13 août 2008


Archives 7 - " Pourquoi les fidèles sont-ils attachés à la liturgie traditionnelle ? - Lettre d'Oremus d'Avril 1998
13 août 2008 - lettre 132 de paixliturgique.com
La lettre que nous republions aujourd'hui date de 1998 et traite d'un sujet immense et difficile à circonscrire. Pourtant, ce qui a été écrit il y a 10 ans garde toute sa pertinence même si mille autres raisons pourraient être ajouter à ces très riches réponses.
En tout état de cause, l'essentiel y est et c'est bien de cela dont nous nous voulons témoigner auprès de ceux qui ne connaissent pas encore les richesses de la forme "Extraordinaire" du rite romain.
C'est aussi bien cela que nous voulons rappeler aujourd'hui en 2008 à nos évêques qui pour continuer leur politique concertée de neutralisation de la pratique traditionnelle, continuent au fil des années, à se demander pourquoi des fidèles sont attachées à la liturgie traditionnelle de l'Eglise et quelles sont leur aspirations véritables.
Voici la lettre :

Pourquoi les fidèles sont-ils attachés à la liturgie traditionnelle ?
Lors de nos précédentes livraisons de la Lettre d’Oremus, nous avons cherché à comprendre quels étaient les fidèles qui étaient attachés à la célébration de la liturgie traditionnelle. Poursuivant notre enquête, nous souhaitons aujourd’hui aborder la question de savoir pourquoi certains catholiques restent fidèles à la liturgie traditionnelle ou se tournent de plus en plus nombreux vers celle-ci. Nous avons demandé à Marc Bouhier, vice-président d’Oremus, de répondre à nos questions.
Nous souhaitons aujourd’hui aborder une délicate question, à savoir pourquoi des catholiques sont attachés à la liturgie traditionnelle. Comment pouvez-vous nous aider à répondre à cette question ?
Il est vrai que la réponse à cette question est essentielle pour tous ceux qui cherchent à appréhender le phénomène « traditionnel » et qui ne comprennent pas que, loin de s’éteindre, celui-ci soit aujourd’hui de plus en plus dynamique. Bien évidemment, depuis longtemps, nous nous sommes penchés sur ce sujet et c’est pourquoi nous avons décidé, il y a plusieurs années, d’entreprendre dans le cadre d’Oremus une vaste enquête sur cette question.
Sur quelle base avez-vous mené votre enquête ?
Au travers de l’association Oremus, nous recevons chaque mois plusieurs dizaines de lettres de fidèles qui évoquent entre autres aspects les motifs de leur attachement à la liturgie traditionnelle. Après trois ans d’existence, cela représente un corpus de plusieurs milliers de témoignages émanant de fidèles de tout âge et de toutes les régions de France. Cet ensemble constitue, nous le croyons, un échantillon assez représentatif de l’opinion des fidèles attachés à la liturgie traditionnelle. D’autre par, nous rencontrons régulièrement, lors de nos activités, des catholiques avec lesquels nous ne manquons pas d’aborder ce sujet. C’est ainsi que nous avons pu nous faire une idée assez précise des motivations qui animent les fidèles dans leur choix de vivre leur vie chrétienne dans le cadre de la liturgie traditionnelle.
Quelle valeur théologique accordez-vous à votre enquête ?
Nous n’avons pas voulu, en entreprenant ce travail, nous placer sous un angle théologique, pour la bonne raison que nous n’avons ni prétention, ni compétence dans ce domaine. C’est pourquoi nos observations constituent uniquement le reflet de l’attitude et des aspirations d’un très grand nombre de fidèles catholique dans leur approche de la liturgie traditionnelle.
Quel est donc le motif de l’attachement des fidèles à la liturgie traditionnelle ?
