16 avril 2002

[Aletheia n°28] Mgr Brincard et la franc-maçonnerie - et autres textes

Aletheia n°28 - 16 avril 2002
  • Mgr Brincard et la franc-maçonnerie

  • Les évêques de France et la franc-maçonnerie

  • À propos du RP Vieira

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Mgr Brincard : “ Il faut combattre la franc-maçonnerie ”

Mgr Henri Brincard, évêque du Puy-en-Velay, a été interrogé sur la franc-maçonnerie par la radio RCF-Le Puy. Ses réponses s'affichent aussi sur le site internet du diocèse.

Au cours des dernières décennies, la Congrégation pour la doctrine de la foi a rappelé aux catholiques que l'appartenance à un mouvement maçonnique était contraire à la foi chrétienne. J’aimerais savoir pourquoi toutes ces réserves face à la franc-maçonnerie ?

Votre question est courageuse. Avant d'y répondre, je voudrais faire, en guise de préliminaire, les remarques suivantes :

1) Il arrive que des hommes soient bien meilleurs que les doctrines auxquelles ils adhèrent. Il faut s'en souvenir lorsque nous rencontrons des francs-maçons. En revanche, c'est toujours le contraire qui se produit lorsqu'il s'agit de l'Evangile. L'Evangile est plus grand que celui qui le professe. Nous comprenons dès lors pourquoi la première vertu chrétienne est celle de l'humilité.

2) Au cours d'un dialogue, il convient de rejoindre le cœur profond de son interlocuteur. Dans ce cœur, en effet, il y a des aspirations qu'une fausse doctrine ignorera. C'est encore le cas des francs-maçons.

3) Les origines historiques de la franc-maçonnerie sont obscures. Dans le cadre de notre émission, je ne puis m'attarder sur elles. Pour éclairer mon propos, il suffit de dire que la franc-maçonnerie, telle qu'elle apparaît au début du XVIII e siècle, ne peut revendiquer sérieusement une filiation avec certaines corporations médiévales, par exemple, avec celle des tailleurs de pierres. De telles corporations, en effet, étaient d'inspiration chrétienne. Or les constitutions d'Anderson de 1723, texte de référence pour tous les francs-maçons, ne comportent plus la moindre référence au Dieu en Jésus-Christ, révélation reçue, gardée et transmise par l'Eglise fondée sur les apôtres envoyés par le Ressuscité prêcher au monde l'Evangile du salut. Un orfèvre en la matière, Jacques Mitterrand - qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme célèbre, François Mitterrand - l'affirme nettement dans un livre où il explique les principes fondamentaux de la franc-maçonnerie.

Et maintenant, j'en viens à la question souvent posée : “Peut-on être catholique et franc-maçon“ Je réponds clairement : non ! La déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, déclaration engageant fortement l'autorité de l’Eglise, est sans ambiguïtés sur ce point. Elle est du 26 novembre 1983, signée par le cardinal Ratzinger, préfet de cette Congrégation, et dit ceci : "On a demandé si le jugement de l'Eglise sur les associations maçonniques était changé étant donne que dans le nouveau Code de droit canonique, il n'en est pas fait mention expresse comme dans le Code antérieur. Cette Congrégation est en mesure de répondre qu'une telle circonstance est due aux critères adoptés dans la rédaction qui a été suivie aussi pour d'autres associations également passées sous silence parce qu'elles sont incluses dans des catégories plus larges. Le jugement négatif de l'Eglise sur les associations maçonniques demeure inchangé parce que leurs principes ont toujours été considérés comme inconciliables avec la doctrine de l'Eglise et l'inscription à ces associations reste interdite par l'Eglise. Les fidèles qui appartiennent aux associations maçonniques sont en état de péché grave et ne peuvent accéder à la sainte communion. Les autorités ecclésiastiques locales n'ont pas compétence pour se prononcer sur la nature de ces associations maçonniques par un jugement qui impliquerait une dérogation à ce qui a été affirmé ci-dessus. Le Souverain Pontife Jean-Paul II, dans l'audience accordée au cardinal Préfet, a approuvé cette déclaration.“

Cette déclaration a été précédée par une autre, non moins claire, cette fois de la conférence épiscopale allemande. Faite en 1981, elle est cependant peu connue. C'est pourquoi j'invite mes auditeurs à la lire dans la Documentation catholique (n° 1807). On y développe longuement l'incompatibilité fondamentale entre la doctrine de la maçonnerie et les enseignements de l'Evangile.

