17 septembre 2008

Pius Papa Benedictus !
17 septembre 2008 - Abbé Philippe Laguérie - institutdubonpasteur.org
Monsieur l’Abbé,
Le Pape Benoît XVI termine son voyage de quatre jours en France . Nous avons suivi tous ses discours ( Bernardins, Notre-Dame avec les jeunes ...) ainsi que les messes aux Invalides et à Lourdes . Ce pape tellement décrié semble bel et bien avoir enthousiasmé les catholiques français ! Nous aimerions avoir votre réaction à chaud à l’issue de ce voyage !
Nous vous adressons nos prières pour l’IBP,
Amicalement,
M. Rebours - Meudon

Cher Monsieur,
Nul n’aura la naïveté de croire que le passage du Pape en France va résoudre les innombrables difficultés de l’Eglise en France ! Et s’il s’en trouvait, je ne partage pas leur optimisme euphorique. Il ne s’agit donc pas ici d’analyser ou de faire la synthèse de toutes ses paroles. Il est beaucoup trop tôt. Il s’agit de suggérer ce que le passage du pape en France a réveillé dans nos cœurs de catholiques…
Cela dit, ce fut une « sacrée » bouffée d’oxygène que nous efforcerons de respirer le plus longtemps possible ! Même si le pape a eu le courage d’aborder nombre de sujets qui fâchent (laïcité, culture chrétienne, liturgie, vocations etc.) il l’a fait avec une telle délicatesse et un tel à propos que les contents ne peuvent se vanter, ni les mécontents contester. C’est la manière propre d’agir de ce pape qui se hâte si lentement que son mouvement est à la fois imperceptible et inexorable : irrésistible quoi. Il le fait sûrement exprès : on ne prend pas en main l’Eglise universelle en la brusquant, jusqu’à la briser, pas plus qu’il ne faudrait baisser les bras devant des difficultés insurmontables à vue humaine.
Mais quel est donc le secret de ce Pape surprenant, fort et faible, charitable et résolu, clair et mystérieux, tout à la fois ? Et ceci n’est pas une tactique, un moyen (même bon) de dernière minute, une contrefaçon, un ersatz. Le Pape Benoît XVI est pieux, il transpire la piété, il la véhicule, la rend communicative, aimable en sa personne. Or ce produit-là ne s’improvise pas, ne se fabrique pas pour les besoins de la cause : on l’a ou on ne l’a pas. Nous avons un Pape pieux, quelle grâce inouïe ! Je ne veux pas faire ici de stupides ou hasardeuses comparaisons…
« Pour grands que sont les rois, ils sont ce que nous sommes
Et peuvent se tromper comme les autres hommes ».
En nous bornant aux qualités, et pour cause, on ne peut exiger d’un homme, fût-il pape, qu’il les ait toutes. Seul leur Maître à tous les peut réunir. En revanche, il est décisif pour l’Eglise que son pape ait, au bon moment, la qualité indispensable. Je ne suis pas de ces irénistes inconditionnels qui affirment que c’est toujours le cas, par intervention du Saint-Esprit. Quelle blague ! Le meilleur des mondes n’est jamais que celui de Leibnitz …Ou celui d’Huxley ! La théologie catholique nous indique le contraire ; le péché peut tourner au bien de son auteur, certes, mais en lui-même il ne fait que du mal. Ira-t-on dire que les fautes d’Alexandre VI et ses scandales publics (comme de marier sa fille Lucrèce, conçue durant son cardinalat, devant un parterre de 300 évêques) furent une bonne chose pour l’Eglise ? Quoiqu’on puisse dire aussi qu’il fût un très bon administrateur, parfaitement respectueux de la Foi et des sacrements, et lucide, avec ça, sur son propre compte.
Cette qualité requise impérieusement peut donc faire défaut. Tout saint qu’il fût, et canonisé ensuite, saint Célestin V dut abandonner le gouvernement de l’Eglise, dont il démissionna, pour incapacité notoire à la gouverner. Enfermé « pieusement » par son successeur au château Saint-Ange, il y mourut comme un misérable tolard.