Comme je l’évoquais il y a quelques instants, les fidèles que nous avons rencontrés ou dont nous avons reçu le témoignage sont très nombreux. D’autre part, un même fidèle peut avoir plusieurs motifs d’attachement à la liturgie traditionnelle. C’est pourquoi il n’est pas possible d’indiquer « une seule et unique » raison de l’attachement des fidèles à la liturgie traditionnelle ; nous ne pouvons que constater que c’est pour une large palette de motivations qu’ils ont fait ce choix liturgique. Cependant, malgré cette pluralité, il n’en reste pas moins vrai que certaines aspirations apparaissent plus fréquemment et peuvent donc être considérées comme particulièrement essentielles pour les fidèles.
Quelles sont les aspirations dont vous avez constaté qu’elles étaient les plus fréquemment exprimées ?
Le critère qui apparaît le plus fréquemment est celui du silence, du besoin de retrouver une atmosphère sacrée ; c’est en effet ce recueillement pendant la célébration que recherchent et qu’apprécient le plus souvent les fidèles. L’importance de ce critère croît même d’une manière exponentielle chez ceux qui, jusqu’à leur décision de pratiquer leur foi au rythme de la liturgie traditionnelle, fréquentaient leur cadre paroissial. Bien souvent, c’est par refus de participer à des célébrations bruyantes et cacophoniques qu’ils ont choisi de s’attacher à la liturgie traditionnelle… Lassés qu’ils étaient d’avoir l’impression de subir en permanence, lors des offices, un bavardage incessant qui, en voulant peut-être expliquer les mystères, finit par prendre leur place.
Pourquoi cette importance du silence ?
Il est clair que le silence n’est pas une fin en soi. Pour les fidèles, participer au saint sacrifice en silence, c’est donner à cette célébration une dimension de recueillement et de prière. C’est pourquoi, à travers cette quête du silence, l’on perçoit leur désir de considérer leur présence à la messe comme un grand moment de leur vie chrétienne auquel ils souhaitent s’associer d’une manière plus intense et plus profonde. Cette participation intérieure est plus importante qu’une participation extérieure forcée qui met mal à l’aise beaucoup de fidèles. Nous avons notamment constaté que, spécialement chez les hommes, cet aspect devenait parfois si insupportable qu’ils préféraient cesser de pratiquer.
Pourtant, la liturgie traditionnelle ne se déroule pas toujours entièrement en silence ?
Assurément, et c’est pourquoi il ne faut pas considérer l’attachement des fidèles au silence comme leur seule préoccupation. Ainsi leur désir de s’associer au saint mystère dans le recueillement et la méditation ne leur fait certes pas contester le bien-fondé des lectures ou du sermon ! C’est le bruit, c’est le brouhaha permanent, c’est leur difficulté, voire leur impossibilité de se recueillir et de profiter des célébration liturgiques pour faire un retour sur eux-mêmes, pour rencontrer notre Seigneur, qu’ils rejettent avec force, notamment aux moments du canon et de la consécration.
Quel lien faites-vous entre le silence et la musique sacrée ?
Il est certain que la musique sacrée, tant le chant du propre que celui du Kyriale, font partie intégrante de la liturgie traditionnelle. Cependant, les fidèles ne perçoivent pas cette musique sacrée comme un « bruit » qui viendrait perturber leur recueillement. Au contraire, avec la musique de l’orgue, elle favorise leur désir de piété et de silence intérieur en élevant leur âme au cours de la célébration des saints mystères. C’est pourquoi il nous faut bien distinguer la musique sacrée, qui apaise l’âme, des chants d’assemblée - souvent mal adaptés à la piété à laquelle aspirent de nombreux fidèles.
Quel est le second motif de l’attachement des fidèles à la liturgie traditionnelle ?
Le second caractère qui nous est apparu est celui de l’attachement des fidèles aux formes extérieures de l’adoration de la présence réelle. Parmi celles-ci, notons par exemple les génuflexions, l’agenouillement pendant la consécration, la communion à genoux et sur les lèvres, l’orientation de la célébration vers Dieu et non vers l’assemblée…
Pourquoi cet attachement à des formes extérieures ?
