21 juillet 2011

[Abbé J-P André - FSSPX - "La Sainte Famille"] La carpe, la vipère et l’éléphant d’Afrique

SOURCE - Abbé Jean-Paul André, fsspx - La Sainte Famille - via La Porte Latine - juillet 2011

La carpe, la vipère et l’éléphant d’Afrique

Commençons par brosser le tableau zoologique qu’évoque notre titre.

« Silencieux comme une carpe » dit-on depuis l’an 1612, bien que tous les poissons d’eau douce soient silencieux. On parle de « langue de vipère », car la jolie langue de la vipère est fourchue comme la queue du diable, bien que ce soit par ses deux crocs que cet ovovivipare inocule son mortel venin. Quant à l’éléphant d’Afrique, il est sans conteste le champion des porteurs de grandes oreilles, lesquelles sont chez lui bien plus majestueuses que celles de son gentil cousin des Indes.

On aura compris que notre éditorial va porter sur les péchés de la langue et des oreilles, plus adéquatement dits les péchés du domaine de la locution et du domaine de l’audition. Ce sera moins poétique qu’une fable de La Fontaine, mais la morale sera plus explicite.

Vous savez que dans l’administration du sacrement de l’extrême-onction, le prêtre fait sur les lèvres fermées du malade une onction d’huile des infirmes en prononçant cette parole rituelle : « Par cette onction sainte et sa grande miséricorde, que le Seigneur vous pardonne tous les péchés que vous avez commis par le sens du goût et par la parole, quidquid per gustum et locutionem deliquisti ».

Parmi les péchés de la langue il y a ceux du silence coupable, les péchés des muets antropocyprinidés. Dans le livre du prophète Isaïe, nous lisons ce reproche à l’encontre des mauvais gardiens d’Israël : « Ses sentinelles sont toutes aveugles, elles sont toutes dans l’ignorance ; ce sont des chiens muets, qui ne peuvent aboyer, qui voient des choses vaines, qui dorment et aiment rêver » (Is 56, 10). Certes nous appliquons spontanément ces invectives aux évêques conciliaires et nous avons terriblement raison. Mais que tous les éducateurs et en particulier les parents s’examinent à la lueur de ce verset ! Qu’ils demandent au ciel, et la grâce de voir ce qu’il faut corriger chez les enfants à eux confiés, et la grâce de force pour agir dans ce sens !

Il y a aussi évidemment les péchés par les paroles mauvaises. Je retiendrai en particulier le péché de médisance et le péché de calomnie.

Le péché de médisance consiste à dire du mal vrai mais inopportunément, donc sans servir le bien. On ne ment pas, mais on porte sans bonne raison atteinte à la réputation d’autrui. Ce faisant on blesse au moins la charité. Le mal commis peut être grave s’il y a une raison importante de taire le défaut que pourtant on révèle. La médisance contre un père de famille devant ses jeunes enfants, sauf pour les préserver de grands maux, est lourde de mauvaises conséquences.

Le péché de calomnie, lui, consiste à dire faussement du mal de quelqu’un. Ce méfait blesse proprement la justice. Il est en soi plus grave que la médisance, car tout homme a un droit strict à ce que soit respectée sa bonne réputation, sa fama, contre quoi agit injustement la diffamation. Le coupable est tenu de réparer aussi loin que l’effet de son péché.

— Il n’est peut-être pas inutile de rappeler ici l’ordre entre la charité et la justice. La justice consiste à rendre à chacun son dû. La charité consiste à donner de soi, de ce qui nous appartient à un autre. En un sens la justice précède donc la charité fraternelle. Une expression le dit à sa manière : « Avant de faire des cadeaux, paie tes dettes ! » —

Il y a aussi les péchés de celles et de ceux qui parlent à tort et à travers ou qui trouvent toujours à « déblatérer », à critiquer.

Ajoutons deux mots sur le monde des critiqueurs. Il compte ces grands genres : celui des hommes stupides et celui des orgueilleux. Pour les victimes, le pire est à craindre quand la bêtise ne s’allie pas à la gentillesse et l’orgueil à une once de grandeur d’âme.

Il y a encore le péché de celles et ceux dont la logomachie répand dans tous les azimuts des paroles souvent oubliées sitôt après avoir été émises. Etc.

Pour la correction des un(e)s et des autres, reproduisons cette instruction du Sauveur : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme ; mais ce qui sort de sa bouche, voilà ce qui souille l’homme » (Mt 15, 11). Citons aussi l’Apôtre saint Jacques le Mineur, qui a fustigé comme personne les péchés de la langue : « Ainsi la langue n’est qu’un petit membre, et elle se vante de grandes choses. Voyez quelle grande forêt un petit feu peut incendier. La langue aussi est un feu ; c’est un monde d’iniquité. La langue est placée parmi nos membres; elle souille tout le corps, elle embrase le cours de notre vie, embrasée elle-même au feu de l’enfer » (Jc 3, 5-6).

C’est un appel à la retenue, au silence, à l’humilité, à la justice et à la charité que le ciel lance, selon le cas, à nos commensaux moulins à paroles, à nos pies domestiques et autres asociales et dévastatrices langues de vipère. La lingua della vipera è veramente una urbano pestilenza, una calamità sociale.

Et pourquoi intégrer dans notre fabuleux zoo l’éléphant d’Afrique ? Parce que les bavards des espèces susnommées, pour avoir sans interruption du nouveau à rapporter, ont besoin de s’informer, tels des concierges. Ils ont le prurit du potin. Ils sont curieux de ce qui ne les regarde pas, gloutons d’indiscrétions, collectionneurs de faux bruits. Voilà pourquoi ils déploient largement le pavillon de leurs oreilles, comme des éléphants africains, pour des réserves de renseignements hétéroclites, des pleins d’avis aptes à renforcer les leurs et bons à exciter leur jugement propre.

Notons  qu’il y a une saine curiosité, celle de l’esprit ouvert qui cherche à enrichir sa culture. Cette curiosité-là est une des qualités de l’étudiant. La Fontaine a formé notre jeunesse aux leçons qu’il tirait d’une adaptation géniale de la vie des animaux. Sachons profiter des symboles de notre carpe, de notre vipère et de notre éléphant, pour arriver à ne faire d’aucune manière et à aucun degré ni l’une des deux premières, ni le troisième.

Prions le premier évêque de Jérusalem afin « de ne pas sombrer dans nos paroles » (cf. Jc 3, 2).

Pour le bonheur de tous, qu’on se le dise !

Abbé Jean-Paul André +, Prieur

Extrait de La Sainte Famille n° 3 de juin-juillet 2011

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Nota : Une réflexion semblable pourrait se mener au sujet des péchés de l’écrit sur internet, dans les blogs et les forums.