1 juillet 2008

[DICI - Nouvelles de Chrétienté] Entretien exclusif avec Mgr Bernard Fellay - Le bilan du Motu Proprio sur la messe traditionnelle, un an après

SOURCE - DICI - Nouvelles de chrétienté n°111 - Mai/juin 2008

Entretien exclusif avec Mgr Bernard Fellay 
Le bilan du Motu Proprio sur la messe traditionnelle, un an après
Monseigneur, un an après la promulgation du Motu Proprio Summorum Pontificum peut-on établir un bilan ?
Mgr Fellay : Le Motu Proprio, dans le contexte actuel, est un geste qui relève du miracle et pour lequel le pape a droit à toute notre reconnaissance. On doit le considérer comme une étape importante, mais pas comme la conclusion de la crise que nous connaissons depuis plusieurs décennies. Je dirais même que c’est une étape qui soulève des problèmes nouveaux, parce que ce document modifie la configuration générale dans laquelle se trouve l’Eglise depuis l’après-concile.
Au fond, l’essentiel du Motu Proprio est dans ces deux mots « numquam abrogatam », la messe tridentine n’a jamais été abrogée. Le but de ce document, qui est un document législatif, est manifestement de faire entrer à nouveau dans la pratique de l’Eglise l’usage de la messe traditionnelle. Il se présente comme une révision des textes précédents qui traitaient de cette question, les indults de 1983 et 1988. Or un indult est une loi particulière, une privata lex qui accorde un privilège, qui consent une exception par rapport à la loi commune. La plupart du temps cette exception est liée à des conditions. Et les deux indults exprimaient très fortement les conditions requises : reconnaissance du concile et de la nouvelle messe, sans parler des autres conditions rajoutées arbitrairement par les évêques. Eh bien ! aucune condition ne se trouve dans le Motu Proprio.
Vous allez me dire : « Oui, mais on parle de reconnaître la sainteté de la Messe ». Cela n’est pas dans le document lui-même, mais dans la lettre qui l’accompagne. Le fait qu’il y ait deux documents oblige à distinguer leur valeur. Si le pape voulait donner la même valeur à tout, s’il fallait comprendre le Motu Proprio à la lumière de la lettre d’accompagnement, il n’aurait fait qu’un seul document.
Ce Motu Proprio est un acte législatif tout à fait unique dans l’histoire de l’Eglise, et c’est pourquoi il soulève des problèmes nouveaux qui vont compliquer la situation pour les autorités romaines. En effet, déclarer que la messe traditionnelle n’a pas été abrogée, c’est reconnaître son état antérieur : celui d’une loi universelle. Cette messe est et a toujours été la messe de l’Eglise. Le problème, c’est que depuis, les autorités romaines ont fait une nouvelle messe, et donc une nouvelle loi universelle. D’une manière habituelle, quand le législateur fait une nouvelle loi, cette loi supprime la précédente. Prenons un exemple simple : si un législateur décide qu’on conduit à gauche, et si un autre législateur décide ensuite qu’on conduit à droite, à la promulgation de la deuxième loi, on oublie la première.
Or on n’avait jamais vu, dans toute l’histoire de l’Eglise, une telle révision de la lex orandi comme celle qui s’est faite par la révolution liturgique d’après le Concile Vatican II. Et c’est dans ce contexte que le pape affirme que la première loi n’a pas été abrogée. C’est comme si l’on disait qu’il était possible de conduire à droite et à gauche. C’est pourquoi la première partie du Motu Proprio essaie d’expliquer sinon de justifier une telle situation, à savoir l’existence de deux lois universelles portant sur un même objet. Et c’est ainsi qu’on nous dit qu’il y a deux formes d’une seule messe, une forme ordinaire et une forme extraordinaire.
Mais cette explication est fabriquée pour des raisons politiques évidentes. En réalité, cela ne tient pas debout. C’est inacceptable, car cela heurte de plein fouet l’évidence des faits.
Cependant cette mise sur un pied d’égalité des deux messes a suscité des critiques de la part des traditionalistes 
A juste titre, car elle est inacceptable. Mais il me semble que c’est plus une conséquence qu’un principe. Le Motu Proprio n’a pas pour but d’affirmer que les deux messes n’en sont qu’une, selon une forme ordinaire et une forme extraordinaire. Non ! le but de ce document est de poser un acte législatif qui réintroduit dans la vie de l’Eglise l’ancienne messe. Et c’est un pas. La question est de savoir : un pas dans quelle direction ? Nous espérons que ce soit la bonne !
Il faut noter que nulle part dans le document lui-même vous ne trouvez le mot interdit. Nulle part, il est donné, soit au curé, soit à l’évêque, le droit d’interdire cette messe. Chaque fois les termes utilisés sont plutôt « accorder volontiers », « accueillir favorablement la demande ». Ce sont toujours des ouvertures en faveur de l’ancienne messe. Et s’il y a un problème, il faut en référer à l’autorité supérieure qui devra chercher une solution. On va examiner les choses pour résoudre les problèmes. Il y a là vraiment une volonté du pape d’un retour de la liturgie traditionnelle dans l’Eglise. Mais ce retour n’est pas complet, il n’est pas exclusif, et il pose des problèmes.
Cependant, reconnaissez que quand vous voyez quelqu’un qui s’est cassé la jambe et qui pose pour la première fois le pied par terre, après s’être débarrassé de son plâtre, vous saluez ce premier pas. Personne n’exigerait de ce malade qu’il galope comme un bien portant. On applaudira à ce premier pas, même s’il est boiteux, et on attendra mieux pour après. Le Motu Proprio n’est pas le miracle du paralytique qui est guéri en un instant, et qui commence à gambader avec son grabat sur le dos. Cet acte juridique est pour le moins claudiquant, mais c’est un pas. On a redonné sa place à la messe de toujours, place qu’elle n’avait plus depuis 40 ans. Voilà pourquoi on peut vraiment se réjouir.