Il faut tout d’abord rejeter l’idée, qui pourrait venir à l’esprit de quelques-uns, que cet attachement est purement mécanique, le fruit d’une habitude. La preuve en est que beaucoup de fidèles qui n’avaient pas vécu jusqu’alors leur foi au rythme de la liturgie traditionnelle sont venus à celle-ci justement parce qu’ils y trouvaient ces formes extérieures de piété qui n’étaient pas pour eux des habitudes, mais qui correspondaient pour eux à un réel besoin spirituel.
Quels liens établissez-vous entre des formes extérieures de dévotion et le besoin spirituel des fidèles ?
Il est clair que cet attachement à des formes externes de pratique et de dévotion ne peut se comprendre que comme un désir des fidèles de faire vivre la totalité de leur être au rythme de leur foi ; ils expriment leur conviction que la sainte messe est réellement le renouvellement du sacrifice de la Croix et que le Christ est réellement présent dans l’eucharistie. A partir de cette croyance, l’attachement aux formes extérieures de dévotion prend signification de prière, et la messe où se vit cette participation intégrale des fidèles en leur âme et en leur corps devient alors un authentique acte de foi.
Mais le chrétien ne doit-il pas savoir se détacher de ces éléments secondaires ?
Il est étrange qu’à une époque où l’on exalte tant le corps, où l’on feint de trouver dans le yoga ou le zen des vertus extraordinaires, l’on réprouve chez les fidèles catholiques le désir de faire participer leur corps aux élans de leur âme. Pour rester simple, n’oublions pas que l’homme a un corps et une âme et qu’il importe de faire communier ces deux facettes d’un même être à la vie spirituelle. Encore faut-il que ces gestes correspondent véritablement à une tradition et ne soient pas un simple placage factice, comme c’est le cas dans la pratique actuel du « baiser de paix » qui apparaît trop souvent comme tout à fait artificiel.
Vous insistez sur les formes gestuelles de la liturgie ; les formes verbales ont-elles été aussi l’objet de vos observations ?
Bien évidemment, nous avons constaté d’une manière fréquente, tant chez les anciens fidèles que chez les nouveaux, le regret d’une familiarité jugée excessive, souvent caricaturale, qui n’appartient pas à notre tradition européenne. Parmi ces manifestations, nous trouvons en première place l’utilisation du tutoiement qui, bien que mis en place « par la force » il y a plus de trente ans, paraît encore aujourd’hui à beaucoup comme tout à fait déplacé dans le dialogue public avec Dieu. Il est clair que le rejet de cette familiarité démagogique a fait beaucoup pour la désaffection des églises par les fidèles et leur adhésion à la liturgie traditionnelle qui avait su refuser ces innovations déplacées. Il faudrait encore citer le caractère familier et horizontal des relations entre les fidèles et le célébrant, ce dernier n’étant souvent considéré que comme un participant comme les autres ou un simple président d’honneur, alors qu’il représente le Christ lui-même.
Pourtant, cette familiarité et ce souhait de faire participer l’assemblée ne correspondent-ils aux attentes de notre époque ?
Cela est sans doute vrai dans le monde profane, mais il serait bon de s’interroger : les fidèles qui participent à la liturgie veulent-ils y retrouver les valeurs du monde extérieur ? Ne souhaitent-ils pas, plutôt, profiter de ces instants pour s’en extraire en s’élevant vers le Dieu transcendant ? Dans tous les cas, les conclusions de notre enquête sont très claires sur ce point. De nombreux fidèles ont quitté leur paroisse ou leur communauté, souvent même en arrêtant de pratiquer, pour ne plus se trouver dans des situations qu’ils jugeaient étranges, parfois même ridicules.
