28 août 2005

[Abbé Daniel vd - Le Forum Catholique] Le défi d'un retour à la dépendance hiérarchique

SOURCE
- Abbé Daniel vd - Le Forum Catholique - 28 août 2011

Le défi d'un retour à la dépendance hiérarchique … romaine

Chers liseurs,

Il est vrai qu'il peut sembler oiseux de trop parler avant un évènement comme la rencontre entre le Saint Père et Mgr Fellay. Mais permettez que ce Forum reste un lieu de discussion, de pensée à haute voix, et que l'on ne se censure pas toujours soi-même alors que l'on peut porter un certain témoignage. Encore canoniquement prêtre de la Fraternité Saint Pie X, mais surtout connaissant de nombreux confrères, voyant de l'intérieur des clivages au sein de cet institut, mon témoignage se veut simple.

Voici la question fondamentale : notre salut et les moyens surnaturels de l'assurer sur cette Terre.
Comment accéder à la Révélation, à la connaissance du Jésus pour l'aimer et aller vivre avec Lui pour l'éternité bienheureuse ? On peut répondre : toujours par la grâce bien sûr, par la grâce particulière d'être baptisé enfant, par la prédication de l'Evangile sans ambiguïté, par les exemples de saintes personnes catholiques, par une sainte Liturgie qui donne Jésus Victime Hostie Ressuscitée, par le chapelet, par des retraites spirituelles, par des écoles catholiques …

La crainte de ne pas se sauver, de ne pas répondre à l'amour de Dieu, de ne pas légitiment profiter de la belle récompense qu'Il promet aux âmes de bonne volonté, est l'origine de nos choix les plus profonds. Même si nous protestons de notre désintéressement dans l'œuvre du salut, dans l'amour de Dieu, cette protestation de gratuité est un peu surfaite et n'est même pas demandée par Notre-Seigneur. Ses promesses nous poussent à l'aimer, c'est bien, ne faisons pas semblant de ne pas en profiter : pour Dieu, c'est une joie de nous rendre heureux. Nous serons dans ce bonheur pour l'éternité : Dieu le veut après sa gloire et la justice.

Or, c'est bien au nom de ce salut, et des moyens de se sauver que les catholiques traditionalistes ont vu le jour. Ils ont eu peur légitimement que les nouveaux moyens offerts par les hommes d'Eglise acquis au progressisme ne soient plus aptes à transmettre la grâce, la foi, le salut. La messe a changé, les sacrements ont changés, les aménagements intérieurs des églises ont changés, la vie régulière et pieuse des séminaires a changé. Un Concile ambigu, un 1789, la Révolution dans l'Eglise, mai 68 … Ces images d'Epinal ne sont pas surfaites : plus de vocations, des églises de campagne désertes, des messes de ville pleines mais par regroupement d'horaires ...
Tout le monde le reconnaît maintenant. Le Cardinal Lustiger disait dans les années 80 qu'il fallait siffler la fin de la récréation.

Alors la réaction d'un Mgr Lefebvre, d'un abbé Coache, d'un Mgr Ducaud Bourget se comprend tout à fait : le souci du Bon Pasteur. Assurer de bons pâturages, des herbes non toxiques, des moyens de salut : une Messe recueillie, digne du Sacrifice, la confession libératrice de nos petites ou grandes misères, le catéchisme complet, le souci de convertir plutôt que de trouver les « points communs », …

Qu'on le veuille ou non, le sacre des quatre évêques par Mgr Lefebvre a été un acte prudent. Il a permis aux catholiques perplexes de trouver une certaine assurance. Ils voulaient avoir des prêtres pour eux et leurs enfants Or pour avoir des prêtres, il faut des évêques. Ils voulaient la Foi, sans ambiguïté, avec les moyens de salut de toujours : connaître Jésus Sauveur de tous les hommes, vrai Dieu et vrai Homme, et non pas un sage proche du peuple comme il est enseigné encore dans des séminaires. Caricature ? Non, réalité des progressistes les plus délirants.

Si les hommes d'Eglise sont froids pour ordonner des prêtres traditionnels, et si même les bons évêques « conservateurs » reculent devant la pression d'un clergé progressiste qui ne veut pas reconnaître son échec, il fallait bien répondre à l'inquiétude des fidèles « qui se rendaient compte ».