Et pourtant vous écrivez, dans la récente Lettre aux amis et bienfaiteurs de la Fraternité Saint-Pie X (n° 72), que la question liturgique n’est pas première, et qu’au fond rien n’a changé dans la situation de l’Eglise.
Je dis effectivement que la question liturgique n’est pas première et qu’elle ne le devient qu’en tant qu’ « expression d’une altération de la foi et corrélativement du culte dû à Dieu ». Car il faut toujours envisager la lex orandi, la liturgie, comme l’expression du dogme, la lex credendi. La messe n’est pas un simple décor, elle doit exprimer toute la foi, tout l’esprit catholique, en sorte qu’à une avancée en direction de la liturgie traditionnelle, comme est le Motu Proprio, devrait logiquement correspondre une avancée en direction de la doctrine traditionnelle. Or plusieurs documents romains récents indiquent clairement que, au fond, rien n’a vraiment changé, ce qui nous oblige à tirer les conclusions pratiques qui s’imposent à nous.
En effet, depuis Benoît XVI, il est dit que la doctrine conciliaire n’introduit aucun changement par rapport à la Tradition, comme si le pape avait la volonté de rendre traditionnel le concile ou de rendre conciliaire la Tradition. Autrefois tout le monde disait que Vatican II, et les réformes conciliaires constituaient un changement, voire une rupture. L’attitude commune était de voir dans ce concile le début d’une nouvelle ère, et tout ce qui avait précédé était oublié. Certains séminaristes m’ont même avoué que dans les séminaires modernes ils n’avaient absolument rien appris sur ce qu’il pouvait y avoir avant Vatican II.
Avec cette idée de changement en tête, le pape Jean-Paul II n’avait pas hésité à parler de « nouvelle ecclésiologie » à propos du droit canon réformé. Selon lui, ce nouveau droit canon était l’expression de la nouvelle ecclésiologie de Vatican II. Or maintenant Benoît XVI nous dit : « Attention ! continuité, pas rupture. Il est nécessaire que le présent de l’Eglise soit lié à son passé ». Et il ira jusqu’à utiliser le mot Tradition. Cependant, d’une manière habituelle, ce n’est pas le mot Tradition tout seul, c’est la tradition vivante.
Pouvez-vous nous donner un exemple précis de cette nouvelle attitude ?
Le pape a développé cette perspective nouvelle dans un des documents fondamentaux de son pontificat, le discours du 23 décembre 2005, devant la Curie romaine. C’est un texte où l’on voit Benoît XVI se démarquer de l’ultra-progressisme. Il y condamne ceux qui veulent un Vatican III, en disant que Vatican II a ouvert le chemin, qu’il a lancé des idées, et qu’il faut poursuivre dans cette direction. Donc, aller de l’avant pour dépasser Vatican II ! Le pape condamne cet esprit de rupture. Mais, après avoir affirmé une nécessaire relation au passé, il déclare que Vatican II devait donner à l’Eglise un nouveau positionnement par rapport au monde. A ses yeux, la grande question de Vatican II était de définir comment l’Eglise devait se situer par rapport au monde contemporain. Et il développe ce thème en quatre points. A chaque fois, il répète la même phrase : « Il était nécessaire que l’Eglise donne une nouvelle définition de la relation entre… », l’Eglise et l’Etat, entre l’Eglise et les autres religions, entre l’Eglise et le judaïsme, et entre la foi et la science. Et s’il doit y avoir une nouvelle relation c’est parce que, de son point de vue, l’interlocuteur a évolué.
En effet, Benoît XVI expose qu’au XIXe siècle le monde, sous ses divers aspects, avait pris une position radicale contre l’Eglise, ce qui a forcé les papes à prendre, eux aussi, une position radicale contre le monde. On se demande bien sûr si cela ne va pas contre la proposition 80 du Syllabus qui condamne la nécessité pour le pape de se mettre en harmonie avec le monde. Non, semble répondre Benoît XVI, parce qu’après le XIXe siècle, il y a ce XXe siècle où le monde est devenu meilleur, en tout cas plus aussi radical. Et de nous donner un exemple au niveau de l’Etat qui n’est plus aussi radicalement opposé à la foi, et au niveau des autres religions où l’on peut trouver des terrains d’entente.
En clair, il condamne ceux qui prônent la rupture et insiste pour dire qu’il faut une continuité avec la Tradition, mais en même temps il justifie et ratifie tous les changements de Vatican II. Il les « traditionalise » en quelque sorte. Il faut qu’il y ait continuité, cela ne peut pas être autrement, donc il y a continuité. Il n’a pas besoin de le prouver, c’est une nécessité de l’Eglise qu’il y ait cette continuité, donc il y a continuité. Voilà qui pose un très sérieux problème.
Etes-vous certain que ce discours constitue la ligne maîtresse du pontificat ?
Déjà le Motu Proprio affirme cette continuité, en disant que les deux messes n’en font qu’une, parce qu’il n’y a qu’une foi. Et comme il ne peut y avoir qu’une seule expression de la foi unique, il n’y a qu’une messe mais sous deux formes, ordinaire et extraordinaire.
