment ne pas bondir face à une telle "ambiguïté"? Comment supporter l'idée qu'on puisse soupçonner l'Eglise de blanchir ainsi des négationnistes?
Après une conversation téléphonique ce week-end avec Jean-Claude Guillebaud, Jean-Pierre Denis, le directeur de la rédaction de La Vie, jugeant la situation "insupportable", décide de lancer une campagne.
Une pétition est rédigée: l'évêque britannique intégriste "ne saurait trouver sa place dans l'Eglise, sans repentir sincère et explicite de sa part" dit le texte, avant d'appeler le pape à condamner "clairement" ses propos.
Les intellectuels contactés ne se font pas prier pour signer. Y compris, cela étonne agréablement les journalistes de La Vie, certains catholiques réputés proche de la pensée de de Benoît XVI. C'est le cas des philosophes Rémi Brague, ou encore de Jean-Luc Marion (ancien conseiller de Jean-Marie Lustiger).
Des signatures de telles personnalités, au bas d'une pétition critique à l'endroit de décisions du pape, auraient été impensable il y a encore un an.
Au coeur de la polémique: l'interprétation de Vatican II
L'hebdomadaire La Vie, créé après la guerre (il s'appelait alors La Vie Catholique) a été l'un des fervents partisans du Concile de Vatican II, qui a considérablement dépoussiéré l'Eglise au début des années 60.
Les journalistes de La Vie considèrent que l'Eglise doit aujourd'hui défendre les acquis de ce concile "progressiste", et notamment la reconnaissance de la liberté de conscience, la nécessité de dialoguer avec les autres religions, le droit à changer de religion, la réconciliation avec le judaïsme, etc.
Les intégristes, eux, sont nés d'une allergie à Vatican II. Et si pour les catholiques, le Concile reste une "boussole" (l'expression est prêtée à Jean-Paul II), pour les intégristes, elle indique la mauvaise direction.
Derrière l'affaire Williamson, c'est toute l'interprétation de Vatican II qui est en débat. Jusque là, ce dernier était considéré par tous comme une rupture: il y avait l'avant-Vatican II (avec sa fermeture aux autres religions, sa messe en latin, etc.) et l'après Vatican II (avec son ouverture aux autres, sa tolérance, sa modernité...).
Sur le constat de cette rupture, tout le monde s'accordait. Simplement, si 400 000 prêtres catholiques approuvent cette rupture, 500 prêtres intégristes la considèrent comme une trahison. En 1988, Mgr Lefebvre est excommunié pour avoir sacré quatre évêques traditionalistes sans l'aval de Rome: le schisme est alors consommé. (voir la vidéo INA).
"Au coeur du désaccord: quel est notre rapport à la vérité?"
Là où Benoît XVI est venu brouiller les lignes, explique Jean-Pierre Denis, c'est en rejetant cette idée de rupture: "Pour lui, Vatican II est un simple développement." Selon le pape, "l'avant" et "l'après" sont par conséquent (ré)conciliables. Benoît XVI a, il est vrai un faible pour la liturgie en latin, qu'il aimerait bien tolérer dans les églises. Dès son arrivée à la tête de l'église, en 2005, il a tendu la main au Lefèbvriste (voir la vidéo de l'INA)
Commentaire de Jean-Pierre Denis:
"La liturgie est un faux enjeu. Si ce s'agissait que d'une question de messe en latin, il n'y aurait pas de problème à discuter de cette évolution; après tout, des jeunes catholiques aujourd'hui, moins politisés, se sentant loin des querelles passées, peuvent être attirés par une telle liturgie, comme d'autres redécouvrent les meubles en formica.
"Mais c'est une question bien plus lourde qui est en cause: elle touche à nos valeurs, et au fond, à notre rapport à la vérité: considère-t-on ou non que nous sommes les seuls à la détenir et que tous les autres sont damnés?"
Selon lui, si Benoît XVI n'est pas le "Panzer Kardinal" ("cardinal char d'assaut") que ses contempteurs décrivaient lors de sa nomination, "c'est un homme qui ne raisonne pas en termes politiques, à la différence de Jean-Paul II".
C'est en effet son deuxième gros dérapage important, après celui du discours de Ratisbonne, en 2006 : il avait alors maladroitement brodé sur le rapport de l'islam à la violence.
Les signataires de la pétition espèrent dans les jours qui viennent fédérer une incompréhension, et faire bouger le monde catholique français. Par la voix de son rédacteur en chef religieux Michel Kubler, le journal La Croix, contrôlé par une congrégation religieuse, se félicite de voir Benoît XVI "ouvrir la porte" aux lefebvristes, tout en se déclarant quand même "un peu inquiet".
Quant aux ecclésiastiques français, jusque là, ils sont plus silencieux que leurs églises un jour de foire.