Bien évidemment, les fidèles qui sont particulièrement soucieux de fidélité à l’Eglise et à l’enseignement de Jésus-Christ ne peuvent qu’être désireux, lorsqu’ils assistent à la sainte liturgie, de la vivre en accord avec leur foi. Or, sous cet aspect, la liturgie traditionnelle offre un cadre particulièrement harmonieux, et c’est un argument supplémentaire pour beaucoup. Ils ont l’impression qu’aujourd’hui des vérités essentielles de la foi sur le péché, les anges, les saints, la conversion des païens, l’enfer… ne sont plus véhiculées par la liturgie. Comme si la foi avait changé !
Pouvez-vous préciser votre pensée ?
De nombreux fidèles depuis trente ans ont été profondément choqués d’assister à des offices qui utilisaient des ordo liturgiques fantaisistes et pas toujours bien inspirés ! Ou bien à des messes où l’on récitait des crédos qui n’étaient pas ceux définis par l’Eglise - alors que l’on sait qu’au cours de l’histoire de l’Eglise les autorités eurent tant de mal à définir l’indéfinissable ! Si l’on ajoute à ce constat la lecture de textes bibliques traduits d’une manière choquante parce que trop actualisée, l’on comprendra que la messe traditionnelle, par son respect des usages anciens et son utilisation de la langue latine, a été depuis longtemps considérée comme un écrin magnifique et protecteur de la foi catholique, notamment en ce qui concerne le dogme de la présence réelle dans l’eucharistie.
Pour la première fois, vous évoquez l’usage de la langue latine par la liturgie traditionnelle…
Je ne regrette pas de n’évoquer cet aspect que maintenant. En effet, l’on a trop souvent considéré que les fidèles attachés à la liturgie traditionnelle n’étaient motivés que par une sorte d’attachement nostalgique à la langue latine ; or il apparaît clairement que cela n’est pas le cas, et nous avons même rencontré des fidèles qui nous affirmaient avoir préféré assister (avant 1969) à la célébration de la liturgie traditionnelle en français, parce que celle-ci conservait, même en français, du fait de la qualité de la traduction d’alors, toutes les garanties de la liturgie traditionnelle, plutôt que d’assister à des messes nouvelles lesquelles, bien qu’utilisant parfois quelques bribes de latin, n’en étaient pas moins des messes d’aspect très différent et ne correspondaient pas à l’attente spirituelle des fidèles dont nous évoquons les aspirations.
Néanmoins, les fidèles semblent attachés à la célébration en latin ?
C’est exact ; mais ce sont surtout les journalistes qui parlent des « adeptes de la messe en latin ». Les fidèles eux-mêmes insistent davantage sur leur attachement à la foi de leurs pères. Aussi est-il certain que beaucoup d’entre eux n’oublient pas que la liturgie traditionnelle en latin, telle qu’elle est définie dans le missel de 1962, reste un témoin toujours vivant de notre culture chrétienne, telle qu’elle s’est développée dans le monde occidental depuis de très nombreux siècles.
Mais n’est-ce pas là une attitude élitiste ?
Je ne le crois pas : c’est bien plutôt le témoignage d’une attitude de piété filiale. En effet, au même titre que le Christ s’est incarné, chacun d’entre nous est issu d’une famille, d’une patrie ou d’une culture dont il n’a pas nécessairement envie d’abandonner les richesses. Pourquoi ce choix serait-il plus scandaleux que celui des Zaïrois qui assistent au saint mystère selon le rite zaïrois enraciné dans leur propre culture ?
Mais le caractère latin de la liturgie traditionnelle n’est-il pas un obstacle pour la compréhension des fidèles ?
Votre remarque est un double faux problème. D’une part, parce que la liturgie n’est pas si complexe qu’un fidèle muni d’un missel ne puisse en comprendre aisément les principaux aspects. D’autre part, s’il semble important pour les fidèles - et cela se fait pratiquement partout - d’entendre les lectures en langue vernaculaire, il ne leur est pas toujours nécessaire d’entendre prononcer chacune des prières de la liturgie dans leur propre langue.