Dans les jours qui suivent la publication du Motu Proprio, la Congrégation pour la doctrine de la foi faisait paraître un document intitulé Réponses à des questions concernant certains aspects de la doctrine de l’Eglise. En fait c’est le problème du « subsistit in » qui est traité là. Et voici comment ! A la question « Le Concile Vatican II a-t-il changé la doctrine antérieure sur l’Eglise ? », la réponse est : « Le Concile n’a pas voulu changer et n’a de fait pas changé la doctrine en question. Il a bien plutôt entendu la développer, la formuler de manière plus adéquate, et en approfondir l’intelligence. »
La deuxième question est plus précise : « Comment doit être comprise l’affirmation selon laquelle l’Eglise du Christ subsiste dans l’Eglise catholique ? ». A quoi les théologiens romains répondent que, dans le n° 8 de Lumen Gentium, « subsister » signifie bien la perpétuelle continuité historique et la permanence de tous les éléments institués par le Christ dans l’Eglise catholique dans laquelle on trouve concrètement l’Eglise du Christ sur cette terre. Mais pour ajouter aussitôt que, « selon la doctrine catholique, il est correct d’affirmer que l’Eglise du Christ est présente et agissante dans les Eglises et communautés ecclésiales qui ne sont pas encore en pleine communion avec l’Eglise catholique, grâce aux éléments de sanctification et de vérité qu’on y trouve ». Et l’on ose nous dire que c’est ce que l’Eglise a toujours enseigné. Ces théologiens n’ont pas peur de la contradiction.
La troisième question a le mérite de la clarté : « Pourquoi utilise-t-on l’expression ‘subsiste dans’ et non pas tout simplement le verbe ‘est’ ? ». Réponse : « L’usage de cette expression qui indique la pleine identité de  l’Eglise du Christ avec l’Eglise catholique ne change en rien la doctrine sur l’Eglise, mais a pour raison d’être de signifier plus clairement qu’en dehors de ses structures on trouve de nombreux éléments de sanctification et de vérité, qui appartenant proprement  au don de Dieu à l’Eglise du Christ, appellent par eux-mêmes l’unité catholique ». Autrement dit, ces communautés ecclésiales sont hors de l’Eglise, mais elles ont des éléments qui appellent l’unité.
Pour bien comprendre ce document, il est utile de se reporter aux déclarations du cardinal Kasper, le responsable romain du dialogue oecuménique. Dans une conférence sur les fondements de l’oecuménisme, il expliquait que le mot subsiste a été introduit à la place du mot est – constamment employé jusqu’à l’encyclique Mystici Corporis de Pie XII -, pour rendre possible l’oecuménisme dans l’Eglise catholique. Ainsi donc, pour lui, ce mot subsiste est le fondement de l’oecuménisme dans l’Eglise catholique. Si vous supprimez ce mot et si vous remettez est c’en est fini de l’oecuménisme. Et la Congrégation pour la doctrine de la foi veut nous persuader que subsiste équivaut à est !
Le problème est qu’il s’agit d’un texte officiel qui émane de Rome. Ses auteurs nous disent qu’ils entendent clarifier la position romaine, mais vous pouvez le lire trois fois, cinq fois, dix fois, si vous le voulez, on n’y comprend plus rien.
C’est troublant, mais ce n’est peut-être qu’un cas particulier qu’il ne faudrait pas généraliser ?
Non, ce n’est pas un cas unique. Prenons le document romain, plus récent, qui s’intitule, Notes doctrinales sur certains aspects de l’évangélisation. Après avoir affirmé que l’évangélisation est très importante et qu’il faut que tout chrétien ait ce souci d’évangélisation, on en arrive à l’oecuménisme : « La mission de l’Eglise est universelle. Elle ne se limite pas à des régions déterminées de la terre. Toutefois, l’évangélisation se réalise diversement selon les différentes situations dans lesquelles elle s’opère ». Et là on distingue la mission au sens propre, la missio ad gentes qui s’adresse à ceux qui ne connaissent pas le Christ, et l’évangélisation au sens large pour les chrétiens qui ne sont plus dans l’Eglise : « l’évangélisation a lieu aussi dans des pays où vivent des chrétiens non catholiques, surtout les pays de vieille tradition et d’ancienne culture chrétiennes. Ici sont requis un véritable respect pour leurs traditions et pour leurs richesses spirituelles, et un sincère esprit de coopération ». Est-ce bien l’évangélisation ? Il n’y est plus question de conversion ! Dans le cadre de la missio ad gentes, il faut essayer de convertir les païens, mais avec les autres, on coopère. Et s’il doit y avoir conversion au catholicisme de la part de ces chrétiens, ce sera au nom de la liberté religieuse ! Je n’invente rien : « Il convient de noter que si un chrétien non catholique, pour des raisons de conscience et dans la conviction de la vérité catholique, demande à entrer dans la pleine communion de l’Eglise catholique, il faudra respecter sa requête comme oeuvre de l’Esprit Saint et comme expression de la liberté de conscience et de religion ».
A propos de conversion, que pensez- vous de la prière du Vendredi Saint pour les juifs qui vient d’être réformée ?