Cette audace a tout de même effrayé de vrais traditionalistes attachés à obtenir des évêques les meilleurs moyens de salut. Ils ont voulu se battre avec les moyens du bord, face aux évêques. Ces prêtres sous indult, la Fraternité Saint Pierre, les instituts Ecclesia Dei ont donc pris ce risque de la dépendance hiérarchique même paralysante. C'est un certain risque, un certain courage. Même s'ils auraient pu éviter de crier avec les loups et de recourir aux accusations systématiques de schisme.

En effet, Mgr Lefebvre n'a eu aucune intention schismatique. Il a voulu garantir les moyens de salut. Or le salut est ce qui nous est le plus cher. Nous avons peur de ne pas nous sauver si nous pactisons avec le danger, l'erreur, le relativisme. Ils ont réclamé le cas de nécessité, invoque la juridiction de suppléance provenant du fidèle demandeur. Malheureusement, la Fraternité Saint Pie X et ses fidèles ostracisés, mis de côté, a été méprisée.
Mais elle a fini aussi par attaquer ceux qui lui reprochaient sa méfiance et ses moyens de défense : les ordinations par des évêques sans juridiction, l'installation sans autorisation épiscopale de centres de messe. Ce furent les sobriquets de traîtres, de ralliés …
Que voulez-vous ? Elle a peur que ses fidèles se perdent au contact des erreurs et ambiguïtés modernistes. C'est légitime. Les exemples des mauvais catéchismes, des absolutions collectives systématiques, des hosties considérées comme du pain, d'un Mgr Gaillot caricatural si longtemps tolérés, les réunions œcuménistes syncrétistes …

MAIS A QUEL MOMENT LA CONFIANCE VA-T-ELLE REVENIR ?
On peut bien comprendre ces traditionalistes de 1970. Ils ont peur pour leurs enfants, pour le bonheur éternel. Baisser la garde et se faire piéger après tant d'années de résistance ? La petite Eglise de Vendée, de Bretagne, n'a pas accepté le concordat avec Napoléon, n'a pas répondu aux appels de Pie XII.

Sur ce retour à la dépendance hiérarchique, il n'est pas très original d'écrire qu'il y a au sein de la Fraternité Saint Pie X, des durs, des ultras, des « rigoristes » (terme employé par M. l'abbé de Caqueray, bien conscient des excès de certains, alors même que lui-même se veut assez strict), et des modérés. Tous ces prêtres et fidèles ont une intention droite de servir l'Eglise, de sauver les âmes et de se préserver de l'erreur.

On reconnaît simplement les « durs » à leur prédication fréquente sur la Crise de l'Eglise, sur la mise en garde doctrinale et souvent morale. L'image d'Epinal est ce prêtre qui prêche sur la tenue vestimentaire, et a placé un panneau très explicatif à l'entrée de la chapelle. A l'occasion du décès de Jean-Paul II, ces « durs » n'ont pas obéi à l'ordre de discrétion et ont souvent tout de suite fait un bilan assez sombre de ce pape. Ils ont ensuite mis en garde les fidèles contre un certain enthousiasme, du moins une assez forte espérance (plus qu'une lueur) qu'a fait naître l'élection de Benoît XVI. Ils ont fait immédiatement des sermons en ce sens, écrit des articles comme celui du Combat de la Foi de Monsieur l'abbé Pivert qui va placer cinq fois la photo de l'ancien Cardinal Ratzinger aux côtés de la femme évêque luthérienne.

Les dominicains d'Avrillé sont de ces traditionalistes inquiets qui pensent que la confiance n'est pas de mise. Ce serait baisser la garde, pactiser, trahir avec des hommes plongés dans une mauvaise philosophie, gnostiques peut-être, en tout cas sous influence du complot. Quand Monsieur l'abbé Beaublat, toujours prieur de Grenoble, traitait le Cardinal Castrillon Hoyos d' « engeance de vipère » dans son éditorial de décembre 2004, il ne faisait que rappeler cette profonde défiance.
En 2005 encore, Renaissance Catholique, les Scouts sont accusés de na pas entièrement prendre leur aumônerie dans la Fraternité Saint Pie X.
Il est vrai que nous sommes dans une certaine caricature pour clarifier les positions, mais au-delà de prêtres connus, il en est de plus discrets qui sont tout aussi inexorables. Il va même exister une chasse interne aux libéraux. La querelle récurrente entre le Sel de la Terre et Monsieur l'abbé Grégoire Célier, directeur des éditions Clovis de la Fraternité Saint Pie X, est un épiphénomène de cette course au plus pur. Les abbés Christophe Héry et de Tanouärn avec leur liberté de plume exaspèrent au plus haut point ces « durs », qui voulaient leur éviction. La crise des séminaires ne fut qu'un prétexte.

