1 avril 2010

[Agnès Rousseaux - Témoignage Chrétien] Les catholiques et l'identité nationale

SOURCE - Agnès Rousseaux - Témoignage Chrétien - 1er avril 2010

Certains catholiques, minoritaires, semblent vouloir réduire l'identité nationale à la France chrétienne. Une simple survivance idéologique?

2263 mosquées et 64 minarets en France ? C’est « 2 368 mosquées de trop. Et dire “de trop” n’est pas une honte, c’est tout à fait naturel car […] il y a une réalité, une urgence, celle de rechristianiser notre Nation. » Ce genre de commentaire, glané sur le blog Le salon beige, animé par des catholiques d’extrême-droite, n’est pas nouveau. Mais il est symptomatique de dérives nationalistes et islamophobes qui se sont développées sur internet depuis le lancement du débat sur l’identité nationale. Les dérapages verbaux se sont multipliés dans ce débat-défouloir. Au point que certains commentateurs évoquent une « remontée » de la France maurrassienne, avec son cortège de discours sur l’identité chrétienne de la France.

Les catholiques sont-ils plus virulents que les autres dans ce débat ? Sans doute pas. Comme le suggère l’historienne Martine Sèvegrand, depuis 1945, les catholiques sont en effet très divisés sur la perception de la nation.

Mais le débat sur l’identité nationale a été d’emblée centré sur la place de la religion au sein de la République française. Que ce soit à cause de la formulation des questions posées, du chevauchement avec le débat sur la burqa, ou de la confusion liée au rôle central joué par le ministère de l’Immigration… tout concourt à placer l’islam au centre de l’arène.

En cause ? La prétendue incompatibilité de l’islam avec la République. Avec, sous-jacente, l’expression par une frange des catholiques de la peur de voir se per­dre « l’identité chrétienne de la France ». « Ce qui fait l’unité nationale en France […] ce ne sont pas d’abord des valeurs républicaines, qui définissent un mode de vivre en­semble, dans une étape donnée de notre Histoire, mais ce sont des racines plus profondes, ce sont des racines de civilisation, ce sont des racines – disons le mot – chrétiennes. […] Ceux que nous accueillons doivent être dans le grand respect de ce qui fait notre identité nationale, c’est-à-dire dans le grand respect de nos racines culturelles chrétiennes. » C’est ce qu’affirmait Mgr Aillet, l'évêque de Bayonne, en décembre, lors d’une émission de radio.

Nation chrétienne. Dans un genre différent, Renaissance catholique, autre mouvement catholique extrémiste (1), évoque sur son site internet un pays « écrasé, brisé, broyé entre l’enclume d’un matérialisme consumériste et laïciste omniprésent et le marteau d’un islam radical “ sûr de lui-même et dominateur ” en pleine expansion démographique. » Pour son vice-président, Michel De Jaeghere, « l’invasion que nous subissons ne se résume pas à une submersion de notre territoire par la vague de l’immigration : elle tend à subvertir en profondeur l’identité même de la France en modifiant la composition de son peuplement ». Pour lui, pas de nation possible « sans communauté de religion  : la France est une nation chrétienne, c’est un fait de l’Histoire, c’est une nécessité politique. En cessant de l’être, elle cesserait d’être elle-même. Il faut donc bien sûr éviter autant que possible de donner la nationalité française à ceux qui sont adeptes de religions étrangères à nos traditions : l’islam, le bouddhisme, l’animisme […] la survie de notre peuple en dépend. Il faut enfin, et peut-être surtout, que les Français de souche redeviennent chrétiens […] pour être en mesure d’assimiler les populations allogènes qui sont d’ores et déjà installées sur notre territoire, et dont beaucoup ne partiront pas. »

Pour ces catholiques, les autres religions, dont l’islam, peuvent (à la limite) exister tant qu’elles ne sont pa­s sur un pied d’égalité avec la religion « dominante ». Mais dans leur majorité, les catholiques sont attachés à la laïcité. 26 % d’entre eux (contre 30 % pour l’ensemble de la société) considèrent même la laïcité comme le plus important des principes républicains (2). Et deux tiers des catholiques pratiquants estiment même que « toutes les religions se valent » (3).

Pourtant ils étaient également deux tiers de catholiques pratiquants (et 54 % des catholiques non-pratiquants) a être satisfaits de l’évocation dans les discours de Nicolas Sarkozy des « racines chrétiennes de la France », en mars 2008 (4). Un attachement à l’identité chrétienne que le quotidien La Croix décrit comme « patrimonial » plus que militant.

Cela explique-t-il le retour du thème de l’identité chrétienne sur le devant de la scène ? Nous sommes dans une situation paradoxale : les catholiques n’ont sans doute jamais autant affirmé leur attachement à la laïcité. Mais à une laïcité particulière, qui se vit dans un pays où le catholicisme est majoritaire et imprègne fortement « l’identité nationale ».