Le cardinal Kasper qui est aussi responsable des relations avec les juifs, a fait un commentaire autorisé de cette nouvelle prière, au micro de Radio Vatican, le 7 février, en parfait accord avec le cardinal Bertone, secrétaire d’Etat du Saint-Siège. Ils expliquent tous deux que la mission s’adressait ad gentes, mais pas ad Judeos. En d’autres termes, l’Eglise par cette nouvelle prière, même si ce n’est pas dit explicitement, ne va pas chercher à convertir les Juifs. C’est en fait un montage très habile. Cette prière a deux parties. Dans la première, on ne parle plus de ténèbres, mais d’illuminer, - normalement pourtant on donne la lumière à ceux qui sont dans les ténèbres. Mais il faut quand même reconnaître le Christ car, comme le dit saint Pierre, il n’y a aucun autre nom donné sous le ciel par lequel on puisse être sauvé que le Nom de Jésus. Si donc on veut que les Juifs soient sauvés, il faut tout de même dire qu’ils doivent reconnaître Notre Seigneur. En revanche, dans la deuxième partie de cette prière, tout est changé. Et cette nouveauté est empruntée à l’épître aux Romains que l’on ne peut soupçonner d’hétérodoxie, mais le verset cité est ici hors sujet. On demande qu’à la fin des temps, lorsque toutes les nations auront été rassemblées, Israël se retrouve sauvé. C’est une prière eschatologique qui se réalisera de toute façon puisque l’Ecriture Sainte nous annonce qu’à la fin des temps les Juifs se convertiront. Mais on ne demande plus la conversion des Juifs d’aujourd’hui.
Avec cela, je pense que je n’ai pas besoin de préciser quelle prière on dit dans la Fraternité Saint- Pie X, le Vendredi Saint.
Comment concilier le Motu Proprio - qui est une avancée, dites-vous - avec cette volonté de maintenir l’enseignement conciliaire ?
Sur ce point, on ne peut qu’éprouver une grande perplexité. Et ce d’autant plus que le pape, tout en couvrant de son autorité ces documents officiels, manifeste avec le Motu Proprio l’intention de réhabiliter non seulement la messe tridentine, mais aussi toute la liturgie traditionnelle. Il déclare que sont toujours en vigueur la messe sous toutes ses formes, messe de mariage, messe de Requiem, mais aussi tout le rituel traditionnel, tous les sacrements et même le bréviaire. S’il n’y avait que la messe qui soit reconnue, ce serait quelque chose d’assez bancal. On sait bien que pendant toutes ces années d’indult, certains évêques ont essayé de limiter la vie liturgique traditionnelle à la messe, jusqu’à obliger les fidèles à aller se confesser au curé de leur paroisse qui de toute façon se réservait les baptêmes et les enterrements. Aux Etats-Unis, les évêques s’étaient mis d’accord : c’était une messe d’indult par diocèse, et il devait y avoir un minimum de deux heures entre la fin de la messe nouvelle et le début de la messe tridentine pour bien séparer les choses. Les prêtres avaient l’obligation de prêcher sur les bienfaits de Vatican II à cette Messe. La quête était pour la paroisse qui conservait le monopole des autres sacrements selon le rituel moderne.
On voit bien là que le pape ne se situe pas dans cette optique. Le statut de la messe tridentine, avec le Motu Proprio est de nouveau celui d’une loi universelle. Ce n’est plus une loi particulière, un indult. Et c’est bien cela que nous saluons, ce qui ne veut pas dire que nous sommes d’accord avec tout ce qui se trouve dans le texte lui-même, notamment avec cette idée intenable de deux formes pour une seule messe.
Paradoxalement, en même temps qu’est reconnue la non abrogation de la messe tridentine, sont annoncés certains changements. D’une part, on dit qu’il ne faut pas mélanger les rites ordinaire et extraordinaire, mais d’autre part, on attend qu’ils se fécondent mutuellement. On dit qu’il va falloir faire entrer quelques saints nouveaux, sans parler directement d’un nouveau calendrier pour la liturgie traditionnelle. De même, on entend que le nouveau lectionnaire pourrait venir enrichir cette liturgie traditionnelle…
Mais n’a-t-on pas dit que le pape n’était guère soutenu, ni à Rome, ni dans les diocèses, dans cette restauration de l’ancienne messe ?
Il est exact que Benoît XVI pour promulguer ce Motu Proprio a dû affronter des pressions terribles. J’ai même entendu que le pape avait dit à son entourage : « Je n’ai jamais autant souffert de toute ma vie qu’avec ce Motu Proprio ». Mais il ajoutait cette phrase : « Je devais le faire en conscience ». Le pape y tient, et il ne lâche pas, mais il ne peut compter sur le soutien des évêques.
Cette opposition épiscopale est énorme. On sait qu’il y a au moins quatre conférences épiscopales qui ont écrit, avant le Motu Proprio, pour dire qu’elles n’en voulaient pas. C’étaient la France, l’Angleterre, l’Allemagne, et avec une moins grande unanimité les Etats- Unis. Les évêques allemands, lors de leur visite ad limina ont déclaré très nettement : « Nous ne voulons pas de ce Motu Proprio ». Ils ont même adressé une requête en ce sens au Préfet de la liturgie, le cardinal Arinze. Devant de tels faits, on peut prendre la mesure de la ténacité du pape. Il a vraiment voulu poser cet acte.
De même à propos du pro multis à la Consécration, traduit dans la plupart des langues vernaculaires par « pour tous » et non par « pour beaucoup ». Dans une lettre du 17 novembre 2006, le cardinal Arinze a adressé aux présidents des conférences épiscopales du monde entier une demande de rectification de cette traduction erronée. Il faut savoir que cette lettre avait été précédée d’une enquête. Je n’en ai pas le résultat définitif, mais je sais qu’à un certain moment, sur 35 conférences épiscopales qui avaient répondu, seulement trois étaient en faveur du « pro multis, pour beaucoup », toutes les autres voulaient garder le « pour tous ». Là encore, il y a une proportion énorme d’opposants et le pape maintient la position contraire, en posant un acte qui va contre la collégialité à laquelle il tient pourtant. Il affronte les évêques qui ne baissent pas les armes puisque, après la lettre, de nombreuses conférences épiscopales ont demandé à Rome une dispense pour pouvoir conserver le « pour tous ».