Mais à côté de ces inimitiés souvent unilatérales car les spéculatifs attaqués regardent rarement dans le jardin du voisin, il y a un véritable pessimisme doctrinale et morale qui donne une forte méfiance de tout ce qui est étranger à la Tradition, et finalement surtout de tout ce qui est étranger à la Fraternité Saint Pie X.
Un des exemples récents de novembre 2004 fut ce propos de Monsieur l'abbé Pivert lors d'une réunion de vingt prêtres, Monsieur l'abbé de Caqueray présent. Il serait bon de refuser les parrains de baptême « Saint Pierre » et leur préférer des baptisés non pratiquant. Le supérieur du District n'a rien dit mais des confrères se sont indignés.

Remarquez encore une fois que l'intention est le SALUT DES ÂMES.
Monsieur l'abbé Pivert, avec ses œuvres de jeunesse et ses retraites, les dominicains d'Avrillé avec leurs publications se battent contre l'hérésie, contre l'indifférence religieuse encouragée de fait par des groupes de pression maçonniques et autres …

Mais cette défiance est très profonde et peut aller jusqu'à l'excès.

Mgr Fellay est plutôt un pragmatique. Il ne veut pas l'éclatement de la Fraternité. Les modérés prêts tout au moins aux négociations avec Rome se sont pas à craindre. Les « durs » eux, feront du scandale. Un prêtre dur comme Monsieur l'abbé de Jorna, connu pour son pessimisme sur la nature humaine (d'où les renvois secs), mais moins connu pour ses positions doctrinales très sévères, considère que la situation est irrattrapable : les esprits sont trop tordus. La réconciliation est utopique. Il ne restera pas silencieux, pas plus qu'un abbé Pivert.
COMPRENONS LES, ils ont peur pour l'enseignement droit des moyens de salut. Si effectivement le venin moderniste ne peut sortir des veines des évêques conciliaires, il y a un terrible danger, et pas même un piège : ils ne pourront pas s'empêcher d'être modernistes.

MAIS le problème de tels raisonnements, c'est la véritable impasse qu'ils représentent : la Fraternité Saint Pie X et ses amis est le seul groupe non tordu philosophiquement. Elle va donner la Vérité qui sauve, tandis que le clergé conciliaire est impuissant.

OR, les « modérés » savent bien qu'à côté des soixante-huitards, des progressistes même plus fins, il y a des prêtres, et de plus en plus de jeunes prêtres qui retournent à la Tradition sans forcément célébrer la Messe en latin, et réserver la communion aux mains consacrées. Ils croient dans le Sacrifice de la Messe et en la présence réelle, ils confessent individuellement …

LA QUESTION EST ALORS LA SUIVANTE :
A quel moment faire la jonction hiérarchique ? A quel moment partager avec ce clergé conservateur la reconquête difficile sur des curés « progro », des évêques encore progressistes. A quel moment porter le combat à nouveau sur les concessions de paroisses et de ministère ?

Si Benoît XVI trouve la force par les prières et les sacrifices des prêtres et des fidèles, de soutenir les traditionalistes, alors nous aurons envie de nous jeter dans le combat rapproché, le corps à corps dans la plaine.
MAIS Benoît XVI pourra ne pas accepter les hésitations de la Fraternité Saint Pie X et faire un appel aux âmes, aux prêtres : « Faites-moi enfin confiance. Je veux votre aide ».
TOUTEFOIS, il faudra bien certaines garanties même pour les modérés qui ne voudront pas brader tant d'années de résistance …

Il sera difficile de quitter le confort du franc-tireur, de celui qui a pris l'habitude d'un ministère sans entrave. AUMÔNIER DE TRADI pour toujours ??? Les « durs » ne veulent pas prendre un risque mortel. Ils menaceront de scission …

Veuillez prier le Saint Esprit pour tous ….

In Caritate