30 août 2005

[Viviane Ceccarelli - La Tribune de Genève] L'Eglise d'Ecône tente de renouer avec Rome - Schisme: Mgr Fellay parie sur le conservatisme de Benoît XVI

Viviane Ceccarelli - La Tribune de Genève - 30 août 2005

C'était «le schisme du XXe siècle»: la rencontre hier à Rome entre Benoît XVI et le supérieur de la Fraternité traditionaliste de Saint Pie X, quatre mois après l'élection du nouveau pape, marque, avec une éclatante discrétion, le redémarrage du dialogue. L'enjeu: l'Eglise post-conciliaire face à la tradition préconciliaire.
Trente-quatre ans de fronde
L'entretien avait été demandé par le chef de la communauté d'Ecône et successeur de Mgr Lefebvre, Mgr Bernard Fellay, requête acceptée aussitôt par Joseph Ratzinger - qui, préfet de la Congrégation de la foi lors de l'excommunication de Mgr Lefebvre en 1988, a «vécu» l'affaire de près. Les commentateurs distillaient le doute - positions trop distantes, difficultés au sein de la communauté d'Ecône. Et pourtant: après 34 ans de fronde et 17 de schisme, l'entretien, précise un communiqué du porte-parole du Vatican Joaquin Navarro-Vals, «s'est déroulé dans une atmosphère d'amour pour l'Eglise et de désir d'arriver à la parfaite communion». Non sans réalisme: «Bien que conscients des difficultés, la volonté a été manifestée de procéder par degrés et en des délais raisonnables».

Le contact a donc été repris, au plus haut niveau. Mais les difficultés viennent de loin. En 1971, la réforme liturgique voulue par Paul VI avait été rejetée par Mgr Lefebvre, au nom de la messe en latin de Pie V (concile de Trente, XVIe siècle). Puis les griefs s'étaient cristallisés: le concile, Paul VI, Jean Paul II, furent accusés d'avoir trahi l'Eglise. En 1988, Mgr Lefebvre ordonnait quatre évêques, créant ainsi une nouvelle hiérarchie: c'était le schisme, et l'excommunication. Point d'achoppement: non seulement la liturgie, mais l'œcuménisme, en particulier la grande réunion d'Assise où Jean Paul II avait convié tous les responsables religieux à prier ensemble pour la paix.

Pourquoi le tournant, aujourd'hui? Mgr Fellay l'avait suggéré lui-même aussitôt après l'élection de Benoît XVI: ce pape, disait-il, a affirmé lui-même que l'Eglise est une barque qui fait eau de toutes parts (Chemin de croix du Vendredi- Saint), il s'est élevé contre les abus de la nouvelle messe, fait l'éloge du latin et des rituels anciens, on peut penser qu'il a été élu en réaction contre le progressisme. Son élection peut constituer un espoir pour sortir de la crise profonde qui travaille l'Eglise catholique. Bref: c'est le côté «conservateur» prêté à Ratzinger qui a sans doute encouragé les Lefebvristes à reprendre le dialogue.

Peut-être aussi leurs propres difficultés, des dissensions internes, la nostalgie de l'unité. La Fraternité tentait depuis des années de renouer un dialogue direct avec Jean Paul II, organisant des conférences de presse sous les fenêtres du Vatican, mais sans succès. L'opposition interne se manifestait aussi: l'un des quatre évêques consacrés par Mgr Lefebvre, Richard Williamson, a invité dans une lettre la Fraternité à ne pas céder, dit-on de bonne source. Mais dans le même temps, des jeunes du groupe Juventutem liés à la Fraternité ont participé aux Journées mondiales de la jeunesse à Cologne…
Respecter l'orthodoxie
La Fraternité souhaiterait obtenir l'annulation des excommunications et le droit de dire la messe en latin sans autorisation préalable, dit-on. Mais même en cas d'accord, déclare l'abbé Marc Nely, supérieur de la Fraternité italienne d'Albano, «nous ne pourrions pas ne pas continuer à dénoncer les erreurs. Notre rôle est de veiller pour faire respecter l'orthodoxie».

Plus sérieusement, la question est de savoir si l'Eglise doit choisir le repli sur le passé, ou l'ouverture à l'autre.
Une Eglise dissidente
Ils étaient ensemble au Concile: Joseph Ratzinger, jeune théologien accompagnant le cardinal de Cologne Frings, et Mgr Lefebvre, archevêque de Dakar, chef de file des traditionalistes. L'un est devenu pape il y a quatre mois, l'autre a rompu avec l'Eglise, fondé une église parallèle et été excommunié. Le schisme a commencé avec le «non placet» (non) voté par Mgr Lefebvre au concile contre le décret sur la liberté religieuse. Il s'est développé en 1971 avec le refus de la réforme liturgique (messe en langue vulgaire, prêtre face au peuple) voulue par Paul VI. Il s'est concrétisé en 1988 avec la consécration de quatre évêques, en dépit des appels répétés de Jean Paul II.

Fondée à Ecône, la Fraternité de Saint Pie X devenait ainsi une Eglise dissidente, et son chef Mgr Lefebvre tombait sous le coup de l'excommunication - puisqu'il s'était placé, expliquait-on au Vatican, en dehors de la communauté ecclésiale. Mgr Lefebvre devait mourir en 1991, non réconcilié avec Rome qu'il taxait de trahison.

Dans une Europe alors en voie de déchristianisation, les exigences et la rigueur de l'ancien archevêque de Dakar exercèrent un attrait sur certains jeunes en quête d'absolu. Aujourd'hui en chiffres, la communauté compte quelque 500 000 fidèles, présents dans 59 pays, six séminaires, deux instituts universitaires. Mais certains ont choisi de rallier l'Eglise catholique - notamment au Brésil -, et des contacts discrets se sont poursuivis avec le responsable de la congrégation pour le clergé, le cardinal Dario Castrillon Hoyos, présent à l'entretien avec Benoît XVI.

V.C.

Un signe d'espoir en Valais
 
Le début d'un dialogue. La rencontre entre le pape Benoît XVI et le supérieur de la Fraternité St-Pie X Mgr Bernard Fellay est un signe d'espoir pour l'évêché de Sion. Ce n'est toutefois que le début d'un dialogue et l'évêché attend la suite.

L'unité des chrétiens. «Nous prions toujours pour l'unité des chrétiens», a déclaré hier le vicaire épiscopal Bernard Broccard. «Si un moyen de réconciliation est trouvé nous ne pourrons que nous en réjouir, il faut toujours garder l'espérance», a-t-il ajouté.

Nouvelle tentative. La Fraternité Saint-Pie X, qui compte des adeptes en Valais où elle a un séminaire basé à Ecône, avait été excommuniée par le pape Jean Paul II en 1988. Chaque tentative de renouer le dialogue avait depuis été vouée à l'échec. (ats)