Les réactions des évêques après la promulgation du Motu Proprio, nous les avons sous les yeux. On peut dire que, si en droit le statut de l’ancienne messe a été changé, au niveau des faits dans une très grande partie de l’Eglise, il n’y a à peu près rien de changé. Presque partout les évêques font tout ce qu’ils peuvent pour gérer la nouvelle situation comme si l’on était toujours au temps de l’indult, c’està- dire qu’ils soumettent à leur autorisation la célébration de l’ancienne messe. Ainsi ils exercent un tel contrôle sur le retour de l’ancienne liturgie qu’ils le rendent pratiquement impossible. Ils paralysent le Motu Proprio. L’opposition est si forte que Rome se voit obligée de faire un texte d’application du Motu Proprio dont on ne sait quand il va sortir, ni même s’il pourra un jour sortir. J’ai entendu récemment parler d’un tiroir sans fond pour ce document…
Toujours est-il que nous assistons actuellement à un conflit très grave, où il n’est pas question de la messe, mais du pouvoir pontifical. Car Benoît XVI est très attaché à la collégialité, or il se trouve devant un problème, qu’il appelle luimême un problème de conscience, et où il est obligé d’agir contre le principe de la collégialité. Le pape se voit tenu de poser des actes qu’il ne poserait jamais s’il ne se trouvait pas face à ces difficultés. C’est bien pourquoi nous devons prier pour lui.
Nous sommes là dans une configuration nouvelle de la crise de l’Eglise, dans une situation conflictuelle relativement aiguë entre le pape et les évêques, où nous ne sommes que spectateurs. Nous avons toujours combattu pour le retour de l’ancienne Messe, nous sommes bien sûr contre le « pour tous », mais maintenant ces éléments de notre combat sont repris par le pape qui se trouve par le fait même en opposition avec les évêques. Ce qui donne l’impression que le pape est, si l’on peut dire, de notre côté. Beaucoup de nos fidèles et même de prêtres le perçoivent ainsi. Et c’est là qu’il nous faut être très vigilants et ne pas oublier les autres documents romains qui restent dans la ligne doctrinale du concile. Voilà pourquoi le Motu Proprio rend la situation présente plus compliquée.
Bien évidemment, il y a des corrections qui vont dans le bon sens. Personne ne peut nier que corriger le « pour tous » en rétablissant le « pour beaucoup », va dans le bon sens. De même, donner plus de possibilités à l’ancienne messe, c’est très positif. Il n’y a aucun doute là-dessus. Cependant, encore une fois, ces actes ne sont pas complets ; ils ne s’accompagnent pas d’un vrai retour à la doctrine traditionnelle. Et pourtant le peu de retour à la Tradition qu’ils expriment provoque déjà un conflit dans l’Eglise.
S’il y a ce décalage entre l’avancée liturgique et l’absence d’amélioration au plan doctrinal, comment comprendre le Motu Proprio voulu par le pape malgré son entourage ?
On ne peut que se livrer à des conjectures. Benoît XVI, malgré toutes ses positions théologiques très modernes, sait bien que la religion doit rendre un culte à Dieu. Il se rend compte aussi que, d’une manière aujourd’hui généralisée, la nouvelle messe ne remplit plus cette fonction. La nouvelle messe telle qu’elle est communément célébrée est une rencontre d’hommes, mais ce n’est plus le culte rendu à Dieu. Ce n’est plus l’adoration. Les fidèles, il n’y a qu’à voir comment ils se comportent, on s’assied, on mange, c’est le banquet, c’est la fête, mais l’esprit liturgique est mort. Avec la nouvelle liturgie, il n’y a plus l’esprit liturgique, plus l’esprit du sacrifice. Cet esprit, relation de la créature qui doit se tenir à sa place face à Dieu, en l’adorant, en lui exprimant sa soumission, cela n’existe plus. Et faire des corrections ou des rafistolages de la nouvelle liturgie est peine perdue.
Or l’Eglise, sans esprit authentiquement liturgique, esprit d’adoration et de sacrifice, manque sa mission. Il faut revenir à cet esprit. Comment le faire avec la nouvelle liturgie ? Benoît XVI qui, par principe, est contre le fait d’inventer de nouvelles liturgies, ne peut plus envisager qu’une solution contre laquelle il se défend, car il ne l’aime pas et la croit même impossible, c’est de revenir en arrière. Au moins momentanément.
Ce retour en arrière pour un temps permettrait de féconder la nouvelle messe avec l’ancienne, de lui rendre un certain esprit liturgique. Cette fameuse « réforme de la réforme » qu’il appelle de ses voeux depuis longtemps. Encore une fois, il ne s’agit que d’une hypothèse personnelle, mais je n’oublie pas que le pape a écrit dans un de ses livres qu’il considérait que la nouvelle liturgie était la cause principale de la crise de l’Eglise. Et s’il l’a dit, il le croit. Même si son regard sur la nouvelle messe n’est pas le même que le nôtre, même si les arguments qu’il a contre la nouvelle messe ne sont pas les nôtres, il n’aime pourtant pas cette nouvelle messe.
Il a parlé tellement souvent de cette « réforme de la réforme » qu’on ne peut pas exclure que c’est une intention qu’il avait en promulguant le Motu Proprio. C’est pour cela que je ne pense pas que cette décision soit à ses yeux un acte définitif. C’est une étape pour aller plus loin, car la situation actuelle des deux rites, ordinaire et extraordinaire, est forcément provisoire.