Et qu'en disent les francs-maçons ?

La franc-maçonnerie reconnaît elle-même cette incompatibilité. J'en veux pour preuve ce que dit à ce sujet Paul Gourdeau, ancien Grand Maître du Grand Orient de France. Écoutons son message : "Ce qu'il est aujourd'hui important de comprendre, c'est que le combat qui se livre actuellement conditionne l'avenir, plus encore le devenir de la société. Il repose sur l'équilibre de deux cultures : l'une fondée sur l'Evangile et l'autre sur la tradition historique d'un humanisme républicain. Et ces deux cultures sont fondamentalement opposées : ou la vérité est révélée et intangible d'un Dieu à l'origine de toutes choses ou elle trouve son fondement dans les constructions de l'Homme toujours remises en question parce que perfectibles à l'infini. De cette bataille perpétuelle recommencée avec vigueur depuis quelque temps, Malraux disait hier que le XXIe siècle serait religieux ou ne serait pas. C'est à cette affirmation, c'est à ce défi qu'il nous appartient de répondre!“ (Humanisme, n° 193, octobre 1990).

Faire dire à la franc-maçonnerie ce qu'elle n'a jamais pensé, c'est à l'évidence faire preuve d'une naïveté nourrie d'ignorance, c'est confondre sentimentalisme et générosité. Mais Gustave Le Bon ne disait-il pas déjà : "Beaucoup d'hommes sont doués de raison, très peu de bon sens".

Pourtant, certains se revendiquent d'une double appartenance : à l'Eglise et à la franc-maçonnerie ?

Je suis bien conscient que ce que je viens de dire ne plaît pas à tout le monde. Je n'ignore pas non plus qu'un illustre jésuite, le père Riquet - pour ne pas le nommer - a défendu une position différente de celle de l'Eglise. Il l'a même fait connaître dans un livre publié peu de temps avant son décès. À titre personnel, j'ai de l'estime pour le père Riquet. Je rends hommage à son courage pendant la Deuxième guerre mondiale. C'est sans doute, un religieux exemplaire sous beaucoup de rapports. Mais à propos de la franc-maçonnerie, il s'est gravement trompé, probablement abusé par des amitiés nouées en des circonstances difficiles et par une bonne dose de naïveté. À ce propos, il est salutaire de se souvenir que si instruits que nous soyons, nous demeurons fragiles, exposés à de nombreuses erreurs. Un lecteur attentif découvre sans peine que le père Riquet fait preuve de beaucoup de crédulité, par exemple, lorsqu'on affirme que le symbolisme de la franc-maçonnerie peut conduire à la découverte de Jésus-Christ ! En revenant à votre question initiale, je tiens à ajouter que les évêques, et moi le premier, nous sommes la voix de l'Eglise dans la mesure où nous agissons en communion les uns avec les autres autour du "serviteur des serviteurs" qu'est le pape. La déclaration de la Congrégation pour la Doctrine de la foi est une déclaration qui doit éclairer notre action pastorale.

Après tout ce que vous venez de nous dire, Père évêque, quelle attitude doit-on avoir à l'égard des francs-maçons ?

Ma réponse est celle-ci : la franc-maçonnerie constitue un défi qu'il faut relever sereinement et courageusement. Certes, il ne faut pas exagérer l'influence de la franc-maçonnerie ; il ne faut pas, non plus, la sous-estimer. L'attitude d'un catholique agissant en cohérence avec sa foi doit, me semble-t-il, être la suivante : d'abord la clairvoyance. Cela signifie connaître avec exactitude les véritables objectifs que poursuit la franc-maçonnerie. Ensuite, le désir d'approfondir sans cesse la foi chrétienne. L'ignorance est grand ennemi de la foi. Enfin, la résolution de suivre de plus en plus fidèlement Jésus-Christ. L'exemple est plus convaincant que la parole.

Et voici le mot de la fin : notre vraie force est de prendre appui sur Jésus-Christ Lui seul peut changer les cœurs. C'est pourquoi, autant il faut combattre la franc-maçonnerie en rappelant qu'elle est une forme particulièrement nocive de "gnose", autant il faut poser sur les francs-maçons un regard d'espérance, regard né d'une authentique charité, car "rien n'est impossible à Dieu" !

