5 janvier 2006

[Madiran - Présent] Benoît XVI libère la Foi

SOURCE - Jean Madiran - Paru dans Présent, du 5 au 7 janvier 2006

Benoît XVI libère la Foi

Il récuse le soi-disant « esprit du Concile », cause depuis 40 ans des censures et interdits.
Le très ample discours de Benoît XVI à la Curie romaine, le 22 décembre, traitait longuement de plusieurs sujets. Il contenait aussi une sorte de bombe à retardement, dont en France La Croix et Présent ont déjà publié d’importants extraits le 23 et le 31 décembre, et dont les conséquences radicales vont devenir (heureusement) inévitables.

Benoît XVI est parfaitement explicite dans sa désignation de ce qu’il met en cause, discute, récuse : c’est l’esprit qui, sous le nom d’« esprit du Concile », a dominé la vie de l’Eglise depuis quarante ans, et qui a multiplié interdits et censures à l’encontre des expressions légitimes de la foi bimillénaire de l’Eglise.

Ce soi-disant « esprit du Concile » imposait une « discontinuité », et finalement une rupture entre une « Eglise préconciliaire » et une « Eglise post-conciliaire ». En France peut-être davantage qu’ailleurs, nous avons subi cette rupture. Nous l’avons vécue.
Nous y avons été réfractaires.
Brusquement, tout ce qui était antérieur au Concile était disqualifié et interdit dans les diocèses : par exemple, tous les catéchismes. Interdits et jamais remplacés. La suppression du petit catéchisme catholique a été radicale. La messe traditionnelle fut également interdite. Interdites aussi, la version et l’interprétation traditionnelles de l’Ecriture sainte. Un tel esprit a « engendré la confusion », déclare Benoît XVI, et la contestation qu’il en fait porte « à la racine ».
Le prétendu esprit du Concile a considéré Vatican II comme une sorte d’assemblée constituante démocratique qui « élimine une vieille constitution [de l’Eglise] et en crée une nouvelle ». Impossible d’admettre cela, dit Benoît XVI :
« Les Pères [du Concile] n’avaient pas un tel mandat et personne ne le leur avait donné. »
Il dit aussi pourquoi :
« Personne, du reste, ne pouvait le donner, car la constitution essentielle de l’Eglise vient du Seigneur
Le soi-disant esprit du Concile, esprit de rupture avec ce qui est antérieur à Vatican II, « a pu compter, observe Benoît XVI, sur la sympathie des mass media et également d’une partie de la théologie moderne ». C’est une litote : mais elle suffit pour évoquer la prépotence administrative et médiatique que nous a fait subir pendant quarante années un parti politico-religieux implanté à l’intérieur de l’Eglise.

Vatican II, pour l’« esprit du Concile », a été « le » concile, l’unique, qui disqualifiait jusqu’aux conciles antérieurs. Un exemple entre mille, et que je ne vais pas chercher dans un Témoignage chrétien ou chez un Mgr Gaillot. C’est l’exemple du dominicain Jérôme Hamer, archevêque (titulaire) et surtout « secrétaire de la Congrégation pour la Doctrine de la foi », donc spécialement et officiellement qualifié pour exposer la pensée de l’Eglise sur l’eucharistie. Douze ans après la clôture de Vatican II, il le faisait dans la France catholique qui n’est pas précisément une feuille progressiste.
Eh bien, « pour être sûr , disait-il, d’exposer exactement la pensée de l’Eglise » sur l’eucharistie, il se référait uniquement à Vatican II, comme si n’avait jamais existé le concile de Trente, justement le concile qui, sur l’eucharistie, a défini des dogmes infaillibles.
Tel était à tous les niveaux l’« esprit du Concile » que Benoît XVI vient de récuser.

Ce qui va changer dans notre attitude, c’est que nous ne serons plus dans une situation insurrectionnelle : l’insurrection annoncée en 1966 (cf. Histoire du catéchisme, p. 59) et devenue permanente depuis 1967 était légitime contre la domination d’un « esprit du concile » aujourd’hui détrôné. Elle apparaissait illicite. C’est maintenant l’« esprit du concile » qui est frappé d’illicéité. Dans cette situation nouvelle nous ne trouvons pas un triomphe (que d’ailleurs nous ne recherchons pas pour nos personnes), nous trouvons une liberté enfin reconnue. Et l’usage que désormais nous pouvons en faire va commencer.
 
