12 février 2009





« La faute de Benoît XVI »
12/02/2009 - Dominique Dunglas - lepoint.fr
Controverse. Le pape aurait dû sanctionner les négationnistes, selon le théologien Vito Mancuso.
Professeur de théologie moderne à l'université San Raffaele de Milan, Vito Mancuso est à 46 ans un théologien très en vue en Italie. Ses deux premiers ouvrages consacrés à Hegel et au drame de la maladie furent accueillis avec des louanges par le Vatican. Mais dans « De l'âme et de son destin » (1)-qui a été vendu à plus de 80 000 exemplaires en Italie-, Vito Mancuso remet en question des piliers du dogme comme le péché originel, l'éternité, la damnation de l'enfer, le lien entre le salut et le sacrifice du Christ sur la croix, la nature strictement divine de l'âme. Et, très critique envers Benoît XVI, il appelle à la tenue d'un concile Vatican III pour refonder la foi.
Le Point : Comment expliquez-vous la réintégration d'un évêque négationniste dans l'Eglise ?
Vito Mancuso : Si Benoît XVI ignorait les propos de Williamson lorsqu'il a levé l'excommunication, cela dénote une incroyable incompétence de la part de ceux qui, chargés du dossier, auraient dû le tenir au courant. A moins que le pape n'ait été sciemment mal informé afin de le placer devant le fait accompli. Dans ce cas, il aurait été victime d'une machination. Mais dans ces deux hypothèses il aurait dû envoyer un signal fort en sanctionnant les coupables. Ce qu'il n'a pas fait. Je pense donc que Benoît XVI n'ignorait rien et qu'il a décidé de survoler ce qu'il considérait être un détail au nom d'un intérêt supérieur : renforcer l'Eglise catholique en récupérant le clergé lefebvrien. Une faute courante des hommes de pouvoir qui privilégient le bien de leur propre appareil au détriment du bien commun, dans ce cas au détriment de la mémoire des victimes de la Shoah. Ce n'est pas la première fois que cela se produit dans l'histoire de l'Eglise.
Pensez-vous qu'une restauration pré-conciliaire est en cours ?
Oui, et on le comprend à l'interprétation même que donne le pape du concile Vatican II en le présentant comme la continuité du pontificat de Pie XII. Benoît XVI en est même arrivé à affirmer que Pie XII fut un précurseur de Vatican II ! Alors que le concile représente une rupture totale pour la liturgie, la façon de lire et d'interpréter la Bible, les rapports avec les autres confessions, les relations avec les juifs après deux mille ans de mépris envers le judaïsme ou la façon même d'appréhender le monde moderne. La meilleure preuve de cette rupture, ce sont les lefebvriens eux-mêmes : ils l'ont refusée et se sont mis hors de l'Eglise.
Les catholiques sont-ils disposés à suivre le pape dans cette restauration ?
Le théologien Hans Küng pense que Benoît XVI a perdu le contact avec la base, avec les problèmes, les drames, les espoirs des gens ordinaires. Moi, je me demande si Benoît XVI a jamais connu cette réalité. A part une très brève expérience lorsqu'il fut archevêque de Munich, il a toujours évolué dans la structure et parmi les hommes d'Eglise, soit en tant qu'universitaire, soit en tant que responsable de la Congrégation de la foi. Mais il y a une part du monde catholique qui est disposée à suivre les enseignements du pape quels qu'ils soient parce que l'obéissance au pasteur légitime est une dimension capitale de leur foi. En Italie, c'est certainement la majorité du troupeau. Le prix de cette obéissance, c'est le musellement de la critique, de l'innovation, de la capacité de se confronter avec les autres confessions ou les non-croyants. Etre catholique aujourd'hui signifie dire oui à la hiérarchie et non au monde et à ses élaborations culturelles.
Le cardinal Martini, qui jouit d'un immense prestige et fut, lors du dernier conclave, un possible « papabile », a pourtant préfacé votre livre. Cela indique-t-il qu'il y aurait au sein de la hiérarchie deux grands courants ?
Oui, le cardinal Martini considère que Vatican II a été la base d'une transformation et qu'il faut aller plus loin. La morale sexuelle, la structure hiérarchique, l'ordination de personnes mariées ou le sacerdoce féminin sont autant de questions que le cardinal Martini sent venir de la base et qu'il voudrait mettre à l'ordre du jour pour en discuter. De l'autre côté, non seulement on ne veut pas faire de pas en avant, mais on veut retourner en arrière. La différence est entre ceux qui regardent en avant vers Vatican III et ceux qui regardent en arrière vers Vatican I.
Ne sacrifiez-vous pas la foi sur l'autel de la modernité et des sciences exactes ?
Thomas d'Aquin lui-même fut accusé de diluer le vin chrétien avec l'eau de la connaissance non chrétienne. Je tente, très modestement, de suivre son enseignement. On sait aujourd'hui trop de choses pour continuer à croire selon les perspectives traditionnelles. Les rapports Dieu-monde, Dieu-histoire, Dieu-nature doivent changer. Comment croire par exemple que l'homme est directement créé par Dieu devant le drame des maladies génétiques ? Dieu a-t-il créé les maladies génétiques ? On ne peut répondre à cette question en disant simplement « mystère ».
Par quoi faut-il commencer pour refonder la foi ?
Il faut partir du Bien. Dans ce monde où tout est calculé, qui semble économiquement et biologiquement déterminé, où il n'y a pas de place pour une justice gratuite, l'être humain a en lui une attraction pour une dimension supérieure du Bien.
Que faites-vous de la Vierge Marie, du Christ, de saint Pierre, du panthéon des saints, de tout ce qui a formé le cadre de la chrétienté ?
Ils appartiennent à la grande narration chrétienne, à la foi de ma mère, à celle des personnes simples. Il est juste que cette foi populaire existe et persiste. Le but de la théologie est de montrer que, derrière la Madone, les saints, les processions, les cierges et les miracles, il y a des contenus plus vastes qui parlent à des niveaux supérieurs de la conscience. L'Eglise catholique est tellement préoccupée de s'adresser aux masses qu'elle empêche cette élaboration.
Dans cette foi refondée, que devient la Bible ?
Elle garde un grand rôle. C'est la clé pour entrer dans la maison. Sans la narration biblique, sans la figure de Jésus, je ne serais pas ce que je suis. Mais la Bible n'est pas tout. C'est la grammaire qui permet de comprendre un discours plus ample. Il y a le livre écrit qui est la Bible, et le livre non écrit qui est la vie. Dieu ne s'est pas révélé une seule unique fois il y a deux mille ans. Il se révèle en permanence.
Ce changement passe-t-il par un nouveau concile, un Vatican III ?
Oui. Et la politique de restauration du pape facilite paradoxalement le chemin vers Vatican III. Il suscite tellement de frustrations, de conflits, l'éloignement de tant de catholiques qu'une fois touché le fond il sera obligatoire d'accepter de discuter. On est dans une période douloureuse, mais la vérité l'emporte toujours.

1. « De l'âme et de son destin », de Vito Mancuso (Albin Michel, 380 pages, 22 E).