Mais les fidèles n’ont-ils pas le souci de comprendre les prières qui sont récitées par le célébrant ?
La question est plus complexe. En effet, les promoteurs de la liturgie en langue vernaculaire disaient avoir en priorité le souci d’une meilleure participation des fidèles et surtout de leur compréhension du sens des prières prononcées au cours de la messe ; mais il nous faut nous interroger pour savoir si la demande des fidèles va effectivement dans cette direction. Au niveau de la participation, nous avons déjà vu que de nombreux catholiques étaient davantage attachés à une participation intérieure dans la prière et le recueillement qu’à une participation trop active qui dénaturerait la substance du saint sacrifice lui-même. L’usage systématique de prières traduites au cours des cérémonies peut leur apparaître comme tout aussi insatisfaisant. En effet, si l’objectif d’une traduction est de faire mieux comprendre, c’est que quelque part l’on est persuadé que tout est explicable. Or nous savons que, face aux mystères de la foi, cela n’est pas toujours exact. Aussi apparaît-il à de nombreux fidèles comme préférable de conserver l’usage de la langue latine dans la célébration des offices, justement parce qu’elle permet de conserver aux mystères la part incompressible qui est la leur, et n’impose pas aux croyants des explications ou traductions qui ne sont qu’un appauvrissement d’une doctrine - qui est alors présentée d’une manière trop profane, trop humaine.
Je suis surpris qu’en plein XXe siècle l’on puisse s’exprimer ainsi.
C’est peut-être parce que notre XXe siècle est particulièrement orgueilleux et obtus. En effet, si l’on se tourne vers les grandes traditions religieuses toujours vivantes aujourd’hui, on s’aperçoit que presque toujours et partout les fidèles ont compris que les mystères religieux, n’étant pas du domaine de l’immédiatement intelligible, avaient besoin pour être exprimés d’utiliser des langues saintes ordinairement mortes comme garantie de la pérennité et de la sauvegarde des croyances, ce qui n’empêche pas d’ailleurs que les fidèles souhaitent ensuite fournir l’effort nécessaire pour s’approcher au plus près de ces mystères. C’est ce que nous trouvons chez les juifs, fidèles dans leur liturgie à l’hébreu ancien, c’est ce que nous trouvons chez les musulmans attachés au Coran, dont la langue est très éloignée de l’arable parlé de nos jours ; l’on sait qu’aujourd’hui encore les textes sacrés de l’hindouisme sont conservés en sanskrit… Vous voyez donc que l’attitude des fidèles catholiques attachés à la latinité de la messe traditionnelle, même s’ils n’en comprennent pas immédiatement toute la signification, n’a rien d’extraordinaire : ils savent bien alors qu’ils participent à un mystère de foi que les dépasse et dont ils ne peuvent qu’admirer la célébration. Ce serait plutôt le souci, auquel on assiste depuis trente ans au sein de l’Eglise catholique, de vulgariser et de dé ritualiser à outrance qui peut apparaître comme une « nouveauté originale » choquante pour beaucoup.
Revenons au caractère culturel, propre à l’Eglise latine, de la liturgie traditionnelle. Cette volonté d’imposer la latinité ne nuit-elle pas à la catholicité de l’Eglise qui, plus que jamais, est aujourd’hui universelle ?
Tout d’abord, les fidèles ne veulent rien imposer du tout. C’est ce dont ils ont besoin pour eux-mêmes et leur famille qu’ils demandent. Ensuite, rappelons une nouvelle fois que l’unité voulue par l’Eglise n’a jamais été l’uniformité et que, de tout temps, tant en Orient qu’en Occident, l’Eglise a reconnu la légitimité d’une pluralité de formes liturgiques dès l’instant où celles-ci étaient conformes à la sainteté du mystère. Mais, ceci étant dit, à une époque où l’on parle quotidiennement de mondialisation, faut-il dénier toute valeur aux caractères qui pourraient renforcer l’universalité de l’Eglise ? Or, qu’est-ce qui, plus que le latin, peut fournir à l’Eglise un moyen simple et commode de proclamer son unité dans l’universalité, notamment lors des cérémonies liturgiques internationales ? Lorsque le pape entonne l’Ave Maria, ce sont tous les fidèles présents qui répondent immédiatement alors que, lorsqu’il s’exprime en langue vernaculaire dans la liturgie, seuls peuvent répondre en communion avec lui ceux qui maîtrisent ladite langue, à savoir seulement une fraction de fidèles.