JEAN MADIRAN
PRESENT n°5996 daté du jeudi 5 janvier 2006, p.1

Benoît XVI libère la Foi (II)
Un exemple troublant : le latin liturgique

Dans sa description critique du soi-disant et funeste « esprit du Concile », Benoît XVI, parmi d’autres traits caractéristiques, indique les « élans vers la nouveauté », pour toujours « aller de l’avant », et ainsi « on ouvre la porte à toutes les fantaisies ».
On peut en trouver une illustration particulièrement manifeste dans ce que j’avais appelé à l’époque l’exemple du latin.
L’article 36 de la constitution conciliaire sur la liturgie ordonnait : « L’usage de la langue latine devra être conservé dans les rites latins. »
Toutefois il concédait : « On pourra faire une plus large place à la langue du pays. »
Le prétendu « esprit du Concile » que stigmatise Benoît XVI inversa immédiatement le « devra » et le « pourra », l’obligation et la concession. C’est la langue du pays qui fut tenue pour désormais obligatoire, au nom du Concile. Le latin devenait simplement concédé, et encore, à peine, presque jamais.
Le 12 novembre 1969, avec une brutalité sans précédent en matière liturgique, une ordonnance de l’assemblée plénière de l’épiscopat français imposait de célébrer la nouvelle messe uniquement en traduction française à partir du 1er janvier 1970. A tous les échos, dans tous les diocèses, quasiment dans chaque paroisse, on entendait proclamer qu’ainsi l’avait voulu « le Concile ».
Mais ce n’est pas tout. Le pape Paul VI, dès son allocution du 7 mars 1965, c’est-à-dire quatre ans avant la nouvelle messe, avait déclaré : « C’est un sacrifice que l’Eglise accomplit en renonçant au latin. » Plus tard, le 26 novembre 1969, saluant l’apparition de la messe nouvelle, Paul VI précisait : « Ce n’est plus le latin, mais la langue courante, qui sera la langue principale de la messe. »
Pour le décider en un sens aussi directement contraire à la constitution conciliaire, Paul VI ne faisait rien d’autre qu’utiliser un pouvoir qui à coup sûr était le sien : d’un concile qui avait nettement déclaré ne rien vouloir fixer qui soit infaillible ou irréformable, le Pape a évidemment le droit de contredire, d’annuler ou de corriger les dispositions. Seul l’« esprit du Concile » aurait pu mal supporter un tel exercice du pouvoir pontifical.
On arrangea donc les choses en présentant la suppression radicale du latin liturgique comme « voulue par le Concile ».
C’est semblablement « au nom du Concile » que l’« esprit du Concile » fit disparaître du langage ecclésiastique et catéchétique non seulement les termes, mais aussi les notions de transsubstantiation, de consubstantialité, de saint sacrifice de la messe. On conserva les termes de « nature » et de « personne », mais en déclarant que la notion devait en être profondément modifiée, comme celle du salut apporté par Jésus-Christ. Les affirmations officielles les plus scandaleuses de l’épiscopat français, avancées tout au long des quarante dernières années sous l’invocation de l’« esprit du Concile », et jamais rétractées, manifestent bien qu’il s’agissait d’une nouvelle religion (ou, plus exactement, d’une nouvelle sous-religion).
Citons :
« La mutation de civilisation que nous vivons entraîne des changements dans la conception même du salut apporté par Jésus-Christ. »
« L’acception des mots nature et personne est aujourd’hui différente de ce qu’elle était au Ve siècle ou dans le thomisme. »
« A la messe, il s’agit simplement de faire mémoire de l’unique sacrifice déjà accompli. »
« Le droit naturel est l’expression de la conscience collective de l’humanité. »

Suffoquée sous le déluge officiel de propositions semblables, la foi de l’Eglise, sa foi bimillénaire, fondée sur l’immutabilité du Credo, du Notre Père, du Décalogue, se sentait interdite d’expression par l’« esprit du Concile ».
Benoît XVI a visé juste. 