Il me semble que, après une époque caractérisée par l’impiété généralisée des 40 dernières « glorieuses » ( !), la qualité principale d’un pape voulant remettre de l’ordre, sans courir le risque de tout casser et de tout engloutir, est bien cette piété, et la vraie. Rien n’était donc certain, d’emblée. Mais notre pape aime Dieu, son Fils Jésus-Christ, la vierge-Marie, l’Eglise, les prêtres, les vocations, la liturgie, la vérité… On peut toujours faire des déclarations en ce sens, gesticuler les fondamentaux, réciter des leçons, chercher une bonne note, ça ne trompera personne. Les foules, en particulier les petits dans la foule, ne s’y méprennent jamais. Comment se fait-il que ce pape, qu’on disait doctrinal, rigide, « panzer » ait autant, voire plus, attiré les foules enthousiastes et recueillies que son très charismatique prédécesseur ? Il n’est pas jusqu’à la 6ème chaine qui n’ait rapporté la chose, c’est vous dire ! La vie intérieure du pape Benoît, seizième du nom, transparait sur son visage, dans son regard, par son sourire (tout sauf travaillé), dans ses gestes un peu gauches et d’autant plus vrais.
On sait les griefs que nous faisons à la forme ordinaire du rite romain, et précisément celui-là de ne pas porter à la piété ou même, dans le concret des célébrations existentielles, de l’entraver. Eh bien, le pape actuel réussit à lui-seul ce tour de force de réintroduire, dans ce rite qui en est dépourvu, une piété personnelle (non pas rituelle) qui en ferait oublier la superficialité ! Tout ce qu’il touche est grave, serein, intemporel, simple, radieux. On le croit aisément quand il explique alors qu’une cérémonie liturgique n’est jamais assez belle, devant être le reflet de la liturgie céleste de la Jérusalem d’en haut : on s’en fait une belle idée à le voir célébrer. Tous ceux qui ont assisté à ces liturgies en ont été saisis (et moi-même aux vêpres de la cathédrale de Paris ; faut dire qu’ils avaient mis le paquet : Laudate Mariam qui couvrait le grand-orgue déchainé, Tu es Petrus de Monteverdi, Magnificat en ton royal et Te Deum alterné à la parisienne). Le recueillement des foules était saisissant, quoique leur nombre le fût aussi.
Avec Benoît XVI, les idéologies qui nous ont fait tant de mal se meurent : il les assassine tranquillement par la présence de Dieu qu’il promène avec lui. Et que ce prodige vienne du plus intellectuel des papes (du moins à ce qu’on en disait pour le desservir) est remarquable. Nous savions déjà que son élection relevait du miracle. Mais c’en est un aussi grand que de le voir manœuvrer avec autant de douceur que de fermeté et, surtout, de grâce, de charme. Et voila bien ce qu’il fallait à l’Eglise. La fermeté sans charme aurait tout cassé. Le charme tout seul n’a jamais rien donné.
La France vient donc de découvrir en la personne du pape cet heureux mélange de l’un et l’autre qui désarme les malveillants, réconforte les pusillanimes et …relance l’œcuménisme, le vrai ! Les anglicans frappent à la porte de l’Eglise, les orthodoxes s’en rapprochent. Les catholiques déserteurs vont probablement réfléchir sur leur cas et il y a fort à parier que ce pontificat va remplir peu à peu cette Eglise « où chacun doit avoir sa place ». Bizarre ? Non, logique : en redonnant confiance à ceux du dedans, on attire ceux du dehors, tant il est vrai que personne n’aime intégrer une boite en difficulté, embarquer sur un vaisseau qui coule (« prend l’eau de toutes parts » selon l’expression même du Cardinal Ratzinger).
Rien n’est réglé, tout reste à faire, l’Eglise devra combattre jusqu’à la parousie. Mais un coin de ciel bleu s’est dégagé soudainement, un rayon de soleil divin s’est posé sur nous. La grâce conjuguée de la Vierge-Marie de Lourdes et du vicaire d’un Christ qu’on devine ressuscité. Le blanc et le bleu se sont rejoints. Ce voyage 2008 du pape en France restera placé sous le signe de la piété, celle d’un pape qui, par son humilité et sa science conjuguées, lui rend ses lettres de noblesse.
Et si cette piété avait un autre nom ? Sainteté, par exemple ?