7 juin 2004

[Aletheia n°58] Vers un Patriarcat ukrainien

Aletheia n°58 - 6 juin 2004
Vers un Patriarcat ukrainien
Mgr Slipyi, archevêque de Lviv, grande figure de l’Eglise catholique ukrainienne du XXe siècle, connut pendant dix-huit années, de 1945 à 1963, les prisons et les camps soviétiques avant d’être libéré au moment du concile Vatican II. Depuis sa libération, il demandait avec insistance que le Saint-Siège reconnaisse l’archevêché majeur de Lviv comme un patriarcat. Le 23 octobre 1971 – une de ses multiples interventions parmi d’autres –, prenant la parole devant le IIe Synode des évêques réuni à Rome par Paul VI, il déclarait avec quelque amertume :
Les communistes ont cruellement détruit l’Eglise ukrainienne en incarcérant toute sa hiérarchie et en l’annexant de force à l’orthodoxie. Cette grave injustice est encore actuelle. Les Ukrainiens catholiques sont encore persécutés sans être défendus par personne… Le régime soviétique nous a obligés à revenir aux catacombes pour célébrer la liturgie… Des milliers de fidèles d’Ukraine sont encore incarcérés ou déportés. Aujourd’hui, pour la diplomatie ecclésiastique, les Ukrainiens catholiques sont considérés comme gênants. Le Vatican est intervenu pour intercéder en faveur des catholiques latins, mais il s’est tu sur les six millions d’Ukrainiens persécutés… La création du patriarcat ukrainien proposée au Concile Vatican II a été refusée.
Il lui semblait que la reconnaissance d’un Patriarcat ukrainien était sacrifiée au nom de l’Ostpolitik.  Aujourd’hui, alors que le cardinal Slipyi est mort en 1984, il pourrait sembler que cette même demande n’aboutit pas, non pour des raisons canoniques ou théologiques, mais pour ne pas contrarier la politique œcuméniste en direction des orthodoxes.
Dans un livre qui vient de paraître, le P. Augustyn Babiak fait le point sur la question[1]. Le P. Babiak, prêtre gréco-catholique né en Pologne d’une famille ukrainienne, exerce son ministère auprès des catholiques ukrainiens en France et en Europe. Docteur en théologie, il a publié ces dernières années deux livres historiques importants. L’un, auprès de l’Université Catholique de Lyon : Le Métropolite André Cheptytskyi et les synodes de 1940 à 1944 (1999, 790 pages) ; l’autre, auprès de l’Université Catholique ukrainienne de Rome, Les Nouveaux martyrs ukrainiens du XXe siècle (2001, 635 pages).
Significativement, son troisième livre, qui est fondé sur des archives inédites d’une grande importance, notamment la correspondance échangée entre le cardinal Slipyi et le Saint-Siège dans les années 1970-1980, n’a pu trouver d’éditeur. Le P. Babiak a dû l’éditer à compte d’auteur.
Il entend montrer la pertinence de l’établissement de l’Eglise d’Ukraine en patriarcat. Il le fait d’un quadruple point de vue : historique, théologique, canonique et pastoral.
Si, avec les premiers conciles œcuméniques, cinq patriarcats ont été définis dans un ordre hiérarchique bien fixé : Rome, Constantinople, Antioche, Jérusalem, Alexandrie, la suite de l’histoire de l’Eglise a vu le titre de patriarche accordé aux chefs de plusieurs Eglises catholiques orientales.
Le P. Babiak montre comment d’Urbain VIII à Léon XIII, en passant par Grégoire XVI et Pie IX, plusieurs papes ont considéré positivement l’élévation du métropolite de Kiev-Halytch à la dignité de patriarche.
Sans faire référence explicitement aux gréco-catholiques, le concile Vatican II, dans le décret sur les Eglises orientales, a admis la légitimité d’instaurer de “ nouveaux patriarcats  (…) lorsque cela est nécessaire ” ; leur institution étant réservée au concile œcuménique ou au Pontife romain. Le même décret définissait un patriarche comme “ un évêque qui a juridiction sur tous les évêques y compris les métropolites, sur le clergé et les fidèles de son territoire ou de son rite, selon les normes du droit et restant sauve la primauté du pontife romain ”.
“ …de son territoire ou de son rite ”, la précision est importante puisqu’elle permettra au cardinal Slipyi de demander l’érection d’un Patriarcat ukrainien qui placerait sous une juridiction unique non seulement les gréco-catholiques d’Ukraine mais aussi les très nombreux gréco-catholiques ukrainiens exilés dans le monde et organisés, déjà, avec des évêques ou exarques à leur tête.