Toujours est-il que si on laisse agir la nature des choses, si on laisse les deux messes faire leurs preuves, il est évident - indépendamment de l’intention personnelle du pape - que la nouvelle messe est morte, en une ou deux générations. Je pense que c’est l’une des raisons principales de l’opposition des évêques. Ils savent cela. Pourquoi ne fallait-il pas selon eux accorder la liberté de la messe traditionnelle ? Parce que ce serait en défaveur de la nouvelle. En 1998, j’ai entendu de la bouche du cardinal Médina, qui était Préfet de la liturgie : « Donnons les mêmes chances aux deux rites, et que le meilleur gagne ! ».
Et malgré cette possibilité encourageante de voir la messe traditionnelle triompher de la nouvelle, vous dites que rien ne change au fond ?
Il faut malheureusement constater qu’au plan doctrinal rien ne change, que Rome suit toujours la même direction depuis le concile. Jean-Paul II voyait, à la fin de son pontificat, les symptômes de la crise sans pouvoir remonter aux causes. Il dénonçait l’apostasie silencieuse des nations européennes sans remettre en cause l’oecuménisme promu par Vatican II. Benoît XVI, lui, voit ces symptômes et leurs causes prochaines au niveau liturgique, mais pas encore la cause profonde qui est théologique. On a l’impression que le pape veut maintenir les principes du concile, en les dissociant de leurs conséquences parce qu’elles l’effraient.
En effet, Benoît XVI demeure tributaire de l’orientation fondamentale du Concile Vatican II où ont été redéfinis les rapports de l’Eglise avec le monde, les autres religions, les Etats, et finalement le rapport de l’Eglise à elle-même. Il a dit qu’il ne reniait pas, une fois pape, la pensée qui était la sienne alors qu’il n’était que cardinal. A cette époque, il présentait ainsi l’oeuvre du concile : « Le problème des années soixante était d’acquérir les meilleures valeurs exprimées de deux siècles de culture “libérale”. Ce sont en fait des valeurs qui, même si elles sont nées en dehors de l’Eglise, peuvent trouver leur place – épurées et corrigées – dans sa vision du monde. C’est ce qui a été fait » [Mensuel Jesus, novembre 1984, p. 72]. C’est au nom de cette assimilation qu’une nouvelle vision du monde a été imposée : une vision fondamentalement positive, qui a inspiré non seulement le nouveau rite liturgique, mais aussi un nouveau mode de présence de l’Eglise dans le monde, plus présente désormais aux problèmes humains et terrestres qu’aux questions surnaturelles et éternelles…
C’est ainsi également que la relation aux autres religions s’est transformée. La nouvelle approche se nomme oecuménisme, et ce n’est pas d’un retour à l’unité catholique qu’il s’agit, mais de l’établissement d’une nouvelle sorte d’unité qui ne requiert plus de conversion.
Comme je l’écrivais dans la dernière Lettre aux Amis de la Fraternité : « Le Motu Proprio qui introduit une espérance de changement vers le mieux au niveau liturgique, n’est pas accompagné par des mesures logiquement corrélatives dans les autres domaines de la vie de l’Eglise. Tous les changements introduits au Concile et dans les réformes post-conciliaires que nous dénonçons, parce que l’Eglise les a précisément déjà condamnés, sont confirmés. Avec la différence que désormais, on affirme en même temps que l’Eglise ne change pas… ce qui revient à dire que ces changements seraient parfaitement dans la ligne de la Tradition catholique. Le bouleversement au niveau des termes joint au rappel que l’Eglise doit rester fidèle à sa Tradition peuvent en troubler plus d’un. Tant que les faits ne corroborent pas l’affirmation nouvelle, il faut conclure que rien n’a changé dans la volonté de Rome de poursuivre les orientations conciliaires, malgré quarante années de crise, malgré les couvents dépeuplés, les presbytères abandonnés, les églises vides ».
C’est cette situation nouvelle particulièrement complexe qui fait qu’il n’y a pas d’accords possibles avec Rome ?
Face à ces gestes contradictoires - réhabilitation de la messe tridentine d’une part, et réaffirmation de la liberté religieuse et de l’oecuménisme d’autre part -, les étapes dont j’ai déjà parlé maintes fois sont plus que nécessaires. Nous continuons à demander au pape le retrait du décret d’excommunication qui frappe les évêques ordonnés par Mgr Lefebvre en 1988. Nous maintenons notre demande de discussions doctrinales avant tout accord avec Rome.
Des discussions doctrinales pour convertir Rome ?
 Non, nous n’avons pas cette prétention. Nous ne souhaitons qu’aider Rome à retrouver sa Tradition. Nous ne voulons pas amener qui que ce soit à adopter des positions personnelles que nous n’avons pas. Comme l’a fait graver sur sa pierre tombale notre fondateur, Mgr Lefebvre, nous ne faisons que transmettre ce que nous avons reçu.
Mais faire l’impasse sur les problèmes doctrinaux est impossible. On le voit bien avec le Motu Proprio qui ne veut pas considérer les divergences théologiques qui existent entre l’ancienne et la nouvelle messe. Les évêques, eux, voient bien ces divergences, ils tolèrent l’ancienne messe à condition qu’elle ne soit pas une remise en cause de la doctrine conciliaire sous-jacente. Par loyauté intellectuelle, on ne peut maintenir une telle équivoque ; il faut clarifier les questions doctrinales.