JEAN MADIRAN
PRESENT n°5997 daté du vendredi 6 janvier 2006, p.1

Benoît XVI libère la Foi (III)
Aspects essentiels et effets collatéraux

C’est donc bien tout un « courant de pensée » qu’a récusé Benoît XVI par la bombe à retardement insérée dans son grand discours à la Curie romaine.
Il l’a récusé sous le nom que ce courant s’est lui-même donné : celui de « l’esprit du Concile », nom en principe prestigieux, mais en l’occurrence abusif et trompeur, sous lequel pendant quarante ans se sont imposés des comportements, des illusions, une idéologie en discontinuité et même en rupture ouverte avec la foi bimillénaire de l’Eglise.

L’« esprit du Concile », ce ne fut pas seulement un courant de pensée. Ce nom a été le drapeau idéologique d’un parti politico-religieux installé in sinu gremioque Ecclesiae, au sein même de l’Eglise. Fortement charpenté, au point qu’il fallut lui faire d’énormes concessions au détriment de la tradition catholique, et qu’apparemment on ne peut éviter de lui en faire encore aujourd’hui quelques-unes, mais de moins en moins, et c’est la bonne nouvelle du nouveau pontificat.

Ces concessions dramatiques, nous ne les avons pas rêvées. Nous en avons été officiellement avertis. Elles ont été publiquement reconnues. Dès le mois de juillet 1969 le cardinal Gut, alors préfet de la congrégation romaine du culte divin, le révélait :
« Ils se sont imposés. Ces initiatives prises sans autorisation, on ne pouvait plus, bien souvent, les arrêter, car cela s’était répandu trop loin. Dans sa grande bonté et sagesse, le Saint-Père [Paul VI] a alors cédé, souvent contre son gré. »
Souvent ! Bien souvent ! Cette déclaration du cardinal Gut n’a jamais été démentie ou rectifiée, Paul VI ne s’opposait pas à ce que l’on dise qu’en matière de réforme liturgique il a souvent dû céder contre son gré.

On peut retrouver cette déclaration du cardinal Gut à sa place dans la collection de La Documentation catholique, numéro 1551 du 16 novembre 1969, page 1048.
Pour que le Pape ait dû souvent céder contre son gré, il fallait que le « courant » de pensée soit puissamment organisé…

La disqualification de l’« esprit du Concile » par Benoît XVI ne résout aucune question, ne tranche aucun débat, ne règle aucune situation ? – Mais elle lève un obstacle qui était mortellement pesant, l’obstacle de la censure, de l’interdit rejetant tout ce qui était anté-conciliaire et imposant ainsi l’obligation de « repartir de zéro » et d’« aller de l’avant » sur la seule base de Vatican II. Quand le curé de la paroisse avait dit, à la messe du dimanche (ou plutôt du samedi soir) :
L’esprit du Concile fait enfin sortir l’Eglise de l’obscurantisme dans lequel elle s’enfermait jusqu’à Vatican II…
… la plupart des fidèles n’avaient plus qu’à baisser tristement la tête, « souvent contre leur gré »…

En ouvrant le concile Vatican II, le pape Jean XXIII déclarait, Benoît XVI l’a rappelé le 22 décembre, qu’il s’agissait de « transmettre la doctrine de façon pure et intègre, sans atténuation ni déformation », et « présentée d’une façon qui corresponde aux exigences de notre temps ». Ainsi est authentifiée la version vraie, à l’encontre de la version que le secrétaire d’Etat Jean Villot avait autoritairement fait prévaloir, et qui disait : « étudiée et exposée suivant les méthodes de recherche et la présentation dont use la pensée moderne », ce qui est bien différent, et cette différence marque dans son principe ce qui oppose la « foi bimillénaire de l’Eglise » à l’« esprit du Concile ».
Le commentateur de La Croix, rappelant que Benoît XVI, dès le lendemain de son élection, avait énoncé le critère de demeurer « en continuité fidèle avec la tradition bimillénaire de l’Eglise », écrivait le 23 décembre qu’il trouvait cette formule « énigmatique ». Eh bien, pas nous. 

JEAN MADIRAN
PRESENT n°5998 daté du samedi 7 janvier 2006