Depuis sa libération du Goulag jusqu’à sa mort, le cardinal Slipyi réclamera avec insistance l’instauration de ce Patriarcat. Auprès de diverses instances (Congrégation pour les Eglises orientales, Secrétairerie d’Etat, et auprès du Pape lui-même), il renouvellera, dans des lettres argumentées, sa demande. Le P. Babiak publie de larges extraits de ces lettres et aussi, ce qui est très intéressant, les réponses reçues.
Si la hiérarchie ukrainienne se montra, parfois, provocatrice – le P. Babiak ne le cache pas –, les autorités romaines, elles aussi, se montrèrent, parfois, maladroites. Ainsi, en 1971 l’Exarchat apostolique pour les fidèles ukrainiens de rite byzantin résidant au Brésil fut transformé, par le Saint-Siège, en un diocèse placé sous la dépendance de la Congrégation pour les Eglises orientales, mais le premier évêque consacré, Mgr Kryvyi, le fut dans le rite latin et le nouveau diocèse était suffragant de l’archevêque (latin) de Curitiba !
À défaut de se voir reconnu le titre et la fonction de Patriarche, Mgr Slipyi avait été nommé “ archevêque majeur ” en 1963 puis créé cardinal en 1965. Paul VI, s’il refusa toujours d’accéder à la demande principale du cardinal, accepta finalement, et non sans réticences, que se réunisse régulièrement le “ synode permanent ” de l’épiscopat ukrainien.
Jean-Paul II fut le premier Pape à rendre un juste hommage à l’Eglise ukrainienne et à ses martyrs : dès 1979, avec en point culminant la béatification solennelle de vingt-huit martyrs ukrainiens en 2001. Il n’a pas encore, à ce jour, satisfait la demande que le successeur du cardinal Slipyi, le cardinal Husar, a réitérée. Celui-ci estime que le patriarcat est une “ forme normale d’existence de la tradition byzantine et orientale ” et serait “ un développement de la structure de l’Eglise  [ukrainienne] ”.
L’ouvrage du P. Babiak a été achevé d’imprimer, en Ukraine, le 11 avril 2004 et commence tout juste à être diffusé. Par une heureuse coïncidence, Jean-Paul II, alors que le synode permanent de l’Eglise gréco-catholique d’Ukraine est réuni à Rome depuis le 1er juin, a semblé faire un pas important vers ce que souhaitent les évêques ukrainiens puisqu’il a dit partager “ par la prière et aussi par la souffrance ” leur aspiration. Il a dit attendre “ le jour fixé par Dieu ” pour confirmer, en tant que Successeur de saint Pierre, le “ développement ecclésial ” que tous les Ukrainiens espèrent et réclament.
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La guerre picrocholine
La controverse suscitée par le livre signé Paul Sernine, paru en novembre dernier[2], n’a guère fait avancer la question sur le fond. Les principaux reproches faits au livre sont d’ordre méthodologique. Dans un article signé Dominicus, la revue Le Sel de la terre, estime qu’il s’agit d’une “ mauvaise querelle ”[3]. Dominicus estime que Paul Sernine “ a falsifié la pensée des autres, n’a pas exprimé sa propre pensée sur ses sujets, a enfermé le débat dans un dilemme absurde et ajouté d’inutiles querelles de personnes (tout en protestant du contraire). Il faudrait repartir sur de meilleures bases. ”
La principale “ falsification ” relevée par Le Sel de la terre est une citation extrapolée. Dans un de ses ouvrages, Etienne Couvert écrit que pour comprendre certaines œuvres de Victor Hugo “ il y a une clé… et c’est la Gnose ”. Paul Sernine a généralisé cette affirmation : “ En toute erreur “ il y a une clé…et c’est la gnose“ ”.  Dominicus estime : “ La phrase en question n’a jamais été prononcée en l’état par M. Couvert et ne correspond même pas à sa pensée. ”
La revue des religieux d’Avrillé estime, à juste titre, que cette controverse sur la gnose ne doit pas devenir “ un véritable affrontement qui distrairait du combat principal ” : “ le combat contre le néo-modernisme qui cherche à détruire l’Eglise de l’intérieur, la formation d’intelligences vraiment catholiques, le soutien spirituel des pères et des mères de famille voulant éduquer chrétiennement leurs enfants nous paraissent beaucoup plus importants. ”
Si la revue Le Sel de la terre se refuse aux querelles de personnes, il n’en est pas de même d’autres publications. Par exemple, depuis quelques semaines se diffuse, sous forme de brochure ou sur internet, un texte anonyme de 53 pages, intitulé Leçon de gnose. L’auteur, courageusement anonyme, de cette brochure publiée sans nom d’éditeur, ni lieu de publication, entend montrer que la gnose est l’ “ ennemi traditionnel de l’Eglise ”. Il prétend aussi dénoncer, “ par les documents ”, dit-il, “ les infiltrations gnostiques actuelles dans la Tradition catholique” . Cette seconde partie nous vaut des chapitres, plus ou moins abondants, intitulés : “ Dom Gérard gnostique ? ”, “ La double vie de Monsieur Yves Chiron ”, “ L’abbé de Tanoüarn est-il gnostique ? ”, “ L’abbé Célier [sic] est-il gnostique ? ”.
