10 décembre 2011

[Abbé Hervé Benoît - La Nef] «Idiots sympathiques»

SOURCE - Abbé Hervé Benoît - La Nef - Décembre 2011
Nul n’est tenu par obligation à l’omniscience. Il n’est pas toujours moralement imputable de se tromper, surtout lorsque l’on participe à une émission de radio où l’immédiateté est déstabilisante. Alors, pas de quoi fouetter un chat à propos des « idiots sympathiques » ? Pas sûr. Citer Lénine, lorsque l’on est un membre « éminent » de la hiérarchie catholique, ne relève pas, à mon humble avis, de l’erreur excusable mais de la faute. Qui ose citer Pol Pot ou Hitler d’un ton aussi badin ? Trop de sang est attaché à ce nom. Il faut pratiquer une damnatio memoriae définitive. Rien de ce qu’il a dit ne devrait franchir nos lèvres, même pour le bien de la conversation.

Cela relève en plus de la double faute ! En effet, l’expression est erronée. On ne dit pas « idiots sympathiques » quand on sait de quoi on parle, on dit : « idiots utiles », ou, si on a eu les bonnes lectures (1), « innocents ». Qu’est-ce qu’un « idiot utile » ? Dans le système totalitaire soviétique, c’était une personne d’influence manipulée par les agents de subversion pour contribuer aux buts politiques et idéologiques des dirigeants communistes. L’astuce étant de le faire à son insu, en jouant soit sur ses bons sentiments (désir de paix, de justice, etc.), soit sur des sentiments moins clairs (goût de la notoriété, ambition). Tous ces artistes, hommes politiques et, bien entendu, religieux et ecclésiastiques, furent ainsi les dupes de la terreur et du mensonge. Il suffit d’aller aux archives soviétiques pour en faire le catalogue, et ils sont plus de « mille e tre… ».

Qui sont ces « idiots sympathiques » dénoncés aujourd’hui par l’autorité ? Les agents manipulés d’une superpuissance totalitaire bien décidée à s’emparer du monde ? Des nervis rouant de coups de pauvres saltimbanques, des poseurs de bombes ou des incendiaires ? Non point. Sauf hallucinations de ma part, je n’ai vu qu’une poignée de jeunes gens ayant pris un coup de sang à force d’entendre insulter le Christ par une bande de « mutins de Panurge », d’« intermitteux » du spectacle d’État grassement subventionnés et de révolutionnaires en peau de lapin protégés par la police. Mais alors, qu’ont-ils donc fait de terrible ? Ils ont interrompu brièvement un spectacle et récité des chapelets. Avouez que c’est terrifiant. Remarquons au passage qu’il faut quand même manquer de virilité pour voir là un déchaînement de violence insupportable. On croirait entendre les dirigeants du Temple après le passage d’un certain fouetteur de marchands et renverseur d’étalages de banquiers…

Finalement, tout ceci ne relève-t-il pas de la common decency (2), avant même de se justifier par la foi ? Si quelqu’un crache (s’il ne s’agissait que de cela !) sur l’image de ce qui m’est le plus cher, j’ai non seulement le droit de ne pas être content, mais le devoir de le dire, avec fermeté si nécessaire. Que certains ne puissent pas le comprendre rend perplexe, et conduit à s’interroger sur le point de savoir où sont les idiots.

H.B.
(1) Voir l’extraordinaire et sciemment ignoré ouvrage de Stephen Koch, La fin de l’innocence, Grasset, 1995.
(2) George Orwell, auteur qu’un ecclésiastique peut se permettre de citer sans rougir !