Mais pourquoi défendre une langue incompréhensible pour la majorité des fidèles ?

Nous vivons véritablement en cette fin de XXe siècle une époque extraordinaire. Chaque jour l’on nous parle d’Europe, chaque jour l’on nous répète qu’il est nécessaire de maîtriser une ou deux langues étrangères qui nous sont souvent « bien étrangères » pour « réussir dans la vie » ; et lorsque des fidèles rappellent les vertus du latin comme langue universelle de l’Eglise, on les accuse d’être inadaptés au monde contemporain !
Mais le latin, à la différence de l’anglais par exemple, est une langue morte…
Mais c’est justement ce qui fait l’intérêt du latin ! En effet, comme toute langue morte, le latin est une langue qui n’évolue plus, donc une langue particulièrement apte à conserver sans les modifier les rites et les dogmes de notre Eglise. D’autre part, n’étant plus une langue vivante, il n’appartient désormais à aucun peuple en particulier et peut donc être considéré comme un patrimoine universel, commun à tous les croyants. A contrario, supposez que l’on opte pour l’anglais comme langue liturgique internationale de l’Eglise catholique : imaginez dès lors les rivalités qui se feraient jour entre les anglophones et les autres fidèles qui pourraient s’estimer lésés ou marginalisés. De plus, en tant que langue vivante utilisée en permanence par des centaines de millions d’hommes, l’anglais, comme pour la plupart des grandes langues vivantes d’ailleurs, est soumis quotidiennement à des torsions et des mutations qui le rendent chaque jour plus impropre à transmettre dans le temps et dans l’espace la doctrine éternelle du Christ.
Telles sont donc les principales motivations des fidèles qui choisissent la liturgie traditionnelle ?
Oui, sans aucun doute ; par leur attachement aux dogmes de la présence réelle, aux formes de piété et de dévotion qu’ils suscitent et aux rejets qu’ils provoquent, nous voyons assez clairement pourquoi certains catholiques sont restés fidèles à la messe de leurs pères, ou pourquoi de nombreux chrétiens s’associent de plus en plus à une liturgie qui privilégie la transcendance plutôt que la banalité et la médiocrité.
J’ai suivi votre développement ; mais ne croyez-vous pas que ces aspirations légitimes des fidèles ne pourraient se réaliser pleinement dans la célébration de l’ordo de Paul VI en latin ?
Constatons que, pratiquement nulle part dans le cadre paroissial, cette opportunité n’a été offerte aux fidèles et qu’au contraire nous connaissons de nombreux exemples, même très récents, où des prêtres célébrant l’ordo de Paul VI en latin se sont vus contraints de « rentrer dans le rang », c’est-à-dire d’abandonner la manière traditionnelle de célébrer la messe nouvelle. Aussi ne croyons-nous pas à l’opportunité de cette solution.
Ne pourrait-on néanmoins penser que la mise en place de la célébration de la liturgie de Paul VI selon la manière traditionnelle soit la solution pour l’avenir ?