Quel crédit accordé à un auteur, courageusement anonyme (à moins qu’ils ne soient plusieurs), qui croit que le grand Olier est gnostique, qui s’imagine que Pacte est un “ magazine ”, qui s’obstine à écrire “ Etait t’il ” [sic], etc. ?
Quant aux huit pages qui me concernent – “ La double vie de Monsieur Yves Chiron ” –, je pourrais répondre comme l’avait fait le grand antilibéral, le Père Emmanuel Barbier : “ je fais comme l’honnête homme qui, dédaignant les fausses imputations, trouve plus simple de déployer grand ouvert le livre de sa vie ”[4]. Quand le courageux anonyme – pour éviter les procès en diffamation ? – affirme : “ Monsieur Chiron a des contacts avec les loges maçonniques, au moins les loges féminines ”, je pourrais lui répondre que les seules loges que j’aie jamais fréquentées sont celles des concierges des immeubles parisiens où j’ai habité jadis : rue du Cloître-Notre-Dame, à l’ombre de Notre-Dame, puis rue Cail...
En fait, le véritable cours de ma vie quotidienne, ma supposée “ double vie ”, les lecteurs les moins mal intentionnés savent qu’ils la trouveront dans les quatre petits livres qui me tiennent le plus à cœur : Journal de Saigon et du Mékong (1994), Voyage vers Cyprien (1998), Nos enfants de Lituanie (2002) et Ma Mère (2003). Livres qu’ignorent les courageux anonymes de la guerre picrocholine.
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Avis aux lecteurs
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1. La revue Lectures françaises, n° 562, en février 2004, a annoncé la parution d’un ouvrage de Robert Faurisson, intitulé, dit-elle, Pie XII, révisionniste ?, et elle en a donné le résumé. Un tel livre n’existe pas. Existe en revanche un livre de Robert Faurisson intitulé Le révisionnisme de Pie XII.
Aletheia avait présenté cet ouvrage dans son n° 45, le 8 septembre 2003. L’article qui présentait cet ouvrage était intitulé “ Pie XII, révisionniste ? ”. Le rédacteur, trop pressé, de Lectures Françaises, a cru qu’il s’agissait du titre du livre, donné pourtant dans la suite de l’article qu’il s’est contenté de résumer. Le rédacteur-“ utilisateur ” aurait dû être plus attentif et il aurait mieux fait de mentionner sa source d’informations.
2. L’auteur d’un essai récent, et fort pertinent, sur la laïcité, reproduit, sur une pleine page, un texte d’Alain de Benoist. Il donne comme référence : La “ nouvelle évangélisation ” de l’Europe. La stratégie de Jean-Paul II, Arianna Editrice, p. 100. Le lecteur, curieux, qui voudrait consulter cet ouvrage, aura bien du mal à se le procurer puisqu’il n’existe pas ! Le livre n’existe que dans sa version italienne, publiée, à Casalecchio, près de Bologne,  sous le titre La “ nuova evangelizzazione ” dell’Europa. La strategia di Giovanni Paolo II.
Aletheia avait présenté cet ouvrage dans son n° 47, le 18 octobre 2003, donnant notamment, en version française, la citation telle que l’a reproduite intégralement notre auteur. Il aurait mieux fait de donner le titre exact de l’ouvrage et de mentionner sa source d’informations.
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[1] Augustyn Babiak, De la légitimité d’un Patriarcat ukrainien, Lyon, avril 2004, 223 pages. Disponible chez l’auteur : Augustyn Babiak, 155 rue de Vendôme, 69003 Lyon.
[2] Paul Sernine, La Paille et la poutre – à propos de la “ gnose ”, éditions Servir (15 rue d’Estrées, 75007 Paris), 219 pages, 15 ¤.
[3] Dominicus, “ La mauvaise querelle de Paul Sernine ”, Le Sel de la terre, n° 48, printemps 2004, p. 215 - p. 242 (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé, 14 euros le numéro).
[4] P. Emmanuel Barbier, Allocutions de collège. Mon crime, Librairie Ch. Poussielgue, 1901, p. 5.