Dans un article de L’Osservatore Romano du 28 mars dernier, le cardinal Castrillón Hoyos laissait croire que la critique des textes conciliaires par la Fraternité Saint-Pie X ne portait que sur leur manque de clarté. Selon lui, les difficultés ne sont qu’interprétatives, ou ne portent que sur quelques gestes oecuméniques, mais pas sur l’enseignement de Vatican II lui-même. Ce n’est pas exact. Notre critique du concile n’est pas une simple affaire d’interprétation subjective. Face aux interprétations différentes et souvent divergentes, il y a le contenu objectif des documents conciliaires sur la liberté religieuse, la collégialité et l’oecuménisme qui ne se réduit pas à des « gestes », mais qui est bel et bien une doctrine en contradiction avec la Tradition de l’Eglise.
A ce propos, je tiens à démentir l’affirmation du cardinal selon laquelle j’aurais expressément reconnu le Concile Vatican II, en particulier lors de l’audience que Benoît XVI m’a accordée le 29 août 2005. Je reconnais aisément le fait historique de Vatican II, mais je n’accepte pas de reconnaître sa totale conformité avec « ce qui a été cru toujours, partout et par tous » dans l’Eglise. Et si le Saint Père a effectivement abordé le sujet, moi-même je n’en ai pas parlé à l’audience.
Mais pourquoi demandez-vous le retrait du décret d’excommunication avant d’ouvrir ces discussions doctrinales ? 
 De fait, nous n’accordons pas de valeur canonique à ces excommunications à la suite des sacres de 1988, qui étaient dictés par un état de nécessité. Mais il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour constater leur efficacité médiatique, et plus encore leurs effets dévastateurs au plan pastoral. Il suffit de dire ‘Ecône’ ou ‘Mgr Lefebvre’ pour être immédiatement disqualifiés ou diabolisés. Rome elle-même est victime de cette diabolisation dès qu’elle veut faire quelque chose pour la Tradition ; les journalistes traitent alors les autorités romaines de ‘traditionalistes’ ou les soupçonnent d’être influencées par les ‘lefebvristes’.
Si ce décret d’excommunication est retiré, il devient possible de « faire l’expérience de la Tradition », comme le souhaitait Mgr Lefebvre, c’est-à-dire qu’il sera possible de juger à ses fruits la Tradition enfin dédiabolisée. Je dis bien ‘à ses fruits’, sur ses résultats, et non sur les étiquettes infamantes qu’on lui colle trop facilement.
Je ne crois pas qu’il s’agisse là d’une solution utopique, je la crois même profondément réaliste, parce qu’elle prend en compte les circonstances concrètes de la situation de l’Eglise aujourd’hui. Déjà, dans la Lettre aux Amis de la Fraternité de Noël 2004, je citais la proposition que j’avais faite, le 6 juin précédent, au cardinal Castrillón Hoyos : « Le Saint-Siège pourrait nous observer et examiner notre développement sans qu’il y ait pour l’instant davantage d’engagement des deux côtés ». Ce serait une étape intermédiaire où la Fraternité ne serait ni excommuniée, ni reconnue canoniquement, mais cet état, sans être régulier au regard du droit canon, serait déjà un mieux permettant de juger l’arbre à ses fruits. Tout le monde pourrait observer d’un regard plus serein cette Tradition qui a porté tous les saints de l’Eglise, la Tradition serait ainsi abordable pour tous et pourrait ainsi donner un immense espoir à une foule de catholiques complètement désabusés. Ce serait rouvrir une grande porte à la Tradition pour toute l’Eglise.
Cela reviendrait à une exemption de fait par rapport aux conférences épiscopales. Et cette exemption est indispensable quand on voit l’opposition des évêques aux quelques gestes que Benoît XVI a posés en faveur de la Tradition. Il suffit d’observer la situation des communautés Ecclesia Dei dans les diocèses. Bien qu’officiellement reconnues par Rome, elles ne sont autorisées à exercer sur place qu’un ministère traditionnel en liberté surveillée ; elles sont tenues d’observer un strict devoir de réserve devant les fantaisies liturgiques et théologiques qui ont cours dans les diocèses qui les accueillent. Concrètement la Fraternité Saint- Pie X est plus libre de faire le bien que ces communautés.
Pourquoi avez-vous lancé une nouvelle croisade du Rosaire, en avril dernier ?
Nous pouvons sans aucun doute nous sentir encouragés par la précédente campagne de chapelets pour obtenir la liberté de la messe traditionnelle. Nous espérions réunir un million de chapelets et nous en avons obtenu plus de deux millions. Et le résultat fut, comme vous le savez, la reconnaissance officielle que jamais la messe pour laquelle nous nous battons depuis quarante ans, n’a été abrogée.
Mais surtout je suis intimement persuadé que la solution de la crise qui secoue l’Eglise ne peut être obtenue par des moyens purement humains, diplomatiques ou autres. Le combat de la foi se mène avec la prière nécessairement. L’oeuvre de Mgr Lefebvre a pour seul objet la restauration de toutes choses en Jésus-Christ : instaurare omnia in Christo, cela ne peut se faire qu’avec le Christ, cum Christo, et sa Très Sainte Mère, cum Maria.
Et si je lance désormais une croisade permanente, c’est qu’il faut aujourd’hui consentir à un effort non pas ponctuel, mais constant et persévérant, à la hauteur de ce qui est en jeu. Le combat pour la foi de toujours ne peut se mener avec des combattants d’un jour, des saisonniers ou des intermittents. Il faut des fidèles endurants.
Ce combat s’inscrit dans la durée, mais pour des objectifs précis : la fois dernière nous priions pour la liberté de la messe, maintenant nous demandons à la Sainte Vierge le retrait du décret d’excommunication, c’est-à-dire la libération de la Tradition. Plus tard, nous aurons d’autres objectifs, d’autres intentions de prière.