Je ne le crois vraiment pas pour deux raisons : tout d’abord rappelons que la messe traditionnelle n’offre pas seulement un cadre et une atmosphère de piété, mais favorise aussi la participation, par l’utilisation des livres liturgiques, à toute une tradition qui, à défaut d’être celle de toujours, n’en reste pas moins notre tradition liturgique multiséculaire, celle qu’ont utilisée nos aïeux et les grands saints d’Europe depuis le Moyen Age. Or, ceci n’est pas le cas pour l’ordo de Paul VI qui même célébré en latin n’en reste pas moins, comme nous l’avons vu précédemment, une « nouvelle liturgie ». (Lettre d’Oremus d’octobre 1997 - reproduite dns la Lettre 131 de Paix liturgique visible sur www.paixliturgique.com)
Surtout, il est clair que toute action dans ce sens serait perçue par de nombreux fidèles comme la mise en œuvre d’une nouvelle guerre liturgique, ce qui ne manquerait pas de raviver les plaies et les tensions et d’affaiblir tous les liens qui se renouent patiemment chaque jour entre les fidèles et leurs pasteurs.
Enfin, il ne faut pas oublier qu’un grand nombre de fidèles attachés à la liturgie traditionnelle continuent encore aujourd’hui à se situer en réserve par rapport à la hiérarchie catholique. A ce sujet, l’on doit se poser une question : souhaite-t-on coûte que coûte le retour à la pleine unité ecclésiale, ou bien se réjouit-on de la disparition du sein de la communauté catholique d’une part de ses membres, que l’on préférait voir sombrer de fait de leur exclusion par les pasteurs eux-mêmes dans un véritable schisme ? C’est pour ces raisons que nous ne croyons plus aujourd’hui au règlement du drame liturgique débuté à la fin des années 60 que par une application large et généreuse des solutions offertes depuis 1988 par le motu proprio Ecclesia Dei.
Quelle conclusion pensez-vous pouvoir tirer à l’issue de votre enquête ?
Notre enquête démontre qu’en France la situation liturgique est loin d’être stabilisée, et que trop de fidèles subissent encore en le regrettant les effets d’une réforme qui leur est étrangère… au grand dam de l’Eglise qui détourne ainsi des âmes et des énergies du combat spirituel et missionnaire qui est plus que jamais le sien aujourd’hui, dans une Europe déchristianisée. Aussi doit-on s’interroger pour savoir si le temps n’est pas venu de mettre en pratique, dans un esprit d’authentique charité fraternelle, une liberté qui permettrait à tous les fidèles qui le souhaitent de vivre leur vie chrétienne au rythme de la liturgie traditionnelle, dans leur diocèse, en communion avec leur évêque.

REFLEXIONS DE PAIX LITURGIQUE
1 _ A tous ces motifs d'attachement à la forme extraordinaire du rite romain, il faut naturellement ajouter des arguments "historiques" consistant notamment dans le fait de se remémorer tous ses grands saints, prélats et théologiens qui ont trouver dans la forme traditionnelle de la liturgie romaine la nourriture spirituelle qui leur a permis d'atteindre les sommets de l'héroïsme chrétien.
2_ Il existe surtout d'innombrables arguments théologiques que d'autres plus compétents que nous ont largement commenté et continuent d'expliciter encore aujourd'hui. Parmi eux, ceux qui nous permettent de constater les parallèles, la symbiose même entre les paroles du rituel de la forme extraordinaire et l'enseignement des saints, des pontifes et de l'Eglise universelle jusqu'a ces dernières "productions" comme le catéchisme de l'Eglise catholique ou le Compendium de Benoît XVI.
3 _ Il existe enfin toutes ces raisons spirituelles qui nous montrent comment des générations de saints se sont servis de cette liturgie pour conquérir des âmes au Christ et leur enseigner les voies du Seigneur.
Comme le disent les évangiles il nous faut mesurer la qualité d'un arbre aux fruits qu'il produit. S'il ne nous appartient pas de tirer les conclusions sur la raréfaction des vocations diocésaines (nous apprenons que le séminaire interdiocésain de Nantes vient de fermer ses portes), nous pouvons en revanche souligner l'abondance, la jeunesse et la qualité des vocations qui s'épanouissent dans les séminaires traditionnels.