4 novembre 2006

Philippe Portier: «Un mouvement plus divers qu'on ne le croit»
4 novembre 2006 - propos recueillis par Catherine Coroller - liberation.fr
Religion. Philippe Portier, professeur à l'université Rennes-I, sur les traditionalistes français: «Un mouvement plus divers qu'on ne le croit»
Par Catherine COROLLER
QUOTIDIEN : samedi 4 novembre 2006
Philippe Portier est professeur à l'université Rennes-I, auteur de la Pensée de Jean Paul II (1). Il analyse la composition de la mouvance traditionaliste française et les raisons de la main tendue par Benoît XVI aux intégristes.

Que pèse la mouvance traditionaliste ?
Elle se situe aux alentours de 200 000 personnes à travers le monde, 80 000 en France dont la moitié se reconnaît dans la Fraternité Saint-Pie-X. Elle reste cependant un mouvement massivement français, puisant ses racines dans la mouvance nationale-catholique inspirée par l'Action française de Charles Maurras [d'extrême droite et antisémite, ndlr]. Cette filiation explique qu'une part significative de ces catholiques, un gros tiers, se retrouvent du côté du Front national. Sans qu'il y ait cependant superposition parfaite : une autre partie marque une préférence pour le mouvement de Villiers ou même pour l'UMP.
Les traditionalistes recrutent-ils toujours dans l'armée et la vieille noblesse française ?
Ce mouvement est socialement plus divers qu'on ne le croit. A côté des milieux aristocratiques, militaires, ou de la «bourgeoisie de tradition», on trouve des catégories plus populaires : agriculteurs, commerçants, artisans, et, à moindre titre, petits fonctionnaires. Ces milieux, dans leurs différences, adhèrent à une commune vision du monde : se sentant menacés par l'évolution sociale, ils trouvent dans les fraternités traditionalistes une protection contre la modernité et ses errements libéraux et «cosmopolitiques».
La peur de l'islam peut-elle renforcer ce courant ?
Héritage de l'Action française, le monde traditionaliste cultive une vision substantialiste de la nation : la France n'est pas dissociable de son identité catholique. Ils rejettent du coup toute perspective d'«islamisation» de la France éternelle. Ce discours ne se traduit toutefois pas par l'arrivée massive en ses rangs de troupes nouvelles. La hantise du choc des civilisations, la peur des invasions barbares, dans une société post-chrétienne comme la nôtre, s'exprime plus souvent sur d'autres terrains que dans le seul domaine religieux : sur le terrain politique (vote Le Pen) ou culturel (montée diffuse des valeurs d'ordre et d'autorité).
La réintégration par Benoît XVI du courant intégriste de l'abbé Laguérie suscite le mécontentement des évêques. Quelle est en l'occurrence la stratégie du Vatican ?
La position de Benoît XVI, comme celle de Jean Paul II auparavant [qui avait tenté aussi un rapprochement avec la Fraternité Saint-Pie-X, repoussé finalement par Mgr Lefebvre], peut s'expliquer par deux raisons. Une raison théologique : il faut, disait le Christ, que l'Eglise soit une, Ut unum sint. On ne peut donc accepter que le corps ecclésial soit divisé. D'autant que les analyses des traditionalistes et celles du pape se rejoignent sur la crise du monde moderne et sur la diffusion au sein de l'Eglise d'une pensée subjectiviste et d'une liturgie souvent «protestantisée» du fait de la mise en oeuvre contestable du concile de Vatican II. Il y a une raison stratégique, aussi : face à l'emprise de la sécularisation, il convient de rassembler toutes les énergies catholiques, d'autant que les milieux traditionalistes, qui ne progressent pas globalement, sont des pépinières de vocations. Les évêques français ne se retrouvent pas dans cette position qu'ils jugent téméraire, comme l'ont expliqué au pape, il y a quelques jours, Mgr Lustiger et Mgr Ricard. Si tant est qu'il faille réintégrer les traditionalistes ­ ce qui pose problème en raison de leur opposition irréductible à Vatican II ­, c'est à condition de leur imposer canoniquement «le respect de la hiérarchie épiscopale».
Benoît XVI peut-il ignorer cette fronde ?
Le pape a sous-estimé la résistance des évêques français, eux-mêmes en phase avec leurs prêtres et les laïcs engagés. On attend aujourd'hui de lui un motu proprio [décret papal qui devrait être publié prochainement sur la question des intégristes] qui, selon toute vraisemblance, nuancera les ouvertures initialement annoncées. On peut supposer qu'il soumettra l'Institut du Bon-Pasteur à un contrôle renforcé de l'évêque du lieu, peut-être aussi qu'il lui réclamera, en échange, une plus grande acceptation du concile.
(1) Editions de l'Atelier, 2006.