Il faut aussi que cette croisade, comme la précédente, soit bien organisée par les prêtres dans leurs prieurés et chapelles. Chaque fidèle doit pouvoir s’inscrire et s’engager pour un chapelet à telle heure de la journée et sur une durée bien déterminée : un mois, un trimestre… Vu le nombre de fidèles attachés à la Tradition et leur répartition dans le monde entier, nous sommes assurés qu’à toute heure du jour et de la nuit il y aura des âmes qui prient pour la libération de la Tradition, en un immense Rosaire perpétuel.
Malgré tout, ne craignez-vous pas une lassitude, voire un découragement ? 
Cela dépend à qui l’on s’adresse. Il me semble qu’il y a trois sortes d’hommes. Vous en avez qui vous disent que c’est la fin du monde, que Benoît XVI est le dernier pape, et qu’après lui ce sera l’Antéchrist. Ceux-là se croient dispensés d’entreprendre quoi que ce soit. Ils ne connaissent pas la lassitude.
Vous en avez d’autres qui attendent patiemment, mais surtout passivement, que la crise se dénoue miraculeusement. Ils n’éprouvent pas de découragement, car selon eux toutes les âmes seront, un jour, instantanément converties, tous les esprits adhèreront sans peine à la vérité et tous les coeurs se tourneront immédiatement vers le bien. Certes Dieu peut tout faire de puissance absolue ; rien ne lui est impossible. Mais de puissance ordonnée, c’est-à-dire en tenant compte de la sagesse de sa providence, on ne voit guère les crises se résoudre ainsi dans l’Eglise. Dieu suscite des réformateurs, et la réforme ne se fait pas toute seule.
Nous nous situons dans cette perspective que l’on peut observer dans toute l’histoire de l’Eglise où l’amélioration est graduelle, avec des hauts et des bas, des victoires et des défaites. Petit à petit, le Bon Dieu fera triompher sa grâce, par un certain nombre d’âmes fidèles qui ne sont guère épargnées. Combien de temps cela doit durer ? On n’en sait rien ! Mais l’amélioration est graduelle, or nous n’aimons pas ces graduations. Nous préfèrerions que tout soit clair et net. Nous n’apprécions guère les situations intermédiaires en clair-obscur.
Et pourtant c’est ce dont nous faisons l’expérience personnellement chaque fois que nous nous efforçons d’amener ou de ramener une âme à la vérité. Cette âme ne se convertit pas d’un seul coup, elle accepte une vérité, puis elle en admet une autre, jusqu’au jour où elle sera entièrement convertie. Mutatis mutandis, c’est la même situation avec ces hommes d’Eglise dont il faut reconquérir les intelligences et les coeurs in omni patientia et doctrina, comme nous y invite saint Paul, en toute patience et avec le souci permanent d’instruire. Et là, il faut se prémunir contre la tentation du découragement.
Combien de temps tout cela va durer ? Encore une fois, je n’en sais rien ! Il y a plus de prêtres qui non seulement disent l’ancienne messe, mais qui retrouvent la doctrine traditionnelle, car cela va de pair. Et c’est très encourageant. Pour les évêques, c’est plus difficile, car ils ne sont pas libres. Un évêque, tant qu’il est dans le système, ne peut aujourd’hui quasiment pas agir ; ses confrères le crosseront… au nom de la collégialité.
Comment les choses vont-elles s’améliorer ? Je crois qu’il suffit pour répondre de regarder comment elles ont commencé de le faire. Ce sont des petits îlots de chrétienté par ci par là, écoles, mouvements de familles, associations professionnelles, groupes de formation civique qui croissent et se multiplient. Lentement mais sûrement. Ne minimisons pas l’importance de l’exemple que les prêtres et les fidèles attachés à la Tradition peuvent donner à ceux qui ont perdu tout repère intellectuel et moral dans le monde déchristianisé où nous vivons. Ils ne nous écoutent pas et c’est pourquoi nous ne leur faisons pas la leçon, mais ils nous observent et c’est pourquoi nous devons leur donner un exemple. Celui de la Tradition non pas vivante, mais bel et bien vécue au quotidien. Les conciliaires parlent de la Tradition vivante, puissent les traditionalistes montrer sans paroles mais en actes la Tradition qui se vit en famille, au travail, dans la cité ! Les paroles s’envolent, mais les exemples attirent.
L’important est de bien observer la direction dans laquelle va l’élan donné par Mgr Lefebvre. Si on fait un bilan des quarante dernières années, disons depuis notre refus de la nouvelle messe, on voit que la situation de la Tradition est meilleure. Où dit-on aujourd’hui la messe tridentine lors du pèlerinage de Lourdes ? dehors ou dans la basilique ? Et à Lisieux ? dehors ou dedans ? C’est plus qu’un symbole, c’est la réalité.
Vous pouvez être encore un peu sceptiques. Alors je me tais et je laisse parler ceux qui à Rome reconnaissent que nous travaillons pour l’Eglise. Un prélat me disait : « Sans la Fraternité Saint-Pie X, le Motu Proprio était impossible ». Ainsi donc, à ses yeux, faire revenir maintenant la messe traditionnelle dans l’Eglise était impossible sans la Fraternité. Un religieux, lui, me déclarait : « La Fraternité est la seule entité qui aujourd’hui peut poser les vraies questions à l’Eglise ». Est-ce pour nous un motif de vanité ? Non, c’est une responsabilité à laquelle nous ne pouvons nous dérober, car nous aurons à en rendre compte. Mais c’est aussi un encouragement à poursuivre le combat pour la foi, sans nous lasser.