14 mai 2010

[abbé René-Sébastien Fournié - IBP Roma] Le Bon Pasteur, modèle de connaissance

SOURCE - abbé René-Sébastien Fournié - IBP Roma - 14 mai 2010

Je suis le Bon Pasteur, je connais mes brebis et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît et que je connais le Père (Jn, X 14-15)

Il y a quelques jours nous avons célébré la fête du Bon Pasteur. A chaque évocation de ce titre du Christ, je ne peux m’empêcher de penser à une conférence que nous avait donné, en son temps, l’abbé de Tanoüarn : « le Bon Pasteur connaît ses brebis, Il connaît chacun de nous par notre nom… Et nous, à Son exemple, nous devons connaître notre prochain, lui porter une réelle attention ».
Depuis, cela ne m’a jamais quitté : le Bon Pasteur est le modèle de celui qui connaît… qui connaît Dieu et son prochain.

Connaître Dieu

La connaissance du Père vis-à-vis du Fils paraît évidente, dans la mesure où Ils sont tous deux consubstantiels. Mais l’Incarnation en elle-même demeure le fruit d’un dialogue divin, fruit de l’obéissance et de l’amour qui sont comme une réponse du Fils au Père. Cette nature humaine assumée est en somme une prière divine qui s’est matérialisée. Sur la Croix, Jésus est mort en priant, faisant de son sacrifice un acte de prière et d’adoration. Mais au fond, c’est toute la vie du Christ qui est une prière : il ressort des Evangiles que toutes ses paroles et ses actes jaillissent de son intime communion de vie avec le Père. La communication permanente avec le Père constitue le centre de Sa vie et de Sa personne. C’est d’ailleurs après que les Apôtres L’aient vu prier seul, que saint Pierre s’écriera dans sa célèbre profession de foi relatée par saint Luc : « Tu es le Christ de Dieu »… Il a compris qui Il était, en Le voyant prier, en Le voyant s’adresser à son Père.
Pour nous, cela revêt une importance considérable : on ne peut connaître réellement Dieu que dans la prière ; ou plus exactement en entrant, en participant à cette prière du Christ, à ce dialogue entre le Fils et le Père. Sans la prière, il est donc impossible de participer à l’intimité du Christ, laquelle est synonyme de dialogue entre le Verbe et le Père.

Notre connaissance de Dieu ne peut pas se contenter de n’être qu’une pure connaissance intellectuelle. Elle a besoin d’une relation personnelle profonde, propre à celui qui aime et se sait aimé. Certes, on n’aime que ce que l’on connaît, c’est vrai… mais la connaissance qui en procède est un amour, et elle n’est une connaissance que parce qu’elle est un amour.
Et voilà pourquoi, la voix du Bon Pasteur qu’entendent les brebis quand Il les appelle nommément est une voix qu’elles reconnaissent et à laquelle elles répondent. Elles savent que Celui qui les appelle veut leur bien ; elles le savent parce qu’Il a l’habitude de le leur procurer ; elles ont l’expérience de Sa bonté, et le son de cette voix qu’elles entendent est lié à cette expérience. Elles savent que s’Il les approche c’est pour les caresser ou les soigner, « pour qu’elles aient la vie, et une vie abondante ».

De cet amour et de cette confiance nait une amitié. C’est précisément ce qu’ont expérimenté les Apôtres… En pénétrant toujours plus la personnalité de Dieu, on renouvelle et accroît constamment notre amitié avec Lui. Il en va de même avec l’amitié humaine : plus on connaît son ami, plus on mesure son amitié… plus on l’aime : « il va jusque-là dans son amitié ! ».
Et de l’amitié découle une union de pensée et de volonté, puisqu’avec un vrai ami, on ne fait pas n’importe quoi. On ne traite jamais un ami à la légère, mais au contraire on en prend soin. Etre ami de Jésus Christ, voilà où conduit notre connaissance de Dieu…

Connaître notre prochain et le reconnaître comme un vrai Frère

De cette union à Dieu par la prière, découle nécessairement une union avec le prochain. En effet, notre prière, étant une participation à celle du Fils, est donc filiale et s’adresse au Père. Etre fils adoptif de Dieu, c’est-à-dire fils dans le Fils Unique, signifie que nous existons en tant que Chrétien, avec Lui, avec Sa personne… Et cela constitue un seul corps dont Il est la tête.

Dire que notre prière est une prière de fils, implique non seulement que nous ayons un Père, mais que nous ayons aussi des frères : reconnaître la paternité de Dieu, signifie que j’ai obligatoirement des frères. L’oublier, tant en pensée, qu’en parole ou en acte, fait de nous des menteurs quand nous osons dire « Père ». Ainsi, quand le Christ enseigne aux apôtres de prier, leur ordonne-t-Il de dire « Notre Père » et non pas « mon Père », et ce même si nous la récitons seuls. Notre filiation à Dieu s’insère nécessairement dans la communauté de ce « nous » que le Christ a engendré.

Ce « nous » prend évidemment une dimension toute particulière entre Chrétiens communiant au même Corps et au même Sang. C’est tout le sens du rappel de saint Paul aux Corinthiens : « Nous formons un seul corps, tout en étant plusieurs ; car nous participons tous à un même pain ». En effet, en communiant à ce même pain, nous devenons ce que nous mangeons. Ordinairement, les aliments que nous prenons sont moins forts que l’homme et leur finalité est de s’assimiler à notre organisme. Avec la sainte Eucharistie, c’est tout le contraire : cette nourriture nous est supérieure et sa finalité est aussi inverse puisque c’est l’homme qui est assimilé par le Christ et devient comme Lui.
La conséquence est évidente : en communiant à la Sainte Eucharistie, je ne m’enferme pas dans un dialogue privé avec Dieu, mais j’entre dans une transformation totale où mon « moi » devient un « nous », avec Dieu certes, mais aussi avec les « siens » qui deviennent, d’une façon suréminente, « mes frères ».

Dès lors, nous ne pouvons vraiment comprendre et connaître les hommes en profondeur, qu’à la lumière de Dieu. Et tout comme, nous ne pouvons nous contenter d’une connaissance théorique de Dieu. Nous nous devons de connaître concrètement notre prochain, sans quoi ce serait une connaissance sans amour et sans réel rapport intérieur.

Il est intéressant de noter que le Bon Pasteur donne Sa vie pour ses brebis. L’image est forte au point de pouvoir paraître outrancière dans la mesure où, ordinairement, si un berger va chercher une brebis perdue, pour la soigner et s’en occuper avec diligence, où a-t-on vu qu’il sacrifie sa vie pour l’une d’entre-elles ?
Pour le comprendre il faut revenir à cette grande réalité qu’est l’amitié : « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn, XV, 13).

Ainsi, cette connaissance du prochain, autre moi-même dans le Fils, conduit à l’aimer au nom de cette filiation jusqu’au don de soi-même. Voilà où conduit le modèle héroïque du Bon Pasteur ; voilà l’exemple que nous ont donné tant de saints qui ont jalonné l’histoire de l’Eglise.

Abbé René-Sébastien Fournié
Responsable de l’IBP-Roma