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Les évêques de France et la franc-maçonnerie

. Cette intervention, la plus ferme qu'on ait entendue en France de la part d'un évêque depuis des décennies, peut être perçue comme un certain changement dans l'attitude de l'épiscopat français face à la franc-maçonnerie. D'après diverses sources, la Conférence épiscopale française a abordé à plusieurs reprises ces dernières années, à huis clos, cette question. Les multiples offensives laïcistes de ces dernières années autant que l'attirance de certains catholiques pour la franc-maçonnerie (notamment celle de la GLNF) incitent nombre d'évêques de France à réagir.

L'épiscopat est, sans aucun doute, divisé sur la position à adopter et sur la forme de la réaction. Une déclaration commune en forme de -condamnation solennelle est, semble-t-il, à exclure. En revanche, il est prévu des "initiatives" et des "interventions", personnelles ou collectives, qui prendront des formes diverses.

La rencontre entre les représentants de l'épiscopat français, le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur, en février dernier, pour examiner différents problèmes administratifs et juridiques qui se posent dans l'application de la loi de séparation de l’Eglise et de l'Etat de 1905, est à situer, en partie, dans cette perspective.

A côté de cette -initiative", les fortes et claires paroles prononcées par Mgr Brincard prennent place dans les "interventions" qui pourraient se multiplier. Même si elles sont loin d'être l'expression d'une position unanime des évêques de France.

. En mai 2001, un militant catholique, Michel-Constant Verspieren, a publié un ouvrage d'information critique sur la franc-maçonnerie : L’impasse maçonnique (Éditions Faver, 33 rue Jean Jaurès, 59491 Villeneuve d'Ascq, 180 pages, 15,09 euros).

Il a envoyé cet ouvrage à tous les évêques de France. Un peu moins d'un quart d'entre eux (24) ont accusé réception du livre. Cinq évêques, et un cardinal français résidant à Rome, ont envoyé des encouragement immédiats.

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À propos du RP Antonio Vieira

Dans la revue Le Sel de la terre (Couvent de la Haye-aux-Bonshommes, 49240 Avrillé), qui publie son 40e numéro et fête ses dix ans de parution, un rédacteur s'inquiète des orientations qui seraient celles des éditions Ad Solem (2 rue des Voisins, CH - 1205 Genève, www.ad-solem.com). Ces éditions ont publié le dernier livre du cardinal Ratzinger, L’Esprit de la liturgie.

Parmi les autres auteurs publiés par ces éditions, l'éminent rédacteur dominicain jette la suspicion sur “ un livre d'Antonio VIEJA (sic) SJ, maître dans l'art de la conjonction des oppositions ( ... ) qui eut des ennuis avec l'Inquisition pour hérésie judaïsante, livre intitulé Le Salut en clair obscur et recommandé par Yves Chiron dans Présent du 15 janvier 2000, etc. C'est toujours un peu le même monde et les mêmes influences. ”

Pour être plus précis et juste, on peut rappeler que le jésuite Antonio Vieira (1608-1697) n'est pas un obscur auteur jésuite suspect d'hérésie. Ses sermons, dont les éditions Ad Solem livrent une nouvelle traduction et édition, ont été célèbres dans toute l'Europe et traduits en plusieurs langues. En France, pour le seul XIXe siècle, ils connurent deux éditions. Au Portugal, la dernière édition de ses œuvres, parue entre 1951 et 1954, compte 12 volumes.

À lire les quelques lignes citées plus haut, on pourrait croire que le livre publié par les éditions Ad Solem est une illustration de l' “ hérésie judaïsante ” du Révérend Père Vieira. Il n'en est rien. Les trois sermons publiés ici datent d'après sa condamnation par le Saint-Office et sa réhabilitation.

Il est vrai que pour certains écrits aventurés, Vieira fut condamné pour hérésie judaïsante l'Inquisition et qu'il subit ses prisons pendant vingt-sept mois, de 1665 à 1667.

Mais Vieira bénéficia d'une amnistie, fut autorisé par ses supérieurs à prêcher à nouveau et s'établit à Rome. Ses sermons lui valurent alors une renommée internationale. En 1675, pour le mettre à l'abri d'éventuelles suspicions inquisitoriales disproportionnées, le pape Clément X lui accorda un "bref d'exemption envers les Inquisitions d'Espagne et des autres royaumes."

Il restait au RP Vieira plus de vingt ans à vivre. La plus grande partie de son œuvre date de ces décennies. Six ans après l'exemption citée, le brillant prédicateur et théologien choisit de retourner en mission parmi ses chers indiens du Brésil, où il mourra. Non sans avoir préparé, sur ordre de ses supérieurs, l’édition de ses sermons.