Autre paradoxe : dans les discours s’opère une convergence entre des catholiques défendant parfois de manière virulente l’identité chrétienne et les tenants d’une laïcité combative. Un phénomène qu'explique le sociologue Emmanuel Todd : dans un contexte de laïcité désorientée par la disparition de son adversaire catholique, « la laïcité devient laïcisme, et réunit dans une hostilité commune à un islam fantasmé les incroyants venus de la vieille laïcité républicaine et ceux qui viennent de sortir du catholicisme terminal (5) ».

Ces « ultra-laïques » sont pour certains passés de la lutte contre tous les intégrismes à la défense de l’identité chrétienne face à l’islam. « Le catholicisme n’est plus autant perçu comme un enjeu de laïcité, il y a une réconciliation d’anciens frères ennemis sur le dos de l’islam », analyse Jean Baubérot, professeur d’histoire et de sociologie de la laïcité à l’École pratique des Hautes-Études. Il décrit l’apparition d’une « nouvelle » laïcité, au tournant des années 90. Celle-ci se résumait, jusqu’au XXe siècle, au combat des deux France. Elle opposait « une France catholique, incluant des athées ou agnostiques comme Maurras, voulant une France qui garde ou retrouve une identité chrétienne », et une « France républicaine, se réclamant de la révolution française ». La loi de 1905 ­­marque une double rupture : avec la représentation d’une identité nationale à dimension religieuse, mais aussi avec la vision d’une « laïcité intégrale ».

Fidélité - À partir de 1989, ce n’est plus tant au catholicisme que la laïcité s’affronte, mais aux minorités religieuses, notamment musulmane. La construction sociale de cette laïcité s’enracine dans l’histoire de la décolonisation. « Dans la conception de cette laïcité, il y aurait la France des “ Français de souche ” avec tous les guillemets qu’on peut mettre à cette expression, qui serait naturellement laïque. Et d’autres citoyens qui seraient soumis à un examen de passage, même au bout de la deuxième ou de la troisième génération, pour prouver leur intégration », explique Jean Baubérot. Une laïcité qui ne s’applique qu’à une partie de la population, sommée de donner des gages de fidélité à la nation. Certains thèmes du conflit des deux France sont ainsi recyclés face à l’islam.

« Avant, il s’agissait d’une laïcité politique, portée par les hommes politiques. Après 1989, des “affaires”, comme celles du foulard, sont médiatiquement construites et le politique se plie à une conception surdéterminée par les médias », souligne Jean Baubérot. « En 2003, le rapport Baroin “ Pour une nouvelle laïcité ” affirme que cel­le-ci est une valeur de droite. » La laïcité est devenue un instrument de surenchère. Chacun se veut plus laïque que son adversaire.

Bouc émissaire. Les catholiques sont-ils attachés à cette nouvelle laïcité, qui influence la perception de l’identité nationale ? Les lignes ne sont pas claires, on retrouve des catholiques dans tous les courants, comme le reste de la population. « Certains Français ont une culture laïque, qui n’est pas à géométrie variable. D’autres ont un attachement à la laïcité proportionnel à la méfiance qu’ils ont de l’islam, décrit Jean Baubérot. Le premier courant se positionne par exem­ple contre le concordat en Alsace-Moselle, mais il n’y a pas de manifestations publiques sur ce sujet, et la portée sociale de ce courant est à peu près nulle. »

Le second courant, lui, est anti-islam. « Au niveau du fonctionnement social, c’est ce deuxième courant qui fait le tri, qui fait surgir les débats dans la société. », analyse Jean Baubérot. Résultat ? Une radicalisation des discours et une surenchère dans le débat sur l’identité nationale. Le vocabulaire a changé et les forces en présence ne sont plus les mêmes.

Le point central ? L’exclusion d’une religion minoritaire, l'islam, présentée comme menace, facile bouc émissaire d’un débat totalement instrumentalisé par le pouvoir politique. Sans doute pour mieux faire oublier l’essentiel : sous couvert de « patrimonialisation » du catholicisme, Nicolas Sarkozy annonce sa volonté de défendre les racines chrétiennes de la France. Donner une dimension religieuse à l’identité nationale, voilà qui va dans le sens opposé à la dynamique lancée par la loi de 1905. Une idée qui plaît indéniablement à une partie des catholiques… ceux capables d’argumenter que l’ouverture d’un Quick halal met en péril l’identité profonde de la France et son unité nationale.

1. Bruno Gollnisch doit intervenir lors de leur université d’été autour du thème « L’identité nationale : qu’est ce que la France ? ».
2. Pour 84 % d’entre eux, la laïcité consiste à respecter toutes les croyances et à considérer les religions comme un atout pour la société et non comme un danger.
3. Sondage IFOP/La Croix (2007)
4. Étude IFOP – La Croix, mars 2008
5. Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard, 2008.